En mai au Panama : une doublure présidentielle.
Contexte
Des élections générales ont eu lieu le 5 mai au Panama pour renouveler 71 députés à l’Assemblée nationale, 20 au Parlement centre américain, 81 maires, mais aussi et surtout pour choisir un nouveau président de la République. José Raul Mulino en sort vainqueur avec 34,4 % des voix (participation de 77 %).
Pour cette présidentielle, huit candidats étaient en lice, sauf un, le principal, en tête dans les sondages, mais « inhabilité » : Ricardo Martinelli, président de 2009 à 2014, également surnommé « le fou ». L’interdiction administrative ou pénale frappe souvent des candidats dans la région, et Martinelli l’avait anticipé en convainquant son ex-ministre de la Sécurité et ami José Raul Mulino de se présenter à sa place. Bien vu, puisque Mulino devance le candidat « anti-système » Ricardo Lombana (à 25 %), un autre ex-président de la République (de 2004 à 2009), Martins Torrijos du Parti Populaire (16 %), Romulo Roux de Cambio democratico (11,2 %), les cinq autres candidats se partageant les 30 % restants. Le président sortant Laurentino Cortizo (Partido Revolucionario Democratico, centre gauche) ne pouvait pas se représenter.
Ambiance électorale
Durant les mois de la campagne électorale, on aura beaucoup parlé du changement climatique, qui mobilise tout particulièrement ce pays où la vie tourne autour du canal.
Fin novembre, la Cour suprême a en effet annulé le contrat qui lie l’État panaméen à « First Quantum Minerals », une société canadienne qui exploite la mine de cuivre dans la province de Colon à 120 km de la capitale. Cet arrêt, qui fait suite aux nombreuses manifestations contre les gaz dangereux émis par l’extraction du minerai et constitue une véritable victoire pour l’écologie, a un coût : le FMI évalue les profits liés à la mine à 5 % du PIB du pays. Le Panama devrait donc connaître selon les estimations une baisse de 2,5 % de sa croissance (qui était de 7,4 % en 2023).
Autre dossier très important lié au changement climatique, qui sera sans doute un vrai casse-tête pour le Panama à l’avenir : le manque d’eau. C’est un enjeu majeur pour le fonctionnement du canal, dont l’activité est déjà réduite, avec des passages de bateaux plus limités et donc un budget déficitaire. Que faire et comment ? C’est là un véritable défi qui attend le président élu.
S’ajoute à ces deux dossiers celui des migrations de populations de la région qui fuient leur pays (Venezuela, Colombie, Équateur, Haïti) et transitent ou s’installent définitivement au Panama. Le thème a pris toute sa place dans la campagne électorale, pendant laquelle Mulino a promis de fermer les frontières et de renvoyer chez eux les migrants qui parviendraient à pénétrer sur le territoire.
Éthique et justice
Autre sujet délicat au Panama qui aura plané sur la campagne, celui de « l’éthique en politique ». S’il n’avait pas été « inhabilité » par le tribunal électoral du Panama, il est fort probable que Martinelli aurait été élu une seconde fois, malgré sa condamnation à 10 ans de prison pour blanchiment d’argent. Lorsque sa condamnation a été confirmée, il s’est réfugié à l’ambassade du Nicaragua, d’où il a mené une campagne active en faveur de son poulain Mulido.
Mulido qui, lui, a connu la prison en 2019 pendant 6 mois pour corruption dans un achat de radars pour un montant de 125 millions de dollars. Son image avait également été ternie par sa responsabilité en tant que ministre de la Sécurité dans la mort de deux travailleurs lors de manifestations dans des plantations de bananes en 2010.
Si l’éthique est un sujet, à l’évidence il n’empêche pas d’être élu !
