Sommet du G20 à Rio (18-19 novembre) :
Les médias brésiliens ont suivi de près, souvent en direct, cette rencontre des 20 pays membres et autres (dont le Chili et la Colombie pour l’Amérique latine). Et pour eux, cela ne fait pas de doute : Lula et la diplomatie brésilienne ont évité les pièges et ont permis la signature de quelques accords importants.
Les pièges avaient été tendus avant même le début du sommet. La veille de l’ouverture, même s’il s’est déplacé en Amazonie pour sauver la planète, Joe Biden faisait monter d’un cran l’escalade militaire en Ukraine, suivi par ses alliés français et britannique.
Ce sommet, c’était aussi l’entrée de Javier Milei sur la scène internationale. Il n’avait pas apporté sa tronçonneuse, mais personne n’a oublié au Brésil les insultes qu’il n’a cessé d’adresser à Lula avant, pendant, et après sa campagne électorale. D’autant que le nouveau président argentin revenait tout juste des Etats-Unis. Il a été le premier chef d’Etat à saluer Donald Trump pour sa victoire. Ce fut sans doute l’occasion d’accorder leurs violons sur le rôle que joueraient à Rio les « anti -système », comme ils aimaient à s’autoqualifier.
Solidarité contre la guerre et alliance contre la pauvreté
Mais Lula, en homme d’expérience, a débuté les travaux sur un sujet plus rassembleur : la solidarité contre la guerre. Il proposait ainsi une « alliance globale contre la faim et la pauvreté dans le monde », ce qui permettait d’amorcer intelligemment ce sommet, pourtant bien mal engagé, en s’attirant l’unanimité des participants… sauf un : Milei.
Celui-ci rétorquait qu’il ne pourrait soutenir cette position, car le capitalisme était la « seule solution » pour régler la faim et la pauvreté. Il refusait de voter pour la taxation des plus riches, ou pour toute mesure en faveur du développement durable ou de l’égalité des genres. Milei c’était non et il fallait que le G20 le sache.
Cela dit, il s’est vite rendu compte qu’il porterait la responsabilité de l’échec du sommet s’il persistait dans cette volonté de ne rien signer, y compris la déclaration finale. Mais il n’était pas le seul à créer des soucis aux organisateurs. Car parallèlement aux travaux en séance plénière, les délégations des pays membres du G7 (Etats-Unis, Japon, France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Canada) faisaient pression pour durcir le communiqué final sur le sujet Ukraine, avec le soutien de Milei. Ils se heurteront à un mur.
Au bout de deux jours et deux photos — l’une avec Lavrov sans Biden, l’autre avec Biden sans Lavrov —, le soleil revenait sur Rio avec une certaine sérénité. Milei changeait de posture et finissait par signer le communiqué final. En gardant comme exigence le maintien de ses réserves dans les actes des débats, il surprenait tout le monde, à l’image de son modèle de Washington !
Des lignes directrices intéressantes
On retrouve dans ce communiqué final un certain nombre de lignes de force :
- la création d’une alliance contre la faim sur proposition du Brésil,
- pour la première fois dans l’histoire, une mobilisation commune sur l’accès à l’eau potable,
- l’idée d’une taxation des plus riches, toujours sur proposition brésilienne, pour soutenir le respect de l’environnement et l’éradication de la pauvreté,
- et en matière de gouvernance globale, la réforme du Conseil de sécurité, très ancienne revendication du Brésil.
Deux interventions latino-américaines : celle de la toute nouvelle présidente du Mexique Claudia Sheinbaum proposant, sans beaucoup de soutien, de réserver 1 % des budgets militaires pour lutter contre les effets du changement climatique. Et celle du président colombien Petro rappelant cette évidence : « s’il n’y avait plus de faim au Sud, il n’y aurait plus d’immigration au Nord ».
Bilan plutôt positif : émergence du « Sud » global
Le bilan de ce G20 brésilien se caractérise par une certaine réussite, du moins pour les médias du pays qui l’accueillait. Ce qui n’était pas du tout l’avis du journal du soir français qui titrait dans son éditorial : « Un G20 de Rio pour rien, sauf pour la Chine ». Presque un copié-collé du titre de 2023 pour la même rencontre à New Delhi : « Un sommet sans grands résultats ». Il est vrai que le journal avait préparé le terrain la veille de l’ouverture des travaux à Rio en publiant le long article intitulé « L’étoile pâlissante de Lula sur la scène internationale »… Assez peu en accord avec le contenu qui suivait, ce titre était d’ailleurs retiré quelques heures plus tard… On dirait que la presse française fait mine de ne pas comprendre que depuis deux décennies, l’Europe en général et la France en particulier ont perdu de leur influence dans tous les pays sud-américains, et sans doute dans le monde.
