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Conflit Ukraine-Russie : quelle réalité et quelles issues ?

Enlèvement d'Europe par Noël Nicolas Coypel, c. 1726.

Le conflit à l’Est de l’Europe semble s’enliser avec son lot de morts, de blessés, de destructions massives… Nous n’aurons pas la prétention de définir la ou les solutions pour sortir de manière humaine et juste de cette guerre. Notre position est de parvenir à un cessez-le-feu à partir d’un compromis entre toutes les parties prenantes qui ne soit pas compromission eu égard aux intérêts jugés vitaux par les belligérants.

 

Pour ce qui nous concerne, nous avons toujours eu la volonté de nous départir du manichéisme qui situe les « bons » dans un camp et les « méchants » dans l’autre. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur la généalogie de ce conflit meurtrier, généalogie qui permet de mettre à distance les positions simplistes souvent guerrières des « va-t-en-guerre » de salon qui savent qu’ils ne seront pas envoyés au front ou au-devant de la mort.

 

La situation à l’Est pose plus de questions auxquelles les réponses éventuelles peuvent paraître surfaites et manquées de lucidité.  En démocratie, s’interroger, ne rien écarter, ne rien considérer comme tabou est essentiel.

 

La ligne sur laquelle notre journal ReSPUBLICA souhaite se positionner demeure l’instauration d’un cessez-le-feu rapide, et l’ouverture d’une conférence internationale pour que la paix revienne à l’est de l’Europe. Ce ne sont pas les rodomontades du président Macron qui permettent d’aller dans ce sens.

Des experts qui se trompent souvent.

Pour cela, il faut s’émanciper des émissions de télévision, de radio, des réseaux sociaux, des journaux ayant pignon sur rue. Ce sont autant de lieux où se succèdent des experts déclinant la même pensée unique ou avec des nuances infimes, déclinant leurs mêmes certitudes successives :

Il s’avère que sur tous ces points les experts autoproclamés se sont trompés sur toute la ligne. La croissance de l’économie russe est positive. Les sanctions ont renforcé l’indépendance économique russe. La ligne politique poutinienne, aussi autocratique et liberticide qu’elle soit, semble conserver un soutien non négligeable dans la population. Certes, il est difficile dans une autocratie de connaître le sentiment d’une population. La foule rassemblée aux obsèques de Alexeï Navalny semble montrer qu’une partie du peuple russe ne suit pas Poutine.

Que savons-nous ?

Même s’il n’y a souvent pas sujet à certitudes, il est des aspects qui devraient nous pousser à nous interroger.

Implications et ingérence étatsuniennes

L’enquête publiée par le New York Times, le 25 février, révèle que l’Ukraine, depuis 2014, a autorisé la CIA à installer 12 bases secrètes, à former les services de renseignements ukrainiens pour s’informer sur la Russie au profit des services nord-américains. Ainsi ont été mises sur pied des exécutions de séparatistes ukrainiens. Les services secrets nord-américains sont toujours sur place depuis le déclenchement des hostilités par la Russie.

Le New York Times n’hésite plus à proclamer, ce que nous savions plus ou moins, que les Nord-Américains, en 2008, contre l’avis du Président français et de la Chancelière allemande, tenaient à intégrer la Géorgie et l’Ukraine afin d’isoler la Russie considérée comme l’ennemi. Il fait beau à présent d’agonir Poutine de tous les maux après l’avoir poussé dans ses retranchements.

De même, peu après le déclenchement du conflit par la Russie, les pourparlers entre Russes et Ukrainiens ont été sabotés par les « va-t-en-guerre » occidentaux dont les responsables de l’OTAN qui n’approuvaient pas un éventuel cessez-le-feu permettant une sortie honorable pour toutes les parties.

Démocratie ukrainienne vs autocratie russe

Les réticences des États-Unis à débloquer les dizaines de milliards d’aides à l’Ukraine, principalement de la part des républicains, mais aussi de certains démocrates, peuvent s’expliquer par le régime ukrainien gangréné par la corruption généralisée. Ainsi déverser des milliards en Ukraine revient à verser des litres et des litres d’eau dans le désert. Une telle corruption n’est pas le symbole d’une démocratie authentique et vivante.

Nul doute que la Russie est loin d’être un État démocratique vu le sort réservé aux opposants à la politique de Poutine.

Navalny vs Assange : deux poids deux mesures

Pour les atlantistes, Alexeï Navalny était considéré comme l’opposant parfait à Poutine. Il a été condamné après une parodie de justice à passer de prison en prison jusque dans un camp en Sibérie. Il a eu un geste héroïque en retournant en Russie tout en sachant ce qui l’attendait. Son principal fait d’armes a été la dénonciation justifiée de la corruption et du détournement de fonds par Poutine pour édifier un immense palais.