Conclusion
José Raul Mulino a pris ses fonctions le 1er juillet, conscient des problèmes qui l’attendent au niveau national et régional. Il a déjà échangé de violents propos avec Nicolas Maduro à propos des élections au Venezuela, retiré tout le personnel diplomatique de Caracas et suspendu les relations entre les deux pays jusqu’à nouvel ordre. Le Venezuela a décidé pour sa part de l’arrêt des communications aériennes avec le Panama.
Ce nouveau président du Panama, très réactif envers le Venezuela, devra l’être également pour trouver des solutions durables aux dossiers évoqués durant la campagne.
Élections générales au Mexique en juin : Manuel Lopez Obrador assure sa succession
Contexte
Le 2 juin dernier, Claudia Sheinbaum est élue à la présidence de la République avec 59,35 % des voix. La candidate de la coalition de partis Morena-Pvem-PT devance ainsi Xochitl Galvez (PRI-PAN-PRD) à 27,90 % et Jorge Alvarez Maynez (Mouvement citoyen) à 10,40 % (pour une participation de 61 %).
L’actuel président Manuel Lopez Obrador, élu en 2018, ne pouvait se représenter pour un nouveau mandat (les présidents mexicains n’effectuent qu’un seul mandat au maximum), mais il a soutenu fermement la candidature de Claudia Sheinbaum au sein de son parti « Morena », et cela malgré l’opposition de son ami, compagnon de route et ministre des relations extérieures Hebrard, lui aussi candidat à la primaire du parti.
Claudia Sheinbaum, maire de Mexico jusqu’au mois de mai 2024, a alors abandonné son mandat municipal et s’est consacrée à la campagne pour la présidence. Elle a pris la tête d’une coalition de trois partis, le sien (Morena), le parti Vert écologie (PVem) et le parti des travailleurs (PT) qui remportent confortablement ces élections, obtiennent la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat et gagnent dans 24 des 32 États. Il en va de même pour Clara Brugada qui, avec la même coalition remporte la mairie de la capitale Mexico.,
Les défis d’hier et d’aujourd’hui
Manuel Lopez Obrador, comme ce sera le cas de Claudia Sheinbaum à partir du mois d’octobre, a eu à relever plusieurs défis : la pauvreté, une violence extrême liée au narcotrafic, l’immigration régionale qui transite vers les États-Unis, sans oublier bien sûr le poids du Mexique comme acteur politique éminent dans la région. De l’avis de nombreux observateurs pas toujours proches de lui politiquement, il a obtenu des résultats significatifs en matière de lutte contre les inégalités et pour le pouvoir d’achat. Grâce à son action, cinq millions de personnes sont sorties de la pauvreté, tandis que les classes moyennes ont vu leurs salaires augmenter notablement par rapport à l’inflation. « AMLO » apparaît ainsi comme un homme de gauche qui applique ses promesses de campagne face à un électorat qui manifeste sa reconnaissance (les sondages évoquent 60 % de Mexicains satisfaits de son action).
Mais même si les électeurs restent fidèles au parti « Morena », leur président n’aura pu éradiquer ni le narcotrafic ni la violence et la corruption qu’il génère dans le pays et une grande partie de la région. 170 000 personnes ont été assassinées dans le pays les quatre dernières années, issues de tous les milieux, y compris des femmes et des hommes politiques : au cours de la dernière campagne électorale, 30 candidats (4 femmes et 26 hommes des principaux partis) notamment aux postes de maire ou de conseillers municipaux l’ont payé de leur vie.
Sur la scène internationale, le Mexique de Lopez Obrador se distingue par son dynamisme économique et il est l’un des principaux exportateurs vers les États-Unis. La parole du Président est écoutée et respectée au niveau diplomatique. AMLO refuse catégoriquement la mise au banc des accusés de certains États ou l’instauration de sanctions qui en définitive frappent comme toujours les plus défavorisés, comme cela a été le cas au Venezuela par exemple. Il milite pour l’autodétermination des États. Plus largement, il privilégie le dialogue et la négociation plutôt que les déclarations tapageuses, une qualité précieuse dans un pays qui partage sa frontière avec de bruyants voisins !
