Contexte
Le 28 juillet prochain se dérouleront les élections présidentielles au Venezuela. Président sortant élu en 2018 (mais que ni les États-Unis ni l’Union européenne n’ont reconnu), Nicolas Maduro se présente à nouveau ainsi que treize autres personnalités politiques, toutes issues de différents partis de l’opposition. Mais comme d’habitude, les États-Unis et l’Union européenne vocifèrent et appellent à des élections « libres ». En effet, leur candidate, Maria Corina Machado, n’est pas habilitée à se présenter. Comment cela s’explique-t-il ?
Il était une fois un tribun
En février 1999, lorsque Hugo Chavez prête serment avant d’assumer les fonctions de président de la République, nombreux sont ceux qui pensent dans le pays qu’il aura beaucoup de mal à gouverner. En effet, il a remporté cette élection contre les deux partis, COPEI et Action démocratique, qui règnent depuis des décennies au Venezuela. Deux partis qui ont tout pour eux : la force des organisations syndicales et associatives pour Action démocratique, le patronat et l’église pour Copei, et surtout la main mise sur tous les médias pour l’un et l’autre.
Conscient du défi qui l’attend, Chavez obtient la mise en place d’une assemblée constituante qui dessine une nouvelle constitution. Adoubé par Fidel Castro (qui viendra en visite officielle en 2000), il affirme peu à peu ses idées, et le Venezuela qu’il préside ne ressemble pas aux précédents. Les oubliés d’hier sont mis en vedette : analphabètes, gens de couleurs, sans-logis… tous ignorés jusqu’à présent par une caste politique qui se partageait la manne pétrolière sans se préoccuper du reste.
Mais bien sûr, la contre-offensive s’organise et le 11 avril 2002, Chavez est victime d’un coup d’État politico-militaire qui porte à la présidence Pedro Carmona. Ce « patron des patrons » représente les nantis, et toute la caste politique d’hier (à laquelle se joignent quelques « modernes », dont Enrique Capriles, Leopoldo Lopez, Maria Corina Machado) vote les pleins pouvoirs à Carmona, avec la bénédiction de la plus haute hiérarchie de l’église. Très vite les États-Unis (et l’Espagne d’Aznar) reconnaissent ces « démocrates » qui arrivent par la force.
Mais 48 heures plus tard, tout ce beau monde ne pensera qu’à s’enfuir du palais présidentiel pour échapper à la foule descendue des quartiers populaires et venue réclamer « son » président. Chavez fera un retour triomphal, entouré des militaires dont il est issu et qui lui sont restés fidèles. Il aura l’intelligence de ne pas envoyer en prison les putschistes qui pour les plus jeunes n’ont pas retenu la leçon et poursuivront leur action contre le pouvoir avec l’appui permanent des États-Unis.
Car le coup d’État de 2002 n’est que le début des hostilités qui se poursuivront tout au long des trois mandats présidentiels de Chavez
Le passage de relais
En 2013, Chavez se sait condamné par la maladie. Il gagne haut la main les présidentielles au mois d’octobre, mais ne pouvant assumer ce nouveau mandat, il désigne avant de mourir le candidat qui devra continuer son combat, le syndicaliste Nicolas Maduro (préféré à Diosdado Cabello pourtant issu comme lui de l’armée). Maduro remporte l’élection d’une courte tête (50,60 %) contre le candidat de l’opposition Enrique Capriles (49,10 %) qui, déçu, déclare : « je comprends que mes partisans sortent dans la rue décharger leur colère ». Il est entendu et les échauffourées feront 7 morts.
Tortueux, mais pas assez vindicatif ni violent, Capriles laisse le devant de la scène à Leopoldo Lopez. Ce fils de bonne famille photogénique tout juste diplômé se lance en politique et crée son parti « Voluntad popular ». Parti qui n’a qu’un but : conquérir le pouvoir ; et qu’une méthode : la guérilla urbaine médiatisée.
Lopez met le pays à feu et sang, en direct sous les objectifs des médias nationaux, puis des médias internationaux alléchés par la violence, la rue qui brûle, le sang qui coule et cette image d’une lutte acharnée « des démocrates contre la dictature ! ».
Le slogan « Maduro la salida ya » soit « Maduro va-t’en de suite » fait un bilan de 43 morts. Lopez peut compter sur le soutien de Maria Corina Machado jusqu’à ce qu’il soit arrêté, et d’Antonio Ledezma, maire du grand Caracas, qui le remplacera avant que lui-même ne soit à son tour emprisonné (accusé de complot contre le président) en février 2015.
La victoire de l’opposition
Cette contestation violente est bénéfique à l’opposition qui remporte les législatives de décembre 2015 avec une confortable avance, et en sort majoritaire à l’assemblée. C’est l’euphorie ! D’autant qu’elle a le soutien inconditionnel du président américain (et prix Nobel de la paix) Obama qui signe au même moment un décret selon lequel le Venezuela représente une menace pour les États-Unis ! L’opposition va en perdre le sens de la mesure.
Parallèlement, et comme un fait exprès, les Vénézuéliens ne trouvent plus rien dans les magasins, et des files d’attente s’allongent sur plusieurs centaines de mètres pour un peu de riz ou de farine. Poussés par la faim, les premiers commencent à quitter le pays. L’opposition redouble sa pression, exige le départ de Maduro, organise de violentes manifestations de rue. Bilan : 167 morts.
