Positionnement international diversifié
Dans un premier temps, comme cela se passe souvent dans ce type de contestation, tout le monde s’en est mêlé sans même tenter de démêler le vrai du faux. D’un côté, le Nicaragua, Cuba et la Bolivie se sont rangés derrière Maduro et de l’autre, les États-Unis derrière Edmundo Gonzalez Urrutia, donc derrière Maria Corina Machado qu’il représentait, suivis en cela par des personnalités d’extrême droite (l’Argentin Milei, le Brésilien Bolsonaro et bien sûr leur grand frère américain Trump) soutiennent Machado-Urrutia. Seule l’Union européenne, une fois n’est pas coutume, s’est rangée derrière une troisième position représentée par le Brésil, le Mexique et la Colombie, qui demandent à voir les fameuses « actas ».
Un florilège de sanctions contre le Venezuela
Ces élections étaient très attendues : elles seraient une sorte de test pour le régime de Maduro, accusé depuis des années d’autoritarisme, d’atteinte aux droits de l’homme et de persécution de ses opposants. Des accusations que les Vénézuéliens payent d’ailleurs très cher avec de sévères sanctions et un blocus assassin que leur infligent les États-Unis, imités par l’Union européenne. Bilan de cette stratégie : plus de 7 millions de personnes ont quitté le pays pour trouver de quoi vivre ailleurs.
Alors, depuis des mois, Nicolas Maduro énumère la longue liste des hostilités déployées contre son pays : avoirs bloqués, sanctions contre les investisseurs étrangers qui s’y risquent, sanctions contre les fonctionnaires du régime, tentatives d’assassinats, attentats et sabotages en tout genre. Le président lui-même https://www.youtube.com/watch?v=wStslG3WWNMa toujours sa tête mise à prix aux États-Unis et comme dans les westerns, une belle récompense est promise à celui qui le capturera…
Les sanctions contre le Venezuela, l’opposante Maria Corina Machado les appelle d’ailleurs de ses vœux. Ses liens avec les républicains américains remontent à la présidence de Georges Bush. Elle a défendu jusqu’au bout l’autre opposant, Leopoldo Lopez, incarcéré en 2014 – installé en Espagne depuis son évasion en octobre 2020 –, et n’a cessé de demander une intervention militaire des États-Unis au Venezuela pour en chasser le « tyran ».
Soutien populaire à Machado : une réalité contrastée
Maria Corina Machado n’a jamais bénéficié d’un appui inconditionnel des Vénézuéliens. C’est une grande bourgeoise, issue d’une famille d’industriels qui envoyait ses enfants étudier aux États-Unis. Elle n’a pas non plus entretenu de bons rapports avec les opposants de la classe politique traditionnelle, les Ramon Allup, Enrique Capriles ou Manuel Rosales, tous suspects à ses yeux de compromission avec le pouvoir, ni même avec l’ex-président autoproclamé Guaido.
Lorsque Guaido, mis en place par Trump puis soutenu, de plus en plus mollement, par la communauté internationale, s’est réfugié aux États-Unis, Machado a profité de l’espace laissé libre, pour devenir la représentante idéale de l’opposition. Il faut dire que Maduro l’avait aidée en cela et fait le vide parmi les autres opposants… « S’il n’en reste qu’une, ce sera moi ! » se dit celle qui prend soudain le devant de la scène et gagne facilement les primaires de l’opposition, tout en sachant bien qu’elle est sous le coup d’une inhabilitation et ne pourra de toute façon pas se présenter. Quelques péripéties plus tard, elle trouve un candidat de substitution qui ne lui fera pas d’ombre : Edmundo Gonzales Urrutia, 78 ans, un ancien diplomate bien tranquille.
Résultats électoraux contestés
Au cours d’une campagne brève (débutée le 4 juillet) et active, les instituts de sondages sont clairs : ceux proches du pouvoir annoncent une victoire de Nicolas Maduro à 52 % contre 43 % ; ceux proches de Gonzales Urutia lui assurent une victoire à 67 % contre 30 % au président sortant.