Tous ces atouts déployés depuis six ans perturbent les partis d’opposition (PRI – PAN – PRD) qui n’arrivent pas à articuler la riposte et sont obligés de s’allier (alors qu’ils étaient de farouches ennemis) pour tenter « d’exister ». Le PRI qui a longtemps dominé la scène politique mexicaine n’arrive qu’en quatrième position à l’Assemblée nationale.
La succession
Claudia Sheinbaum, qui prendra ses fonctions le 1er octobre, sera la première femme élue à la tête de ce grand pays d’Amérique latine, pourtant réputé machiste. Pour sa famille aussi, c’est le point d’arrivée d’une longue aventure : ses grands-parents persécutés en raison de leur religion ont quitté la Lituanie et la Bulgarie pour fuir le nazisme, avant de s’installer au Mexique. Des origines rappelées par l’ancien président Vicente Fox, qui tente de la déprécier en la qualifiant de « juive bulgare » sur les réseaux sociaux.
Des origines en tout cas nettement à gauche : sa mère était un membre actif du parti communiste et elle-même a milité dès l’université avant d’entrer en politique auprès de Lopez Obrador, alors maire de Mexico. Il lui confie la responsabilité du secteur « écologie » en tant que spécialiste du climat et des questions énergétiques et c’est tout naturellement qu’elle reprend le flambeau de la mairie lorsque, en 2018, le maire accède à la présidence.
Pour les six années à venir, Claudia Sheinbaum a défini plusieurs priorités : tout d’abord continuité dans les actions menées par le précédent gouvernement tout en accentuant l’action sur l’éducation, la sécurité, la santé, la violence entre genres, l’économie et la mobilité.
La tâche est immense dans ce pays qui cumule les inégalités, subit le narcotrafic et sa violence, et doit gérer sa proximité avec des États-Unis toujours plus exigeants en matière d’émigration. Manuel Lopez Obrador a démontré que le Mexique avait beaucoup de ressources pour affronter ces difficultés ; Claudia Sheinbaum bénéficie d’un a priori très favorable. Cette femme énergique devrait bénéficier de l’appui de tous les militants de gauche qui souhaitent construire un pays plus égalitaire, plus sûr, avec l’immense espoir que le machisme et la violence s’estompent.
Conclusion
Manuel Lopez Obrador a démontré que la gauche au pouvoir réussit quand elle fait ce qu’elle dit, quand elle s’intéresse à la vie des plus défavorisés et œuvre pour une économie dynamique, même dans un pays où la corruption et la violence font force de loi.
Claudia Sheinbaum a fait naître beaucoup d’espoir auprès de toutes les femmes exploitées, maltraitées et rabaissées qui tous les jours, souvent depuis leur plus jeune âge, se lèvent avant le jour pour parcourir les kilomètres qui les séparent du centre des villes et servir le café à des employeurs pas toujours reconnaissants.
Le Mexique a besoin de continuité et c’est bien que le relais d’AMLO soit assuré par une femme de gauche, dynamique et pragmatique, qui a déjà mis en place à l’échelle de la capitale et mégapole Mexico des actions essentielles en matière de climat, d’inégalités sociales, ou de sécurité.
Bolivie en juin – Coup d’État ou coup de bluff
Contexte
Le 26 juin vers 14 h, les médias et les réseaux sociaux crépitent : un nouveau coup d’État en Bolivie ! Combien de morts, de blessés, d’arrestations ou simplement d’édifices en feu ? Aucun.
Il n’y a pas non plus d’interruption des communications avec le pays, et cela permet de suivre l’événement. Les caméras transmettent minute par minute des images et diffusent une séquence aussi incompréhensible qu’ubuesque : le chef de l’État en exercice, Lucho Arce, et l’auteur de ce coup d’État parlementaire, le Général Juan José Zuniga, discutent de l’encerclement par l’armée du palais présidentiel et du blindé qui a tenté d’en défoncer la porte d’entrée.
