Situation en Grande-Bretagne
L’année 2023 a été marquée par un mouvement social phénoménal par son ampleur touchant autant le secteur public que le secteur privé. La mobilisation avait pour cause essentielle le rattrapage du pouvoir d’achat par rapport à une inflation à deux chiffres frôlant les 14 %. L’ Office des statistiques nationales indique que le nombre de jours perdus en raison des grèves avait battu tous les records du XXIe siècle et des années 1990. Est-ce un renouveau du syndicalisme de combat ou un sursaut momentané ? Bien malin qui peut répondre à cette double question. L’un des moteurs de la mobilisation, pas le seul, fut le Syndicat national du rail et du transport maritime dont le secrétaire général a pu passer pour la figure de proue du mouvement dans toute la société britannique.
Les syndicats britanniques ont retrouvé de la vigueur et de la force sans toutefois être réhabilités en tant qu’acteurs légitimes intégrés comme dans la société industrielle d’avant Thatcher — acteurs qui pouvaient peser sur les décisions gouvernementales –. Thatcher avait mis fin à une organisation du travail tripartite entre employeurs, syndicats et gouvernement dans laquelle le rôle des syndicats était reconnu au travers, notamment et entre autres, du Conseil national de développement économique.
Batterie de mesures antisyndicales
Une batterie de mesures antisyndicales sont mises en place dans les années 1980 avec les « Employment Acts » et durcies en 2016(1)Voir cet article : https://journals.openedition.org/rfcb/1140?lang=fr :
- limitation drastique de la définition des piquets de grève et dans les locaux de leurs seuls employeurs, réduisant ainsi toute solidarité interprofessionnelle ou entre travailleurs d’autres usines ;
- durcissement de la législation avec la loi sur les syndicats de 2016. Il s’agit d’une introduction de seuils de participation minimale très stricts pour les scrutins de grève : une grève ne devient légale que si « 50 % des personnes habilitées à voter participent au scrutin, et si la majorité des votants y est favorable ».
Une tendance forte à la fusion de syndicats et l’émergence de syndicats plus « généralistes »
Outre ces mesures, les dernières décennies de politiques ultralibérales ont conduit à une chute vertigineuse des effectifs du secteur public de sept millions à cinq millions plombant d’autant l’influence syndicale.
Les années 2000 voient le nombre d’adhérents aux syndicats baisser de 8 millions à 6,25 millions en 2022 tout en stabilisant à 22 % le taux de syndicalisation (30 % au milieu des années 2000). Dans le secteur privé, le taux de syndicalisation stagne à 12 %.
Face aux urgences sociales et à cette désyndicalisation relative, les syndicats britanniques ont opéré des fusions pour constituer Community en 2004(2)Iron. and Steel Trades Confederation – la Confédération du commerce du fer et de l’acier – a fusionné avec d’autres syndicats plus petits.. Actuellement, trois grands syndicats représentent plus de la moitié des travailleurs syndiqués(3)Unite revendique actuellement 1,4 million de membres : c’est un syndicat mixte des ingénieurs (AEU) et du Syndicat des transports et des travailleurs généraux (TGWU) ; Unison, fusion de trois syndicats de la santé et des collectivités locales en 1993, compte 1,3 million de membres ; GMB, fusion du National Union of General and Municipal Workers et de l’Amalgamated Society of Boilermakers, Shipwrights, Blacksmiths and Structural Workers, compte un demi-million de membres. La philosophie du GMB se caractérise par une volonté intéressante de constituer un syndicalisme « généraliste », en opposition aux syndicats sectoriels traditionnels..
Des liens plus faibles, mais toujours réels avec les partis, dont le Parti travailliste
Le modèle d’intégration dans les TUC demeure même s’il est moins prégnant : ainsi les syndicats sont toujours affiliés au « Trades Union Congress » ainsi qu’au « Scottish Trades Union Congress » et au « Wales TUC ».
Il n’en demeure pas moins que la syndicalisation en Grande-Bretagne — entre 1/5 et 1/4 — se situe dans la moyenne haute en Europe au-dessus de l’Allemagne et ses 18 %, de l’Espagne et ses 19 % et bien au-delà de la France et ses 8 %. Mais ce fort taux se situe bien en deçà de celui des pays scandinaves et de la Belgique où les syndicats disposent d’une reconnaissance dans le système de protection sociale ; ceci expliquant, en partie, cela.
L’influence syndicale, notamment de « Unite », a été non négligeable quant à la poursuite de la ligne travailliste engagée par Jeremy Corbyn en faveur de l’élargissement du secteur public et d’une « révolution industrielle verte ».
Analyse de Jeremy Corbyn opposé au néolibéralisme : retour de la lutte des classes
Après un presque succès, 40 % des voix en 2017, qui l’a conduit à une marche du poste de Premier ministre et son échec face à Boris Johnson notamment en raison du référendum sur le Brexit, après les accusations d’antisémitisme, Corbyn s’est livré à une analyse de la situation en Grande-Bretagne pour le journal d’opinion français « Le Vent se lève » à l’occasion d’une manifestation « politico-musicale » organisée par le Parti du Travail belge. Il rappelle que dans les années 1970, la moitié de la population active britannique était syndiquée, notamment dans les industries lourdes et anciennes et dans les services publics.