Le soir du scrutin, le clan Machado crie victoire lorsque le Conseil national électoral annonce tardivement, sur la base de 70 % du dépouillement, le nom du vainqueur : Nicolas Maduro. L’opposition crie « au voleur ! » : présente dans une majorité des 36 000 tables de dépouillement, elle est en possession de 60 % des « actas » (procès-verbaux) qui indiquent le contraire.
Le clan Maduro répond que « comme d’habitude », l’opposition ne reconnaît pas une élection gagnée par Maduro, c’est ainsi depuis sa première élection. S’ensuivent quatre jours de violence qui font 25 morts et plusieurs dizaines de blessés. Maduro tente une explication à la proclamation tardive par le CNE des résultats : une attaque cybernétique en provenance de Macédoine du Nord a entravé le vote électronique…
« Pas grave », répondent les observateurs : le système de vote est inviolable, car on peut grâce aux « actas », ces documents émis par l’urne électronique, procéder à un recomptage manuel. C’est d’ailleurs ce qui a été fait en 2013 lorsque Enrique Capriles contestait l’élection de Maduro : les « actas » avaient été produites et leur recomptage avait confirmé la victoire de Maduro.
Guerre économique et guerre cybernétique
Mais cette fois-ci, les « actas » ne sont pas produites. Après la Macédoine du Nord, Maduro dénonce les attaques cybernétiques d’« Anonymous ». D’ailleurs les États-Unis ont tout manigancé. Après la guerre économique, la guerre cybernétique ! Le pouvoir bolivarien attaqué de toutes parts !
Puisque sans les « actas » personne ne croit sur parole le Conseil national électoral, Maduro a une autre idée : il se tourne vers le tribunal suprême de justice pour que celui-ci fasse toute la lumière sur cette affaire. Le Tribunal s’exécute et le 22 août déclare Maduro vainqueur. Une décision du tribunal suprême de justice ne peut souffrir d’appel !
Nécessité de publier les « actas »
L’opposition au-delà du clan Machado s’en mêle. Enrique Marquez, ancien recteur du CNE soutenu par le parti communiste vénézuélien, demande que le CNE, seule institution habilitée à publier les résultats électoraux, présente les « actas » afin, comme en 2013, de faire un recomptage manuel avant de proclamer le vainqueur.
Pour les proches de Maduro et les pays qui le soutiennent en toute circonstance (la Chine, la Russie, la Bolivie, le Nicaragua, Cuba) la victoire est reconnue immédiatement. Les États-Unis et l’Union européenne en revanche demandent la publication des « actas ». Eux, Nicolas Maduro s’en moque. Mais beaucoup moins du Mexique, de la Colombie et du Brésil qui lui demandent eux aussi la publication des « actas » et ne cèdent pas.
Quelques avis de Vénézuéliens : avertissement, corruption, autoritarisme, bureaucratie
Au-delà du positionnement des États, en fonction de leurs électorats, de leurs géostratégies et de leurs préférences, j’ai demandé leur avis à quelques Vénézuéliens que je connais depuis des années, dont certains se sont d’ailleurs déjà exprimés sur ReSPUBLICA :
1 – Alfonso
« Je vous l’avais dit avant le scrutin : d’une manière ou d’une autre nous gagnerons. Mais le message est clair pour Nicolas Maduro, car l’on a vu des quartiers populaires acquis au chavisme depuis des années qui se sont détournés pour la première fois du PSUV, ont voté pour l’opposition et même parfois ont pris part aux manifestations de l’extrême droite.
Cette victoire de Maduro est néanmoins un avertissement sévère pour celui qui l’a emporté en 2013, 2018 et 2024, car ce pourrait bien être là son dernier mandat s’il ne résout pas les difficultés que les plus humbles rencontrent au quotidien. Le président devra combattre l’inefficacité de l’administration et la corruption. Il devra trouver des solutions à ces trois préoccupations principales qui exaspèrent tout le monde ici : les bas salaires ; les carences des services publics (eau, électricité, gaz, téléphone, santé, transports) ; la pénurie de combustibles sur tout le territoire.
