Pour le PSOE au pouvoir à Madrid, l’horizon semblait d’un noir absolu. En effet, au printemps dernier, le 28 mai 2023 exactement, le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, avait subi une lourde défaite lors des élections municipales et régionales. Le scrutin portait sur la totalité des municipalités espagnoles et sur douze des dix-sept communautés autonomes. C’est dans ce contexte que Pedro Sanchez décida de tenter le tout pour le tout en avançant au mois de juillet les élections générales qui devaient se tenir normalement en décembre : un coup de poker pour maintenir la coalition de gauche au pouvoir.
Le PSOE à la dérive en mai dernier submergé par la droite et l’extrême-droite
Mais rembobinons le film des événements depuis la victoire du bloc de droite aux municipales et régionales de mai 2023.
Au printemps, le parti populaire (PP) d’Alberto Núñez Feijóo fut le grand vainqueur de ces élections. Le parti populaire avait remporté six des dix régions jusque-là dirigées par le parti socialiste espagnol (PSOE). Il s’agit des communautés d’Aragon, des Baléares, de Cantabrie, de la Rioja et de la communauté de Valence.
Le PP remporta les élections municipales avec 31,5 %, alors que cette formation n’avait obtenu que 22,6 % en 2019 lors de ces élections, donc presque dix points de plus.
Le succès du PP en mai dernier s’explique par une grande mobilisation de l’électorat de droite, mais aussi par la disparition du parti Ciudadanos, le parti de la droite libérale. Ce parti est passé de 8,73 % en 2019 à 1,35 % aux élections municipales et régionales. Ciudadanos s’est littéralement effondré sur lui-même. Son déclin date de 2019. Lors de ce scrutin législatif, son programme était quasiment le même que celui du PP. Progressivement, ses électeurs ont choisi l’original à la copie et se sont stabilisés dans un vote pour la droite classique. D’ailleurs, Ciudadanos n’a même pas présenté de candidats à la députation lors des élections de juillet 2023.
L’autre grand gagnant fut Vox, le parti d’extrême-droite. Ainsi, avec plus de 1,5 million de voix aux municipales (7,19 %), il a doublé son score en quatre ans. Par ce succès, le parti d’extrême-droite devint incontournable pour remporter les présidences de région, en alliance avec le PP.
Autre perdant des municipales et régionales : Unidas-Podemos
Le PSOE recula légèrement par rapport à 2019, il passa à 28,1 % (contre 29,38 % en 2019). Mais ce qui rendit la défaite, lors de ces élections locales et régionales, si lourde pour Pedro Sanchez, ce fut le recul électoral de la gauche radicale. Cela entraîna la perte des régions gouvernées grâce à l’accord entre le PSOE et le bloc radical Unidas-Podemos. Ainsi, le PSOE perdit la région de Valence, où il gouvernait avec Compromis, Mas Pais et l’UP. Les socialistes continuèrent de s’affaiblir en Andalousie (perte de Séville), mais devinrent, par contre, la première force politique en Catalogne où ils dominèrent dans la métropole de Barcelone. Dans la capitale catalane, les socialistes prirent la direction de la municipalité grâce à un accord avec En Comu-Podemos, cela fit d’ailleurs barrage à la droite nationaliste catalane pour diriger la mairie.
La gauche radicale, la coalition Unidas-Podemos, présentait des candidats dans dix des douze communautés autonomes. Dans ces entités régionales, ce bloc d’extrême-gauche avait des élus et participait aux exécutifs des gouvernements régionaux.
Mais aux élections de mai dernier, le résultat de la coalition radicale Unidas-Podemos fut une terrible débâcle électorale. Dans la plupart des communautés autonomes où elle se présentait, elle n’atteignit pas les 5 % nécessaires pour avoir des élus ; donc, la coalition d’extrême-gauche n’est plus représentée aujourd’hui dans les communautés autonomes de Madrid, du Pays Valencien, des Îles Canaries et des Îles Baléares. La coalition Unidas-Podemos, n’a plus que quinze conseillers régionaux sur quarante-sept. Il lui reste cinq conseillers en Aragon, quatre dans les Asturies et trois élus en Navarre.
