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Équateur : un droit international à tiroirs

General Richardson du Comando Sur © Flickr US Embassy Panama

Netflix pourrait en faire une série 

L’ex-vice-président d’un état latino-américain poursuivi par la justice de son pays a trouvé refuge à l’ambassade des États-Unis qui prévoient de lui offrir l’asile. Dans la nuit – gros plan sur les écrans de surveillance de l’ambassade – des hommes cagoulés de noir et armés jusqu’aux dents escaladent les murs de l’enceinte diplomatique, malmènent le chargé d’affaires qui s’oppose à leur intrusion, dénichent l’ex-vice-président dans la chambre où il loge, et l’embarquent manu militari. Acte de terrorisme d’un groupuscule extrémiste en mal de publicité ? Action commando dirigée par le narcotrafic ? Vengeance d’un chef mafieux mal récompensé d’un appui politique sans faille ? Qui peut se permettre de pénétrer dans une enceinte diplomatique au mépris des droits internationaux sans se soucier des répercussions de cette intrusion ? Quelques instants plus tard, le président de la République du pays latino se dénonce : c’est lui qui a commandité l’action.

Les réactions ne se font pas attendre : les États-Unis bafoués menacent le président en exercice : s’il arrive quoi que ce soit au détenu, il en sera tenu pour responsable ! Manque de chance : le détenu est transporté à l’hôpital dans un état critique quelques heures après son arrestation. Les États-Unis déclenchent alors une intervention militaire pour faire respecter tant l’intégrité physique du prisonnier que le droit international. Les médias du monde entier se lamentent sur la folie d’un nouveau petit « dictateur », qui a osé ce que même Pinochet n’avait pas osé : intervenir dans une enceinte diplomatique.

L’Union européenne soutient l’action militaire américaine et propose son appui logistique : ses bases aériennes proches, ses personnels policiers ou militaires et ses services d’intelligence de la région. Elle devance même les États-Unis pour organiser un blocus. Washington arrête le président coupable d’une telle exaction, qui devra répondre de ses actes devant le tribunal de La Haye. L’unité internationale qui en résulte tire des larmes aux militants des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés dans le monde.

Fin de la première saison de la série Netflix

Cette incroyable histoire est malheureusement bien réelle, à l’exception d’un détail : l’ambassade où était réfugié l’ex-vice-président Jorge Glas était celle du Mexique. C’est bien le président équatorien, Daniel Noboa, qui a lancé l’opération exécutée le 5 avril dernier par les forces de l’ordre équatoriennes, mais Noboa est toujours en exercice.

Certes des voix se sont élevées contre cette violation du droit international, mais si faibles que personne ne les a entendues ; les États-Unis et l’Union européenne n’ont pas bronché, les médias internationaux ont rapidement regardé ailleurs. Et on a laissé se débattre seul le président mexicain Manuel Lopez Obrador. L’ancien président équatorien Correa a fait tout ce qu’il a pu pour alerter d’autres chefs d’État, mais les suites de cet acte délictuel prouvent qu’il existe un droit international à tiroirs : tiroir un, je suis avec les États-Unis, tiroir deux je ne suis pas avec les États-Unis.

Les suites de cet acte délictuel prouvent qu’il existe un droit international à tiroirs : tiroir un, je suis avec les États-Unis, tiroir deux je ne suis pas avec les États-Unis.

Pourquoi cette indifférence ?

Tout simplement parce que l’Équateur se trouve dans le tiroir un. Nous avons imaginé plus haut ce qui serait arrivé s’il se trouvait dans le tiroir deux, le tiroir où se trouvent actuellement Cuba, le Venezuela, le Honduras ou le Nicaragua (pour la seule Amérique latine). Dans ce cas, protocole habituel : manifestions « spontanées » financées par les ONG américaines, blocus, médias qui accourent et condamnation internationale assurée. Rien de tout cela pour Noboa, qui a signé le 15 février un pacte de coopération avec la chef du commando Sur, la générale Richardson, et qui depuis cogère son pays avec les militaires américains. Comment Noboa se serait-il senti en danger ? Il ne fait pas un pas sans avoir demandé la permission avant aux États-Unis ! Lesquels ne risquaient donc pas de réagir à son action, entraînant dans leur placidité l’Union européenne, qui ne voulait surtout pas « s’ingérer dans les affaires équatoriennes » (elle préfère blablater sur les élections libres au Venezuela !).

Alors au bout du compte, cette histoire de violation d’une enceinte diplomatique, c’est quoi ? L’erreur ou le coup de colère d’un président qui est entré en politique parce que son papa est milliardaire et que son papa avait échoué trois fois avant lui à se faire élire ? Non, ce n’est pas que ça, parce que le fils à papa sert aussi une stratégie globale élaborée bien au-dessus de sa tête.

On ne compte plus les coups de poignard donnés au droit international par ceux qui ont la charge de le préserver et de tout mettre en œuvre pour que les principes et les règles qui régissent le monde s’appliquent à tous et soient respectés. Depuis le début des années 2000, on assiste à une intromission systématique des États-Unis en Amérique latine par de nouveaux procédés : enlèvement du président en exercice au Honduras en 2007, empêchement au Brésil d’une présidente qui n’était coupable d‘aucun délit, emprisonnement d’un autre grâce à de fausses preuves fabriquées par un juge conseillé par les États-Unis, blocus sur le Venezuela depuis 2014 avec une connivence européenne sans faille qui n’a d’égale que sa ferveur à appuyer le blocus sur Cuba depuis plus de soixante ans…

Et aujourd’hui : intervention armée en Équateur. Washington a délégué sa diplomatie sur le sous-continent à la cheffe du commando Sur qui depuis le début de l’année sème des bases militaires en Équateur, mais aussi en Argentine ou au Guyana. Pour les États-Unis, le droit international est une affaire de tiroir, un ou deux suivant les cas… en conséquence le droit international existe-t-il encore ?

Commentaires 

Vu d’Amérique latine, le peu de réactions de l’Union européenne, de la France, mais aussi des partis politiques ou des syndicats à ce qui s’est passé en Équateur donne froid dans le dos. Il est sans doute à la mesure du détricotage des organisations politiques et syndicales qui n’ont plus les liens nécessaires pour échanger, comprendre et agir ensemble, tant au plan national qu’international.

Le monde militant paraît lui aussi vivre dans des tiroirs séparés : les penseurs dans le tiroir un écrivent pour leurs amis (universitaires ou politiques) dans un jargon qui reste incompréhensible à ceux qui voudraient militer et qui se trouvent dans le tiroir deux.

Si l’action du président Noboa contre le droit international a interpellé plus d’un démocrate européen, force est de constater qu’ils n’ont pas réagi et que le Mexique est apparu bien seul dans cette affaire.

Or une nouvelle stratégie américaine est en marche sur le sous-continent avec à sa tête Laura Richarson, la générale du commando Sur.

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