En ce sens, Poutine est un successeur de notre Louis XIV qui lui aussi a édifié un grand palais, a mené des guerres saignant l’économie du royaume de France, a organisé des dragonnades à l’encontre des huguenots les forçant à se convertir au catholicisme, enlevant leurs enfants pour les placer dans des familles de la « bonne » religion, celle du roi(1)Pourtant, il a été donné son nom à établissement public prestigieux, Louis le Grand. Loin de nous l’idée de nous soumettre à la « cancel culture » (culture de l’effacement) et de vouloir débaptiser. Il suffit de s’appuyer sur un travail d’historien pour établir une biographie mêlant « bon et mauvais » côtés. Les pamphlétaires, comme Voltaire, qui se sont exprimés pour dénoncer le bilan du règne de Louis le quatorzième ont joué leur rôle..

Alexeï Navalny, bien que nous ne le considérions pas comme fait du même bois que Voltaire critiquant le règne absolutiste de Louis XIV, a joué le rôle de pamphlétaire et n’aurait pas dû être emprisonné ou empêché. En revanche ceux qui se pâment devant Alexeï Navalny omettent de signaler ses positions racistes et xénophobes, notamment le fait de comparer des musulmans à « des cafards et des mouches ». Au nom de la lutte contre la Russie, Alexeï Navalny serait intouchable et quiconque rappelle ses dérapages racistes est qualifié de pro-Poutine.

On fait mieux en matière de débat démocratique.

Julian Assange, connu comme le fondateur de Wikileaks et lanceur d’alerte a dévoilé les crimes de guerre vérifiés, notamment des États-Unis, est enfermé dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, le Guantánamo britannique. Il est considéré en état de « mort vivant » et attend une potentielle mesure d’extradition vers les États-Unis où il risque une condamnation à plus de cent ans d’emprisonnement pour avoir joué son rôle de journaliste essentiel dans une démocratie. Ainsi certains journaux occidentaux n’hésitent pas, au lieu de le défendre, à prétendre qu’il s’est « compromis avec le régime russe, sans doute par aveuglement antiaméricain »(2)Le Monde, 20 février 2024., à l’accuser de surfer sur « le soutien opportuniste le plus radical et complotiste »(3)Libération, 2 mai 2019. De là à considérer que Julian Assange est manipulé par le Kremlin, il n’y a qu’un pas.

Il serait bien que nos journalistes en cours affichent la même volonté de défendre la liberté en Russie que dans le monde occidental, la même détermination à condamner le sort mortifère de Alexeï Navalny et à défendre, quand il en est encore temps, Julian Assange pour lequel une même fin que pour Navalny est plus que probable.

D’autres opposants privés de liberté

N’oublions pas les autres opposants, souvent classés à gauche ou centre-gauche. Gorinov(4)Élu municipal moscovite, Alexeï Gorinov a été condamné à sept ans de prison vendredi 8 juillet 2022 pour avoir dénoncé l’assaut russe contre l’Ukraine., Kara-Mourza(5)Avril 2023, Vladimir Kara-Mourza, opposant à Vladimir Poutine, est condamné à une peine de vingt-cinq ans de prison en Russie pour « haute trahison », par un juge à l’impartialité qui prête fortement à caution., Skotchilenko(6)Novembre 2023, militante contre la guerre, Alexandra Skotchilenko a été condamnée à sept ans d’emprisonnement en colonie pénitentiaire à l’issue d’un simulacre de procès., ne font pas l’objet d’une attention particulière chez les Occidentaux bien pensants tant le seul qui méritait qu’on le porte, fallacieusement, en étendard de la démocratie était Alexeï Navalny. Pourtant, comme ce dernier, ils risquent de mourir en prison notamment pour avoir simplement qualifié de guerre ce que le Kremlin qualifie d’« opération spéciale » comme la France lors de la « Guerre d’Algérie ».

Il est deux cas particuliers, entre autres, celui de Sergueï Oudaltsov(7)Opposant à Poutine, Oudaltsov a été condamné à quatre ans et demi de camp coupable, avec l’un de ses proches, Leonid Razvozjaev, de « préparation à des troubles massifs »., cofondateur du Front de Gauche russe. Il avait été emprisonné pour l’organisation de manifestations anti-Poutine.

Opposant à Poutine qu’il demeure, il semble se rallier à la guerre contre l’Ukraine. Un autre cofondateur du Front de Gauche russe, Alexey Sakhnin a quitté ce mouvement d’opposition lui reprochant d’approuver à 80 % « la politique impérialiste russe ». Il estime que la classe dirigeante russe « a tout simplement supprimé le vernis démocratique et est passée à une dictature radicale ». Il répond « aux agents de propagandes du Kremlin », qu’il accuse « d’avoir déclenché une guerre fratricide », qu’il « n’a pas gardé le silence » quand « on tuait des enfants dans le Donbass » (par les Ukrainiens).

Interrogations multiples quant à la situation géopolitique et sur le terrain

La « sortie » va-t-en-guerre de Macron, à savoir la possibilité d’envoyer des troupes au sol, interpelle sur sa lucidité quant à la situation. Est-ce une « commande » de l’OTAN pour tester la réaction de l’opinion publique européenne ? Ces dernières années, l’approche macroniste des problèmes relève du vocabulaire guerrier : face au Covid, nous sommes en guerre, face à la baisse de la natalité, il faut un réarmement démographique…

Les informations des deux camps reposent sur le mensonge notamment en ce qui concerne le nombre de morts.