Des médias mainstream français dans le déni
Même le forum social de « l’avant » G20, qui a pourtant rassemblé des représentants d’organisations de tous les pays à Rio, n’est pas compté par le journal français comme un succès. La poursuite des conflits et la course massive aux armements comptent plus que la recherche de la paix. Vu du Brésil, on dirait que l’Europe n’a qu’un objectif en cette fin d’année 2024, la guerre, et les journaux français de le relayer. A se demander si, finalement, ils ne travaillent pas pour Milei et Trump, eux qui pensent que les organisations et les sommets internationaux ne servent à rien et qu’il faudrait s’en débarrasser au plus vite…
Enfin, au bout du compte, les Brésiliens auront sans doute retenu du président français et de son épouse leur balade sur la plage de Copacabana, un jogging en bord de mer, une promenade avec le maire de Rio dans les rues de la ville, des selfies avec les Cariocas. Un chef d’Etat dilettante et si proche des gens quand il est à l’étranger… capable de discuter même avec Milei ou de saluer le ministre russe des affaires étrangères, bref, de parler « avec tout le monde ! »
Mais le Brésil poursuit sa route : il assurera en 2025 la présidence des BRICS+(1)Les BRICS+ sont un groupe de neuf pays qui se réunissent en sommets annuels : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Iran, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Éthiopie. et accueillera à Belém la COP 30. Lula parviendra-t-il à mettre son poids et son expérience, comme il l’a fait au G20 de Rio, dans la construction d’une large alliance en faveur du changement climatique ? On peut déjà écrire le titre du journal du soir français à la fin de cet événement majeur : « Pas terrible, cette COP 30 ».
Visite de Xi Jinping : « route de la soie » et non-alignement brésilien
Après le G20, le Brésil est encore à la fête : le président chinois est resté quelques jours de plus pour signer 37 accords avec le gouvernement brésilien, autre membre majeur des BRICS+.
Xi Jinping s’est déjà adressé à tous les Brésiliens par une lettre reprise dans les quotidiens du pays : il y rappelait les « liens qui unissent les deux nations depuis cinquante ans », et accessoirement que la Chine avait importé plus de 100 milliards de dollars de produits brésiliens, par an ces trois dernières années. De quoi confirmer aux yeux des milieux d’affaires et de la diplomatie brésilienne l’intérêt de l’intégration du Brésil dans le programme économique chinois des « Routes de la soie ».
Cela fait plusieurs mois que les deux pays y travaillent, mais Lula a finalement décidé de ne pas adhérer complètement au programme, tout en participant à certains projets. Deux raisons majeures le guident : préserver son autonomie géopolitique, ne pas compromettre sa position de « non-alignement ». Autrement dit, ne pas apparaître, a fortiori après l’élection américaine, comme simplement prochinois. Des messages envoyés par les Américains avant la tenue du sommet ont certainement joué… mais ils n’ont pu empêcher la signature d’un plan de coopération bilatérale, dont 37 accords portant sur un large éventail de domaines, de l’industrie à l’agro, en passant par l’intelligence artificielle ou les télécoms.
A ce vaste chantier, Lula a proposé de rajouter, dans un avenir proche, la signature d’un accord Mercosur–Chine, en négociation depuis plusieurs années et dont les discussions pourraient reprendre. Le président chinois pourrait revenir au Brésil au moins deux fois en 2025, en juillet pour le sommet de BRICS+ et en novembre pour la COP30 à Belém.
Le Brésil, comme les autres pays de la région, intéresse au plus haut point les dirigeants chinois, qui ont profité de l’arrivée de gouvernements de gauche en Amérique latine pour s’implanter plus fermement dans la zone. La Chine court encore derrière les Etats Unis en termes d’investissements au Brésil (6 %, contre 29 % pour les Américains), mais elle est désormais à égalité avec les trois pays d’Europe réunis (Espagne-France-Royaume-Uni) et compte bien amplifier sa présence.
Commentaires : appétits grandissants pour le continent sud-américain
Pour le Brésil, le sommet du G20 et la visite officielle de Xi Jinping ont été deux moments forts, qui s’inscrivent plus globalement en Amérique latine dans l’attrait des grandes puissances pour les pays du sous-continent. Les richesses en matières premières (pétrole et gaz, mais aussi or, lithium…) et les potentiels de développement attisent depuis des décennies la convoitise des Etats-Unis, qui ont soutenu dans la zone toutes les dictatures au nom de la lutte contre le communisme. L’Europe et la Chine rivalisent aujourd’hui sur le terrain avec le géant américain, chacun utilisant des stratégies différentes…
L’Amérique latine a été le théâtre de deux autres sommets importants ces jours-ci, le sommet Ibéro-américain en Equateur et la réunion Pacifique-Asie au Pérou, tandis que le prochain sommet Mercosur est programmé les 5 et 6 décembre prochains en Uruguay (ReSPUBLICA y reviendra). Plus que jamais, l’Amérique latine est le terrain de chasse des grandes puissances.
Notes de bas de page
↑1 | Les BRICS+ sont un groupe de neuf pays qui se réunissent en sommets annuels : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Iran, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Éthiopie. |
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