Podemos est une organisation politique qui s’effondre. Elle a connu des désaccords internes et avec le temps, le départ de certains leaders, elle est devenue un parti classique. Ce n’était plus le mouvement de transformation sociale issu du mouvement des indignés de 2011. Bref, le « sociétal » a remplacé le « social ». De plus, Podemos, aujourd’hui dirigé par Ione Belarra, a été terni par les polémiques autour de certaines mesures teintées de « wokisme » qu’il a portées à bout de bras. Par exemple, la loi dite « transgenre », qui permet de changer de genre dès seize ans via une simple déclaration, fut mal acceptée y compris par les progressistes et les féministes. Autre échec retentissant : la loi « seul un oui est un oui ». Entrée en vigueur en octobre 2022, elle a instauré l’obligation de consentement explicite pour les rapports sexuels. Censé être une avancée féministe, ce texte confus et mal argumenté abaisse paradoxalement la peine minimum pour certains types de violences sexuelles en supprimant le délit d’« abus sexuel ». Elle a entraîné plus de mille réductions de peines et cent-cinquante sorties anticipées de prison d’agresseurs sexuels : un comble ! Cette loi a d’ailleurs été suspendue par les socialistes en avril pour « arrêter le massacre ».
La stratégie du coup de poker de Pedro Sanchez
Face au désastre du mois de mai, le leader socialiste a tenté un électrochoc pour remobiliser la gauche et empêcher l’arrivée de la droite / extrême-droite (PP-Vox) au pouvoir.
Cette stratégie n’est pas exactement une manœuvre politicienne pour se maintenir au pouvoir. Il s’agit plutôt d’un acte politique fort, un acte de résistance pour ne pas accepter le scénario écrit à l’avance, qui devait logiquement se terminer par l’accession au pouvoir de la droite et de l’extrême-droite. Cet électrochoc a été payant, en particulier pour le taux de participation aux législatives qui est monté à 70 %, soit 3,5 % de mieux qu’au dernier scrutin pour le parlement en 2019. La progression est aussi sensible par rapport aux municipales et régionales du printemps 2023, où la participation était de 63,9 %, soit un gain de plus de 6 %. Visiblement la mobilisation électorale a joué pour le camp démocratique.
Les élections de juillet : un enjeu espagnol, mais aussi européen
Le coup de poker de Sanchez qui a consisté à provoquer des élections législatives anticipées en juillet a eu un écho dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Car l’extrême-droite menace partout… une extrême-droite qui a déjà pris le pouvoir en Hongrie, en Finlande, en Pologne ou en Italie.
Dans les deux blocs qui s’affrontaient, PSOE et SUMAR (pour le bloc de gauche) et PP et Vox (pour le bloc de droite), les partis de gouvernement (PSOE et PP) ont choisi de faire campagne au centre.
Le PSOE avait comme objectif d’arrêter le flux des voix du PSOE qui allait vers le PP. Et le PP, quant à lui, a voulu faire oublier les accords qu’il passe systématiquement avec Vox. Mais seuls les amnésiques peuvent oublier cette convergence droite-extrême-droite.
L’entame de campagne s’annonçait pourtant mal pour la gauche, car lors du débat télévisé organisé par la RTVE, le face-à-face entre Pedro Sanchez et Alberto Núñez Feijóo tourna en faveur du chef de la droite conservatrice. Ce dernier était plus calme que le chef du gouvernement qui semblait, lui, tendu. La campagne a été l’occasion pour la droite conservatrice de mettre en avant un seul slogan réductionniste : « non à Sanchez ! ».
Pour le bloc de gauche, le président de gouvernement a, au fil des semaines, mis en avant son bilan :
- réforme du travail avec le recul du chômage
- revalorisation des retraites
- hausse importante du salaire minimum
- politiques fiscales visant à réduire le coût de l’énergie.
