Le Royaume-Uni est toujours en train d’essayer de comprendre les raisons et les conséquences du vote demandant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
La presse a rapidement relayé des témoignages d’électeurs regrettant un vote dont ils n’avaient pas pesé toutes les conséquences. Ça a pu donner l’impression que les 51,9 % de Britanniques qui avaient voté pour quitter l’UE s’en mordaient un peu les doigts. Un reportage du Guardian, mis en ligne le 27 juin, rappelle qu’une très grande partie de cet électorat revoterait de la même façon, et que le spectre de la politique économique de Margaret Thatcher, vieux de trente ans, n’y est pas étranger.
Le journaliste Mike Carter a publié, quatre jours après le référendum, un reportage réalisé auprès des Britanniques qui ont massivement voté le « Leave », loin des centres-villes et des grosses agglomérations, dans les campagnes et la périurbanité. Il a marché, pendant un mois, entre St George’s Hall, à Liverpool, et Trafalgar Square, à Londres. La même marche de 340 miles effectuée en 1981 par quelque trois cents chômeurs, dont son père Peter, pour protester contre la politique économique de la Dame de fer.
« A travers les terrains vagues du déclin industriel »
Trente-cinq ans après, Mike Carter a traversé le même territoire, des bassins miniers, d’usine ou d’automobile économiquement dévastés, laissés à l’abandon politiquement. Il a échangé quelques mots ou longuement discuté avec des Britanniques croisés dans des quartiers pavillonnaires, dans des rues où tous les magasins étaient fermés.
28/06/16
« Mon voyage était une tentative pour comprendre ce qu’il était arrivé en Angleterre depuis cette époque-là. Ce que j’ai vu et entendu m’a donné l’impression inquiétante que les immenses changements sociaux provoqués par le thatchérisme ont toujours de profondes répercussions sur des populations partout en Angleterre (…). Lorsque je me suis réveillé vendredi dernier, le résultat du référendum ne m’a pas surpris le moins du monde. »
Mike Carter décrit sa marche « à travers des immenses centres commerciaux à la bordure des villes, les terrains vagues du déclin industriel à Widnes et Warrington (…), les rues où tous les pubs étaient fermés avec des planches. Et les boutiques, si vous pouvez les trouver, avaient pour fenêtres des murs de briques et pour portes et des grilles de métal, comme en prison ».
« A travers Stockport, Macclesfield, Congleton. Le drapeau de St-George flottait, sur des mâts et dans les gouttières. Des posters ’Leave’ étaient partout. Je n’en ai pas vu un seul pour ’Remain’ (…). Les villes changeaient, le message était le même : ’Il n’y a pas de boulot convenable’ ; ’les politiciens ne se préoccupent pas de nous’ ; ’on nous a oubliés’ ; ’trahis’ ; ’il y a trop d’immigrés, et on ne peut pas lutter contre les salaires qu’ils acceptent’. »
En allant vers le sud, Peter Carter s’attend à voir « la situation économique changer ». Mais les rues de Bedford ou Luton, dans le Bedfordshire, sont les mêmes, « des bureaux de paris, des fast-foods, des salons de tatouage. Et la réponse à la question du ’in’ ou du ’out’ n’a jamais changé ». Ce n’est qu’en arrivant à Londres que le rapport s’inverse, et plus il s’enfonce dans la capitale, plus il a l’impression d’être « littéralement et spirituellement dans un autre pays ».
« On les connaît, ces villes sans prestige et presque sans nom »
Le Guardian décrit cette Angleterre du « Brexit » que l’on connaît mal en France. Notre directeur adjoint des rédactions, Benoît Hopquin, rappelle que l’on connaît pourtant « assez bien son équivalent en France ».
« Quand les envoyés spéciaux parlent des fractures du Royaume-Uni, révélées par le référendum du 23 juin, on constate ici les mêmes, exactement les mêmes. On pourrait citer tant de villes qui ressemblent à celles qui ont voté la sortie de l’UE, tant de Thurrock-sur-Loire, de Bolsover-sur-Rhône, d’Ashfield-sur-Garonne. (…)
On les connaît, ces villes sans prestige et presque sans nom. On pourrait les décrire les yeux fermés. A l’entrée, il y a la zone commerciale et le supermarché. Le prix de l’essence est affiché en gros : ses variations dictent en partie l’humeur et les fins de mois.
Il y a les petits commerces souvent franchisés de la rue piétonne, qui baissent leur rideau entre midi et deux, quand ils ne le font pas pour toujours. Il y a les dimanches soir d’ennui, quand tout est fermé, et les lundis de ville morte. Il y a l’usine, à l’abandon ou qui tourne au ralenti, rachetée, revendue, dépecée peu à peu, bientôt carcasse vide. Les machines ont filé ailleurs, les hommes sont restés, qui ont moins de valeur. Les enfants partent aussi. Ils vont étudier dans la capitale régionale et ne reviennent plus. »