Le 7 novembre 2023, Antonio Costa annonça sa démission au chef de l’État du Portugal, le conservateur Marcelo Rebelo de Sousa. Antonio Costa déclara : « les fonctions de Premier ministre ne sont pas compatibles avec un quelconque soupçon portant sur mon intégrité. Dans ces circonstances, j’ai présenté ma démission au président de la République ».
Dans la foulée, le président de la République dissolvait le Parlement et convoquait des élections législatives pour le 10 mars 2024. L’issue fut catastrophique pour la gauche qui perdit les élections, mais aussi pour la droite avec l’augmentation massive des élus de Chega, « assez », à l’extrême-droite de l’échiquier politique portugais, qui a augmenté considérablement son nombre de députés au Parlement.
Quel paradoxe à quelques jours du 50e anniversaire de la « Révolution des œillets » !
Depuis 2015, Antonio Costa était le Premier ministre socialiste du Portugal. C’est un fils d’intellectuels de gauche. Son père est l’écrivain Orlando da Costa, qui naquit au Mozambique dans une famille originaire de Goa. Sa mère est la journaliste et féministe Maria Antónia Palla. En 1975, il a 14 ans lorsqu’il adhère aux jeunesses socialistes. En 1982 il entre à l’assemblée municipale de Lisbonne à l’âge de 21 ans. Il deviendra maire de Lisbonne en 2007. Antonio Costa a des racines fortes, tant par son histoire familiale que par son passé politique. En charge des affaires de son pays, il ne fut pas un gestionnaire de passage, ce qui ne veut pas dire que sa politique n’était pas contestable.
Une démission dans un contexte de scandales à répétition
Malgré sa réélection à la majorité absolue le 30 janvier 2022, sa popularité a décliné progressivement en raison de scandales récurrents, dont le plus marquant est le « TAPgate », nommé ainsi en référence à la compagnie aérienne publique « TAP Air Portugal ».
Cette compagnie aérienne fut contrainte de supprimer des emplois et de réduire les salaires dans le cadre d’un plan de restructuration imposé par Bruxelles. Cette réduction des salaires ne concerna pas visiblement le versement de l’indemnité de départ de 50 000 euros d’Alexandra Reis qui était administratrice. Il s’agissait d’un départ volontaire pour une autre société publique, avant qu’elle ne devienne secrétaire d’État au Trésor quelques mois plus tard.
Suite à la révélation de cette « curieuse » indemnité de départ en décembre 2022, Alexandra Reis démissionna du gouvernement, suivie le 29 décembre 2022 par le ministre des Infrastructures, Pedro Nuno Santos. Ce dernier jouera par la suite un rôle de premier plan dans la campagne de 2024.
Que les révélations de l’affaire « TAP Air Portugal » aient abouti à ces démissions, c’est facile à comprendre, en revanche ce n’est nullement le cas dans une autre affaire, bien plus confuse, l’enquête « Opération influenceur », qui poussera cette fois-ci le Premier ministre Antonio Costa à démissionner.
« Opération influenceur »
En effet, le 7 novembre 2023, Antonio Costa, éclaboussé par une affaire de corruption liée à l’attribution de contrats énergétiques, a démissionné.
Quels sont les éléments de cette enquête ?
La justice portugaise a enquêté sur des allégations de malversations, de corruption d’élus et de trafic d’influence, liés aux concessions de mines de lithium à proximité de la frontière nord du Portugal avec l’Espagne. Elle s’intéressa également aux projets de construction d’une usine d’hydrogène vert et d’un centre de données dans la ville côtière de Sines.
Le bureau du procureur en vint à déclarer que « des suspects invoquaient le nom du Premier ministre » dans l’accomplissement de leurs activités illicites.
C’est dans ce contexte qu’Antonio Costa démissionna en déclarant quelques jours plus tard : « J’ai consacré mon âme et mon cœur au Portugal, une autre étape de ma vie s’ouvre maintenant ». Il assura devant la presse qu’il quittait ses fonctions « la conscience tranquille ».