Pour mettre un terme à trois années de guérilla urbaine, Maduro décide d’avancer la date des présidentielles (20 mai 2018) pour que les Vénézuéliens tranchent démocratiquement. Face à ce défi, seule une partie de l’opposition participe au scrutin, l’autre non. Ceux qui réclamaient à grands cris des élections décident subitement qu’ils n’ont plus confiance dans le mode de scrutin, qui n’a pourtant pas varié d’un pouce depuis les élections législatives qu’ils ont remportées trois ans plus tôt.
Il s’agit en fait d’une manœuvre : les États-Unis de Trump ne veulent plus entendre parler de « socialisme du XXIe siècle » et décident de reconnaître le président de l’assemblée Juan Guaido comme président du Venezuela : il vient juste, quel hasard, de s’autoproclamer ! Derrière les États-Unis, l’Union européenne, en fait une soixantaine de pays le reconnait aussi. Mais la nouvelle coqueluche des médias (et des chancelleries) n’arrive pas à grand-chose, et après avoir tout essayé, y compris le paiement de mercenaires pour supprimer Maduro, disparaît (via les États-Unis) comme il était arrivé sans que personne ne le regrette.
Une nouvelle marionnette
A l’approche des élections de 2024, les États-Unis desserrent un peu le blocus pour tenter de peser sur les négociations entre Maduro et l’opposition. Ils ont jeté désormais leur dévolu sur Maria Corina Machado qui compte depuis longtemps sur le soutien des Républicains (reçue dès 2002 par Georges W. Bush alors qu’elle dirigeait l’ONG « Sumate »(1)ONG vénézuélienne financée par les États-Unis.). Les Américains savent qu’ils peuvent compter sur celle pour qui un « rouge » est un « rouge » donc un ennemi. Elle a soutenu Leopoldo Lopez, elle a soutenu Guaido (qu’elle trouvait un peu timoré). Elle a demandé avec eux plus de sanctions contre son pays, appelé de ses vœux une intervention militaire (soit des États-Unis, soit d’une armée régionale), et n’a jamais reconnu le gouvernement Maduro, pourtant élu démocratiquement.
Guaido disparu, le moment est venu pour elle de jouer, enfin, le premier rôle. Elle se présente à une primaire organisée par la plateforme de l’unité d’opposition, à laquelle ne se présente aucun de ses rivaux du moment, ni Capriles parce qu’il est inhabilité, ni Manuel Rosales parce qu’il dit préférer gouverner l’État du Zulia. Machado l’emporte. Le problème, c’est qu’elle aussi est inhabilitée depuis plusieurs années déjà (pour des irrégularités comptables lorsqu’elle était députée). Et que treize autres candidats, tous de l’opposition, se présentent aussi au scrutin. Et que Manuel Rosales, revenant sur sa décision, dépose sa candidature cinq minutes avant la clôture des inscriptions… La plateforme de l’unité de laquelle se réclame Machado est donc représentée.
Celle qui a plus de poids à l’extérieur que dans son propre pays soutiendra-t-elle Rosales, symbole de ceux qu’elle qualifie de « dinosaures complices du pouvoir » ? Quel jeu va-t-on faire jouer à la nouvelle marionnette des États-Unis, de l’Union européenne, et des amis de Milei ou Bolsonaro ?
Des amis de Maduro s’élèvent contre lui
A l’international, dans le vacarme contradictoire des prises de position multiples, certaines étonnent. Celles du président colombien Gustavo Petro ou du brésilien Lula (ce dernier il est vrai lors de la visite officielle de Macron) qui semblent se désolidariser de Maduro. Mais les Bolivariens savent que le Lula de 2024, à la tête d’une coalition très large, ne règne plus en maître dans son pays. Quant à Petro, il suit d’un peu trop près son ministre des Affaires étrangères, Luis Gilberto Murillo, passé par plusieurs ONG américaines dont l’USAID. Maduro renvoie les deux leaders dos à dos qui selon lui « parlent pour défendre d’autres intérêts » que celui du combat frontal contre l’extrême droite qui gangrène le continent latino-américain.
Et le parlement vénézuélien adopte une loi « contre le fascisme, le néo-fascisme et expressions similaires » qui interdit désormais toute organisation qui les promouvrait.
Commentaires de Lucho
Le gouvernement bolivarien sait que, depuis plus de vingt ans, les États-Unis mènent un combat idéologique contre le socialisme et ne s’en cachent pas. Ils bénéficient en cela du soutien complice d’un parlement européen toujours plus à droite et voient avec satisfaction les idées de l’extrême droite gagner du terrain partout en Amérique latine : après la conquête de plusieurs bastions, dont l’Argentine de Milei, le Chili ou le Brésil sont dans le viseur.
Pendant des années, le Venezuela a été le théâtre d’une lutte âpre contre les tentatives américaines pour imposer tour à tour Pedro Carmona par un coup d’État, Leopoldo Lopez par la violence de rue, Juan Guaido par la pression internationale, et maintenant Machado par la voie électorale alors qu’elle est inéligible… Or l’opposition, largement représentée (treize candidats !) aux prochaines présidentielles est incapable d’un programme commun autre que la défaite de Maduro.
Les États-Unis et l’Union européenne ressemblent à ceux qu’ils appuient les uns après les autres au Venezuela : des individualistes dépourvus de conscience politique et de conception de l’État, des va-t-en-guerre au nom d’une liberté dont le terme reste à définir. Oui, la bagarre est idéologique. Et c’est d’ailleurs ce que vient de confirmer le président mexicain Manuel Lopez Obrador en déclarant : « le Venezuela a toute la droite du monde contre lui ».
Notes de bas de page
↑1 | ONG vénézuélienne financée par les États-Unis. |
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