Maduro a six ans de plus pour poursuivre le projet de transformation économique et sociale entrepris par Chavez. Mais on savait bien que l’opposition ne reconnaîtrait pas la victoire de Maduro, comme elle n’a pas reconnu 28 élections gagnées par le chavisme sur les 30 qui se sont déroulées en 25 ans. »
2 – Luis
« Cette élection n’est que la consécration, si je puis dire, du “style Maduro”. En 2002, j’ai pris les armes avec les Vénézuéliens pour me rendre au palais présidentiel lors du coup d’État contre Chavez, mais je ne le ferai pas pour défendre Maduro. Le pouvoir de Maduro est devenu autoritaire, insolent, corrompu et inepte de bas en haut. Il s’y accroche pour ne pas rendre de comptes sur la corruption qui règne et les manquements aux droits de l’homme. C’est un pouvoir complètement délégitimé à l’international qui a perdu une bonne partie de son appui populaire. Cette attitude salit à jamais nos valeurs de gauche. Ceux qui règnent aujourd’hui ne se rendent pas compte que le modèle soviétique dans les pays de l’Est a disparu à cause de ces mêmes maux : autoritarisme, corruption, bureaucratie.
Ils se vantent depuis des années que leur système électoral est le plus sûr du monde, et comme par hasard, à l’heure des résultats, une attaque cybernétique en entrave la communication des résultats … Parce que le système est inviolable et que la seule façon de manipuler les résultats, c’est de faire disparaître les “actas” en annonçant les chiffres que l’on veut. Ceci s’appelle une “élection truquée”, elle déshonore ceux qui se sont prêtés à cette manipulation et plus largement elle jette un discrédit total sur le pouvoir en place. Le chavisme ce n’est ça ! ça, c’est du Maduro ! »
3 – Javier
« J’ai accompagné Hugo Chavez au gouvernement, et je peux vous dire qu’il ne se serait jamais prêté à une telle manipulation des résultats. Je me souviens qu’en 2007, quand il a perdu le referendum, il disait (il a été filmé le disant) : “Mon entourage me conseillait d’attendre le résultat du vote des expatriés, peut-être pourrions-nous l’emporter de quelques centaines de voix, mais j’ai refusé, car je ne voulais pas d’une victoire comme celle-là”.
Le système est inviolable, et même avec une attaque cybernétique, les résultats ne peuvent être endommagés. Le CNE devait présenter les “actas” ; ne pas le faire jette le discrédit sur les résultats annoncés. Je doute comme des millions de Vénézuéliens. »
Ces commentaires vont dans le sens de plusieurs déclarations de chavistes de la première heure, comme Juan Barreto (ancien maire du grand Caracas), Vladimir Villegas (journaliste membre de la Constituante sous Chavez), le parti communiste vénézuélien, et plusieurs syndicalistes, qui demandent l’ouverture des urnes et la présentation des « actas », comme le CNE l’avait fait en 2013 pour une autre élection de Maduro.
Commentaires : la nécessaire lutte contre l’impérialisme états-unien ne justifie pas tout
La souveraineté des pays compte, c’est la position du Mexique, qu’appuient la Colombie et le Brésil qui demandent, eux, la publication des « actas ». Ces trois pays latino-américains ne peuvent être soupçonnés de mener une guerre aux côtés de l’extrême droite qu’ils combattent eux aussi. Mais ils ne peuvent pas accepter, au nom de l’éthique que les mouvements de gauche se doivent de porter haut et fort, l’ambiguïté qui pèse sur les résultats vénézuéliens, ni la suspicion qu’il y ait eu triche.
Tous les militants de gauche ont soutenu la lutte du Venezuela contre la guerre économique menée par les États-Unis et leurs relais d’extrême droite. Mais aujourd’hui, ils ne peuvent comprendre pourquoi le pouvoir, s’il est si sûr de sa victoire, refuse de faire toute la lumière sur ce scrutin.