Cette rubrique Flash abordera dans des articles courts un résumé des faits marquants, et les évoquera, même succinctement, pour garder le contact et aider à mieux déchiffrer ce qu’il se passe dans ces pays.
En prévision dans les prochaines éditions :
- Nicaragua : la prise de fonction de Daniel Ortega.
- Argentine : les tractations avec le FMI.
- Venezuela : les déboires du poulain des États-Unis.
- Colombie : campagne pour les élections présidentielles de mai 2022, législatives le 15 mars.
- Brésil : tour d’horizon en prévision des élections qui se dérouleront en octobre (1er tour le 2, second tour le 30).
CHILI : les préparatifs de Gabriel Boric avant sa prise de fonction le 11 mars
Le représentant la gauche chilienne, Gabriel Boric, 35 ans, a gagné l’élection présidentielle en battant le candidat d’extrême droite et digne héritier de Pinochet, José Antonio Kast. Les Chiliens ont choisi de tourner la page du conservatisme et du passé en élisant le candidat du progrès, et l’ont chargé de donner une autre voie à ce grand pays où s’étaient imposé la dictature et ses complices de toujours, les Américains. C’est en effet Washington qui avait soutenu, appuyé, et acclamé les méthodes de gouvernement et les principes économiques de Pinochet qui se voulait un rempart au communisme.
Gabriel Boric était déjà à la tête d’une large coalition (Frente Amplio) et soutenu par le parti communiste chilien, mais pour l’emporter au second tour, il a dû tendre la main à quelques adversaires. Notamment aux partis de la concertation (dont le parti socialiste de Michelle Bachelet) qui ont gouverné le pays au départ de Pinochet puis pendant des années, sans jamais oser remettre en cause le système instauré par la constitution chilienne, et s’en accommodant.
C’est ce système que les manifestants de 2019 ont d’ailleurs dénoncé en préférant se porter vers les candidats indépendants lors de l’élection pour l’assemblée constituante, lesquels sont arrivés en tête (37 % des suffrages et une majorité d’élus).
Cette représentativité des indépendants, Gabriel Boric l’avait donc en tête avant de former son cabinet. À ces fervents partisans de la transformation en profondeur de la constitution qui souhaitent mettre un terme à la privatisation des services publics, il a accordé des postes ministériels de choix : intérieur et sécurité publique, affaires étrangères, finances, santé, transports, sports… avec une large proportion de femmes (14 contre 10 hommes).
Mais le président élu devait aussi placer d’autres partis qui l’ont soutenu au premier ou au second tour pour pouvoir compter sur une majorité (dont il ne dispose pas seul) et espérer une assise plus solide lorsque les lois sur les reformes seraient débattues.
Il est à noter que le parti communiste qui a soutenu Boric dès le premier tour est moins bien représenté que ses concurrents au gouvernement.
Boric devra donc composer avec le parlement mais faire également très attention aux réponses qui seront données par son gouvernement au rapport qui sera remis par l’assemblée constituante. Si le gouvernement est trop timide dans les réformes, il sera vite accusé de ne rien changer au système et de faire comme les partis de la concertation qui l’ont précédé au gouvernement et n’ont jamais rien changé.
Au plan régional, ses dures critiques contre le Venezuela, Cuba ou le Nicaragua n’ont pas encore causé de dissensions avec le parti communiste (qui, lui, soutient les trois pays). Boric devrait plutôt se rapprocher de l’Argentine et du Mexique jugés plus modérés.
Il prendra ses fonctions le 11 mars prochain, et devra répondre à l’énorme espoir qu’il a fait naitre au Chili – et ailleurs en Amérique latine -, que ce pays retrouve enfin son indépendance vis-à-vis des États-Unis, lesquels essaieront (on peut leur faire confiance sur ce point) de revenir dans le jeu.
Boric sera jugé autant par les Chiliens que par les pays de la région sur sa capacité à mettre en place une société plus juste. Sera-t-il capable d’y mettre autant de détermination que lorsqu’il s’en prend à Cuba, au Venezuela ou au Nicaragua ?
HONDURAS : la prise de fonction de Xiomara Castro et les derniers rebondissements à l’Assemblée nationale.
Xiomara Castro a pris ses fonctions le 27 janvier en présence de plusieurs chefs d’État et de gouvernement, dont la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris et la vice-présidente d’Argentine Cristina Kirchner. Détails qui ne manquent pas de piquant : les États-Unis d’Obama étaient à la manœuvre en 2007 lors du coup d’État contre l’époux de Xiomara Castro, Manuel Zelaya, alors président du Honduras ; coup d’État contre lequel Cristina Kirchner, alors présidente d’Argentine, avait protesté en tentant d’atterrir, en compagnie du président du Paraguay de l’époque, Fernando Lugo, sur la piste de l’aéroport de Tegucigalpa (en vain, car les militaires avaient rendu la piste impraticables). L’actuelle vice-présidente argentine a d’ailleurs rappelé ce souvenir au cours d’un intervention auprès de militants honduriens en marge de la cérémonie de prise de fonctions.