La gauche radicale Sumar et l’extrême-droite VOX : des campagnes clivantes
Les campagnes électorales « des troisièmes » étaient différentes de la campagne du parti populaire et du PSOE, elles cherchaient l’une comme l’autre à rassembler les électeurs « hors système ». Bien sûr, ces deux partis proposaient des choix de société radicalement opposés.
Sumar est une coalition de partis de gauche qui intègre le parti Podemos. Elle s’est créée au lendemain de l’annonce des élections générales. Sa présidente est la ministre du Travail dans le gouvernement de Pedro Sanchez, dont elle est également vice-présidente.
Sumar a fait une campagne électorale avec une exigence principale : de nouvelles mesures pour réduire les inégalités et une meilleure imposition des richesses. Les autres mesures proposées étaient entre autres :
- la limitation des hausses de loyers
- la réduction du coût des hypothèques payées
- la réduction progressive du temps de travail
- l’augmentation de l’impôt sur les grandes fortunes.
À l’autre bout de l’échiquier politique, le parti d’extrême-droite Vox bénéficiait du fait qu’il est présent dans le paysage politique depuis bien plus longtemps que Sumar. En effet, depuis dix ans, le parti de Santiago Abascal ne cesse d’augmenter son audience, ses résultats et il est aujourd’hui le troisième parti politique en Espagne. Sa campagne était à son image : bruyante, brutale et excluante. Vox a clamé ses slogans habituels, en résumé : « autorité parentale-non à l’idéologie du genre-oui à la sécurité dans les rues-non à l’immigration illégale-oui inébranlable à l’Espagne, notre patrie ». Ce sont les propres mots de Santiago Abascal scandés lors de son dernier meeting.
À l’annonce des résultats, le gagnant a perdu, mais… !
À l’annonce des résultats fin juillet, la situation fut un peu rocambolesque : le parti populaire a gagné les élections, il est devant en nombre de sièges, mais est dans l’incapacité de gouverner le pays.
Le parti populaire obtient 136 sièges et le parti d’extrême droite Vox obtient 33 sièges. Le parti populaire gagne donc 47 sièges et le parti d’extrême-droite en perd 19. Ce bloc politique très conservateur obtient en tout 169 sièges, ce qui ne lui permet pas de gouverner à 7 sièges près. En effet, la majorité absolue pour pouvoir gouverner le pays est de 176 sièges.
Le bloc gauche, composé du PSOE et de Sumar obtient 153 sièges, avec 123 sièges pour le POSE et 31 pour la Sumar. Et, si on ajoute éventuellement les partis indépendantistes ou régionalistes (PNV, ERC, Bildu et BNG), la coalition n’obtiendrait que 172 sièges… à 4 sièges de la majorité.
Que faut-il conclure de cette séquence électorale ?
Pour l’Espagne, c’est un acte de résistance contre « l’extrême droitisation ». Par rapport aux scrutins municipaux et régionaux de mai dernier, les citoyens démocrates se sont mobilisés, en particulier par le vote par correspondance. Cette « extrême- droitisation » n’a pas eu lieu, mais de justesse !
À l’issue de ces élections législatives de fin juillet, des tractations ont eu lieu entre Sumar et Junts le parti indépendantiste, dont le patron n’est autre que Carles Puigdemont, exilé en Belgique. Les exigences de Junts sont : droit à l’autodétermination et amnistie !
Dans le même temps, le roi Philippe VI a chargé le président du Parti Populaire de réunir les soutiens parlementaires nécessaires à son investiture en tant que chef de l’exécutif. Le débat pour trouver une majorité parlementaire aura lieu les 26 et 27 septembre prochains.
Les démocrates en Europe poussent un « ouf ! » de soulagement, car cette élection empêche les conservateurs et l’extrême-droite acoquinés de se renforcer.
Pour les partisans d’une gauche républicaine, écologique et laïque, Pedro Sanchez est loin d’incarner la « gauche de gauche » que nous espérons.
Mais, ne pratiquons pas la politique du pire. Mieux vaut Sanchez et la Sumar que la droite et l’extrême-droite en Espagne et en Europe aujourd’hui, au moment même où la présidence de l’UE est assurée par l’Espagne.