On peut légitimement s’interroger sur les vraies raisons de ce départ brutal de la vie politique portugaise. Surtout lorsque le parquet a admis une semaine après la démission d’António Costa, qu’il avait confondu António Costa, avec António Costa Silva, le ministre de l’Économie !
Un bilan politique contrasté
L’Union européenne cite régulièrement le Portugal comme le « bon élève aux résultats économiques merveilleux ». Cette satisfaction bruxelloise masque mal la réalité subie par la population portugaise. Les salaires sont bas, les loyers sont très élevés et les services publics délaissés. L’été dernier, des milliers de personnes manifestèrent pour demander de meilleurs salaires, une amélioration du service national de santé et un logement pour tous. Le logement en effet représente près de 70 % des revenus des Portugais. Le salaire moyen est à 1500 euros, le salaire minimum à 820 euros. Par comparaison, le salaire moyen en France est, rappelons-le, de 3200 euros et le salaire minimum de 1398 euros.
L’année dernière, quelques mois avant sa démission, Antonio Costa avait fait voter des mesures pour lutter contre la crise du logement, notamment en ce qui concerne les investisseurs étrangers, les célèbres « visas dorés ». Le but était de freiner la spéculation immobilière… en vain. La crise du logement continue. De nombreuses familles ne peuvent plus se loger, souvent les plus pauvres. Une situation qui touche aujourd’hui même des professeurs ou des médecins, la base des électeurs du centre-droit et du centre-gauche.
C’est dans ce contexte de scandale, de crise politique et sociale que se sont déroulées les élections législatives du 10 mars 2024. Les résultats qui suivent montrent la fin de la particularité politique au Portugal, c’est-à-dire le bipartisme et la quasi-absence de l’extrême-droite.
Les résultats
La participation en mars dernier a été de 66,23 % contre 51,46 % en janvier 2022, soit plus de 14,77 points de plus par rapport aux précédentes élections législatives.
L’alliance démocratique (droite)
L’alliance démocratique est arrivée en tête des élections législatives le 10 mars avec 29,52 % des suffrages, soit 80 des 230 sièges de l’Assemblée de la République, chambre unique du Parlement (plus 8 par rapport aux précédentes élections législatives de janvier 2022). L’alliance démocratique regroupe le Parti social-démocrate (PSD), le Centre démocrate social/Parti populaire (CDS/PP) et le Parti populaire monarchiste (PPM). C’est le Parti social-démocrate (PSD) dirigé par Luis Montenegro, qui a mené la campagne. Ce parti de centre-droit a durci le ton durant la campagne. Ce positionnement politique est utilisé par tous les partis de droite en Europe, pour ne pas trop se laisser distancer par l’extrême-droite. Ainsi, l’ex-Premier ministre Pedro Passos Coelho a tenu des propos polémiques, en établissant un lien entre la hausse de l’immigration et un prétendu sentiment d’insécurité, alors que les statistiques ne font pas état d’une hausse de la criminalité. Le PSD a toutefois précisé qu’il ne « s’associera jamais à la formation de Ventura (extrême-droite), et que voter pour ce parti reviendrait à gaspiller sa voix et à favoriser l’ingouvernabilité du camp de droite. »
Parti socialiste (PS)
Il a obtenu 28,63 % des voix et 76 des 230 sièges (moins 44).
Le parti socialiste, a choisi Pedro Nuno Santos, cité plus haut, comme secrétaire général du parti. Il avait remporté l’élection primaire par 62 % contre 36 % pour José Luis Carneiro. Pedro Nuno Santos est marqué à gauche, en 2015 il était partisan d’un gouvernement qui avait rassemblé la gauche PS avec des accords individuels avec le parti de gauche BE (Bloc de gauche), le parti vert PEV (Parti écologiste « Les Verts »), et le parti communiste (PCP). Pedro Nuno Santos a participé aux trois gouvernements de Costa dont il a revendiqué l’héritage. Il n’a pas remis en cause les réformes mises en place par le gouvernement sortant, mais a concédé qu’il se posait des problèmes que les différents gouvernements socialistes n’ont pas résolus, comme les bas salaires, le manque de logements accessibles aux jeunes et aux classes moyennes, ou encore la précarité d’emploi des enseignants. L’axe de sa campagne fut clairement social-démocrate et réformiste, ainsi, il a déclaré : « Ce n’est qu’avec une économie plus sophistiquée et plus complexe que nous pourrons payer de meilleurs salaires. »
Chega (« assez », extrême droite)
Ce parti extrémiste a obtenu 18,06 % des suffrages soit 48 des 230 sièges (plus 36).