Il y a la réticence à virer de l’argent de la part des États-Unis pour les raisons citées plus haut. Le signal est clair que les USA n’ont pas la volonté d’envoyer des troupes. A cela s’ajoute que les intérêts de la puissance américaine divergent des intérêts européens du fait que la Russie est proche de l’Europe et éloignée des USA.

Le soutien occidental, notamment européen qui n’en a pas les moyens, n’est pas à la hauteur pour résister à l’armée russe. Selon les observateurs, la Russie lance 40 000 obus/jours et la France escompte produire et expédier 5 000 obus/mois. Pour l’instant, la France contribue à l’effort de guerre en achetant des obus fabriqués à l’étranger, selon certaines sources, donc à vérifier, en Inde. Selon les Américains, donc alliés de l’Ukraine, l’armée ukrainienne ne disposait que de 300 000 hommes sur la ligne de front sur un effectif total autour de 600 000 hommes.

Toujours selon les alliés américains, l’Ukraine aurait perdu autour de 200 000 tués et blessés graves. C’est pourquoi apparaît le projet de mobiliser 500 000 nouveaux conscrits… Cet objectif est contrarié par le manque d’enthousiasme des mobilisables, c’est dire la gravité de la situation. Comme pour les armes fournies, cela est très insuffisant face aux effectifs russes.

L’élargissement à d’autres régions européennes est envisageable. La question de la Transnistrie, à l’Est de la Moldavie, qui, de facto, est indépendante depuis 33 ans se pose avec la présence de troupes russes en soutien aux séparatistes majoritaires.

Aux propos au mieux volontaristes, au pire bellicistes, de Emmanuel Macron, pour l’instant isolé, répond les discours menaçants de Vladimir Poutine, sûr de lui, et de l’ancien président, Dimitri Medvedev qui évoque le retour de la ville « russe », selon les Russes, d’Odessa située sur la mer Noire. Ce propos très en phase avec la rhétorique outrancière de l’ancien président russe est à mettre en lien avec la Transnistrie citée plus haut.

Un avenir incertain

La situation sur le terrain peut changer à tout moment. Elle est au point de rupture dans un camp comme dans l’autre.

Quels que soient l’évolution sur le terrain et le résultat des élections aux États-Unis, les nations qui composent l’Union européenne ne peuvent continuer à assécher leurs réserves en armements pour les transférer à l’Ukraine. La meilleure raison est qu’elles doivent prévoir le risque d’une extension à l’ouest du conflit russo-ukrainien.

La France doit renforcer sa défense et son rôle, dans une stratégie non atlantiste, d’émancipation à l’égard des USA ; elle doit aider l’Ukraine à obtenir une paix honorable. Comme pour notre souveraineté alimentaire, confier à d’autres le soin de nous défendre serait une folie. L’alliance au sein de l’Union européenne ne peut, comme l’affirme l’ancien conseiller spécial du président Sarkozy, aboutir en une intégration de l’armée française dans une armée européenne.

Ainsi, pour préserver notre souveraineté, il faut être prêt à se défendre et agir comme nous l’affirmons plus haut, pour un cessez-le-feu et l’organisation d’une Conférence internationale pour le retour à la paix. Il s’agit d’éviter à tout prix une guerre nucléaire qui risque d’advenir si la France s’engage directement par l’envoi de troupes, engagement pour lequel nous sommes loin d’être prêts tant nos effectifs disponibles en soldats sont faibles depuis que la conscription a été supprimée. Les opérations militaires en Afrique nous l’ont montré.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Pourtant, il a été donné son nom à établissement public prestigieux, Louis le Grand. Loin de nous l’idée de nous soumettre à la « cancel culture » (culture de l’effacement) et de vouloir débaptiser. Il suffit de s’appuyer sur un travail d’historien pour établir une biographie mêlant « bon et mauvais » côtés. Les pamphlétaires, comme Voltaire, qui se sont exprimés pour dénoncer le bilan du règne de Louis le quatorzième ont joué leur rôle.
2 Le Monde, 20 février 2024.
3 Libération, 2 mai 2019.
4 Élu municipal moscovite, Alexeï Gorinov a été condamné à sept ans de prison vendredi 8 juillet 2022 pour avoir dénoncé l’assaut russe contre l’Ukraine.
5 Avril 2023, Vladimir Kara-Mourza, opposant à Vladimir Poutine, est condamné à une peine de vingt-cinq ans de prison en Russie pour « haute trahison », par un juge à l’impartialité qui prête fortement à caution.
6 Novembre 2023, militante contre la guerre, Alexandra Skotchilenko a été condamnée à sept ans d’emprisonnement en colonie pénitentiaire à l’issue d’un simulacre de procès.
7 Opposant à Poutine, Oudaltsov a été condamné à quatre ans et demi de camp coupable, avec l’un de ses proches, Leonid Razvozjaev, de « préparation à des troubles massifs ».
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