Rapidement alertés, les syndicats, les associations, les partis politiques se mobilisent et se précipitent vers le palais pour défendre le président en exercice. L’ex-président Evo Morales en personne mobilise ses troupes.
Ce que voient les Boliviens et les Sud-américains sur leurs chaînes d’infos et sur les réseaux sociaux, c’est donc, merveille, un coup d’État en direct avec tous ses acteurs qui, chose rare, se parlent devant les caméras !
Pas facile d’y voir clair
La séquence médiatique est limpide et l’ex-commandant en chef de l’armée Juan José Zuniga explique clairement pourquoi il organise cette prise de pouvoir : « notre pays ne peut continuer ainsi, avec un gouvernement qui fait n’importe quoi ; il est du devoir des militaires de manifester le mécontentement national qui fait bouillir dans le pays ». Et Zuniga de demander « la libération de tous les prisonniers politiques ».
Précisons que la veille, le 25 juin, Zuniga était destitué par le président Arce pour avoir menacé l’ex-président Evo Morales qui, selon le général, « ne peut plus être président de la République de ce pays » et qu’il faudrait mettre en prison s’il se représente.
Ce coup d’État cadre plutôt bien avec l’ambiance du moment : une situation économique difficile (avec notamment un problème d’approvisionnement en combustible et une pénurie de médicaments) qui fait suite à une période plutôt positive sur ce plan. Le tout sur fond de désaccord politique entre l’actuel président de la République (évincé du parti MAS tenu par Morales) et l’ex, Evo Morales donc, qui ne se parlent plus depuis que Morales a annoncé son intention de se présenter à nouveau aux prochaines élections présidentielles.
L’alibi de Zuniga est tout trouvé : un supposé « mal vivre » des Boliviens. Quant au déroulé des événements, il laisse songeur : un coup d’État sans aucun échange de coups de feu, des protagonistes parlementent sans aucune violence, puis après une arrestation rapide de Zuniga, tout rentre dans l’ordre et à 19 h, la recréation est terminée.
Zuniga lâche tout de même un indice avant de partir pour la prison, dans une adresse aux médias : « j’ai monté cette opération à la demande du président Arce, qui m’a fait part dimanche dernier de la baisse de popularité de son gouvernement et je me suis proposé pour l’aider à remonter la pente. Et voilà qu’aujourd‘hui il me jette en prison pour tout remerciement ! »
Dit-il vrai ?
Face à ce montage rocambolesque, les avis de personnes bien informées vont à peu près dans le même sens : la Bolivie a vécu plusieurs coups d’État, des « vrais », dans lesquels on a pu compter nombre de victimes, de morts, de blessés, de structures commerciales et administratives incendiées, de camarades tués ou emprisonnés, en bref… des moments d’une violence inouïe. Le 26 juin ce n’est pas un coup d’État qui s’est déroulé, mais un coup de bluff, organisé par ceux qui avaient les moyens de jouer cette comédie pathétique, dont l’un est encore au pouvoir et l’autre en prison. Quant aux militants, ils regrettent que la bagarre pour l’élection présidentielle de 2025 entre Arce et Morales doive en passer par là, mais ils ne sont pas dupes… seulement tristes que ce spectacle vienne des leurs.
Conclusion
Pour Evo Morales, Lucho Arce a tout orchestré ; pour Arce il s’agit bien d’une tentative de coup d’État. Pour la gauche locale, régionale et internationale, personne n’ose parler trop ouvertement de supercherie. Mais le doute subsiste, surtout quand Evo Morales qualifie ce moment « d’auto-coup d’État ».
Pour ceux qui sont attachés à l’image et aux valeurs que la gauche est censée défendre face à une extrême droite droguée aux « fake news », cela ressemble à une catastrophe.