Mis à part le fait que Xiomara Castro remplace un président accusé de trafic de drogue, sa prise de fonctions en soi ne constituerait pas un événement notable, s’il ne s’était passé, une fois encore, un fait un peu particulier.
Car le Honduras, petit pays d’Amérique centrale que beaucoup peinent à placer sur une carte, est un laboratoire du coup d’État permanent. En 2007, nous venons de le rappeler, c’était le président en exercice Manuel Zelaya qui en était victime, enlevé en pleine nuit par des militaires et chassé de son pays. Dix ans plus tard, lors des élections présidentielles de 2017, son parti, l’alliance de l’opposition contre la dictature arrivait en tête en soirée de dépouillement lorsqu’une coupure d’électricité soudaine interrompit le décompte de voix plusieurs heures pendant la nuit ; au petit matin, les résultats étaient inversés et le parti donné gagnant avait perdu.
Xiomara Castro a remporté sans contestation possible l’élection présidentielle mais son arrivée au pouvoir n’a pas échappé à la règle du coup de théâtre. Voilà ce qui s’est passé : elle avait, avant le second tour de l’élection présidentielle, passé un accord avec le PSH (Partido Salvador de Honduras, de Salvador Nasralla) pour qu’un élu de ce parti, Luis Redondo, assume en cas de victoire la présidence de l’assemblée nationale (ce qui permettrait à la présidente élue de disposer d’une majorité). Pourtant, le jour du vote pour la présidence de l’assemblée, par le plus grand des hasards, vingt députés du parti libre de Mme Castro refusaient d’avaliser l’accord et votaient pour le concurrent, Jorge Calix, du parti du président de la République sortant.
La constitution stipule que le premier vote doit être ratifié par un second tour qui devait se dérouler quelques jours plus tard. Luis Redondo soutenu par Mme Castro a finalement été élu à la présidence de l’assemblée, au siège du Parlement. Pendant que son concurrent, Jorge Calix, qui avait réuni ses partisans dans les locaux d’un club de golf, s’autoproclamait président de l’assemblée nationale. Le Honduras disposait donc de deux présidents du pouvoir législatif.
Aventure qui rappelle des précédents régionaux récents :
– au Venezuela en janvier 2019, lorsque devant plusieurs centaines de milliers de personnes, Juan Guaido s’autoproclamait président de la République, sous les yeux médusés de ses deux vice-présidents à l’Assemblée nationale qui n’en avait pas été informés. Coïncidence troublante : à deux minutes de cette auto-proclamation, Donald Trump le félicitait par tweet. L’Union européenne et une cinquantaine de pays renchérissaient, reconnaissant dans la foulée cette auto-proclamation pourtant illégale et inventant un nouveau principe juridique : le droit à l’illégalité.
– en Bolivie en novembre 2019 : lors d’une assemblée extraordinaire regroupant députés et sénateurs, en l’absence des représentants du parti au pouvoir et donc en l’absence de quorum, la vice-présidente du Sénat, Jeanine Anez s’autoproclame présidente de la République. Reconnue également par les États-Unis, elle coupe aussitôt les relations diplomatiques avec Cuba et le Venezuela de Nicolas Maduro (mais reconnaît son frère jumeau vénézuélien Juan Guaido).
Au Honduras au jour d’aujourd’hui, personne ne peut accuser les États-Unis d’avoir manœuvré. On s’en tiendra aux déclarations de John Bolton, ancien conseiller à la sécurité de Donald Trump : « C’est une stratégie pour se débarrasser des régimes que nous considérons comme dangereux, car liés à des puissances étrangères comme la Chine et la Russie ». Justement Mme Castro avait fait connaitre son intention d’ouvrir de relations diplomatiques avec la Chine…
Le président autoproclamé Jorge Calix a finalement abandonné son poste de président autoproclamé, et les députés dissidents ont rejoints leur parti, sans aucune sanction, au terme d’un accord négocié avec Manuel Zelaya. Mais cette alerte, qui a déjà jeté une ombre sur le début de son mandat, rappelle à Xiomara Castro de quoi les États-Unis sont capables.
À noter que le 15 février, tout juste quelques jours après la prise de fonction de la nouvelle présidente, plusieurs centaines de policiers se présentaient au domicile du président sortant, Juan Orlando Hernandez, pour l’arrêter. Il sera extradé aux États-Unis où il retrouvera son frère déjà incarcéré. Tour à tour Hernandez aura ainsi servi à barrer le péril « communiste » il y a huit ans, puis permis aujourd’hui aux États-Unis de se donner un air d’intransigeance face au narcotrafic…