Ce contexte a favorisé les idées développées par Chega. Ce parti fut créé il y a 5 ans, en 2019, par André Ventura, un ancien du parti social-démocrate (PSD). Comme les autres extrêmes droites en Europe, il a fait campagne sur la sécurité et l’immigration. Son leitmotiv fut : « Il faut réduire les impôts, les aides sociales de ceux qui ne veulent pas travailler et sont dépendants des prestations sociales ». Ce discours classique d’extrême-droite est complété par des propositions de mesures telles que « la prison à vie pour les meurtres », ou encore « la castration chimique pour les abuseurs d’enfants ». Enfin, Chega a fait campagne contre l’avortement et l’euthanasie.
Les autres résultats furent les suivants :
Initiative libérale (IL, droite), parti dirigé par Rui Rocha, a obtenu 5,08 % des voix soit 8 sièges des 230 sièges (=).
Le Bloc des gauches (BE, gauche radicale) dirigé par Mariana Motagua se contente de 4,46 % et 5 élus comme lors de la précédente élection.
Coalition démocratique unitaire (CDU, coalition qui regroupe le parti écologiste, Les Verts et le parti communiste portugais), a obtenu 3,3 % des suffrages soit 4 des 230 sièges, deux de moins qu’en 2022.
LIVRE (Libre, centre gauche) (L), a obtenu 3,26 % des voix soit 4 députés des 230 sièges, plus trois élus par rapport au dernier scrutin.
Personnes-animaux-nature (PAN, centre gauche), a obtenu 1,93 % soit 1 des 230 sièges, comme dans la dernière chambre.
Commentaire
En fait, ces élections anticipées sont le résultat d’une colossale erreur de la justice portugaise ! Sans tomber dans « la théorie du complot », cette erreur grossière nous interroge tout de même sur la possibilité d’un acte volontaire pour nuire au Gouvernement socialiste sortant, l’un des derniers qui restaient en place en Europe, avec le gouvernement espagnol.
Mais il faut bien noter que les socialistes au pouvoir furent également jugés comme responsables de la crise du logement et les bas salaires. Être le « bon élève » de Bruxelles a eu pour conséquences d’éloigner les classes populaires d’un vote à gauche. Il est vrai que le Portugal n’est plus au bord de la faillite. Les comptes publics, un des indicateurs majeurs pour Bruxelles pour évaluer la politique d’un pays, sont parfaits… mais à quel prix pour le peuple travailleur ? Pour y parvenir, il a fallu faire des coupes claires dans les services publics, le service national de santé, l’éducation, la justice… le Gouvernement a tout misé sur le tourisme. Tout le monde veut visiter Porto et Lisbonne, mais cette politique a fait exploser les prix de l’immobilier.
Les œillets sont aujourd’hui fanés
Le cinquantenaire de la révolution des œillets a aujourd’hui un goût amer. C’est précisément en cette date anniversaire que l’extrême-droite devient la troisième force du Portugal. Une extrême-droite qui a su ramener aux urnes des personnes qui ne votaient plus et fait voter de nombreux jeunes.
La leçon est claire : au Portugal comme dans le reste de l’Europe, il faut rompre avec ces alternances politiciennes sans alternatives politiques et sociales réelles. L’extrême-droite ne peut pas être la solution pour le plus grand nombre. ReSPUBLICA, le journal de la gauche laïque et républicaine, est un élément de transformation et de rupture avec le capitalisme. Il est temps de changer l’eau des fleurs !