La période initiée par Margaret Thatcher fut un retour aux politiques économiques des années 1930 qui avaient débouché sur la « Grande crise ». Il s’agissait pour la « Dame de fer » de détruire les forces syndicales et la propriété publique qui s’élevait à 52-53 % du PIB britannique. Depuis 2008, l’austérité a mis beaucoup de gens en situation d’insécurité économique et sociale. Une hausse relative de syndicalisation s’en est suivie ainsi qu’une recrudescence de l’activité syndicale. Cela n’a débouché ni sur des victoires ni sur des défaites. Les travailleurs ont obtenu une hausse des salaires à hauteur de l’inflation. La volonté de la Royal Mail de transformer son personnel en « travailleurs indépendants » à l’image des pratiques anti-sociales d’Amazon a été contrée avec réussite grâce à la mobilisation. A côté de ces victoires, d’autres luttes en cours dans le secteur ferroviaire et la fonction publique n’ont pas encore abouti à des réussites. Un accord a été obtenu par les enseignants dont l’avenir n’est pas assuré sur le long terme.
Dans le domaine de la production, il cite des exemples de productions « vertes » qui n’opposent pas maintien de l’emploi et transition écologique. Il insiste, comme dans nos colonnes de ReSPUBLICA, sur le lien entre urgence écologique et justice sociale en mettant l’accent sur le fait, souvent oublié, que ce sont « les communautés ouvrières, les classes populaires de Glasgow, Londres, Paris, Mumbai, New Delhi, New York ou Sao Paulo… » les premières victimes et surtout qu’elles sont celles qui émettent le moins de gaz à effet de serre et impactent, donc, le moins l’environnement. Il émet le principe de « faire payer les pollueurs », d’engager « une révolution industrielle verte » et de se baser sur une ligne politique qui lie « la protection du climat et le maintien du niveau de vie ». Tout cela doit se concrétiser avec le retour de la lutte des classes. Il prône le retour des services publics pour gérer les biens communs et insiste sur cette réalité « que la propriété publique est indispensable pour les services essentiels ».
Il se retrouve dans la notion d’hégémonie culturelle du mouvement « Peace and Justice Project » lancé en 2019 qui s’articule autour, d’une part, d’une « plate-forme de cinq revendications, sur les salaires, la santé, le logement, l’environnement et la politique internationale et la paix » et, d’autre part, de « l’idée que les arts et la culture font partie du mouvement syndical ».
Concernant la guerre en Ukraine qu’il considère comme « épouvantable », il dit que « l’agression russe est une erreur »(4)Note de l’auteur : C’est sans doute plus qu’une erreur : une faute contre l’intérêt général humain et du peuple ukrainien et du peuple russe. Dans le même temps, il reproche à « l’ONU et l’Union européenne » de n’avoir « rien tenté pour améliorer l’accord de Minsk afin de maintenir une paix relative ».
Nécessité d’élargir l’implantation syndicale dans le secteur privé
La progression du syndicalisme au Royaume-Uni sera, sans doute, tributaire des succès ou des échecs des luttes engagées par les Syndicats dans le secteur privé. L’obtention de la reconnaissance syndicale d’une branche du GMB dans l’entrepôt d’Amazon à Coventry ou le succès du syndicat dans le magasin Apple à Glasgow sera d’une grande conséquence pour atteindre l’objectif général du refus des travailleurs britanniques d’être pauvres.
Comme dans les autres pays européens, notamment en France, l’avenir syndical se jouera dans l’implantation forte et influente dans le secteur privé des services où sont employés la plupart des travailleurs britanniques.
Notes de bas de page
↑1 | Voir cet article : https://journals.openedition.org/rfcb/1140?lang=fr |
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↑2 | Iron. and Steel Trades Confederation – la Confédération du commerce du fer et de l’acier – a fusionné avec d’autres syndicats plus petits. |
↑3 | Unite revendique actuellement 1,4 million de membres : c’est un syndicat mixte des ingénieurs (AEU) et du Syndicat des transports et des travailleurs généraux (TGWU) ; Unison, fusion de trois syndicats de la santé et des collectivités locales en 1993, compte 1,3 million de membres ; GMB, fusion du National Union of General and Municipal Workers et de l’Amalgamated Society of Boilermakers, Shipwrights, Blacksmiths and Structural Workers, compte un demi-million de membres. La philosophie du GMB se caractérise par une volonté intéressante de constituer un syndicalisme « généraliste », en opposition aux syndicats sectoriels traditionnels. |
↑4 | Note de l’auteur : C’est sans doute plus qu’une erreur : une faute contre l’intérêt général humain et du peuple ukrainien et du peuple russe |