Monarchie-mania ou Queen-mania
La reine Elisabeth II est décédée. Ce fut l’occasion pour les médias de traiter en boucle jusqu’à la nausée ce sujet sur base de monarchie-mania. Tous les « ravis de la crèche » furent interviewés pour faire part de leur grande émotion, de leur attachement à la monarchie. Ce fut un déluge de mièvreries sirupeuses, façon Stéphane Bern, qui firent passer, un temps, à la trappe la guerre en Ukraine, la crise de l’énergie accompagnée de sanctions qui pénalisent plus sûrement les peuples que l’autocrate russe qui engrange plus de recettes qu’avant, le réchauffement climatique qui frappe en premier les plus modestes et les plus pauvres pourtant les moins émetteurs de carbone(1)Sources : Rapport sur les inégalités mondiales de Lucas Chancel et Thomas Piketty : « Près de la moitié des émissions totales sont dues à un dixième de la population mondiale. Un centième de la population mondiale, soit 77 millions d’individus, émet 50 % de plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité soit 3,8 milliards d’individus ».
Il n’y eut pas ou très peu de paroles discordantes. Cette façon de traiter un sujet comme un symbole de la manipulation « soft » ou souple ou d’un totalitarisme mou sur fond de pensée unique relève de la manipulation des opinions : il ne serait pas convenable de critiquer la monarchie et encore moins la reine défunte. La pression fut telle que même les syndicats britanniques suspendirent les mouvements de grève malgré l’incertitude dans laquelle les plus démunis se trouvent de pouvoir se chauffer cet hiver et malgré l’inflation qui les appauvrit encore plus.
Pourtant, l’unanimité en faveur de ce régime monarchique n’est pas si évidente qu’on veut nous le faire croire
Il aurait été déontologiquement nécessaire pour une presse qui se dit indispensable au débat démocratique d’évoquer l’impérialisme britannique qui pilla durant des siècles des contrées immenses avant de se retirer en mettant en place les conditions de conflits ou de guerres larvées qui semblent devoir durer : au Proche-Orient entre Israël et Palestine, dans le sous-continent asiatique entre l’Inde et le Pakistan.
Pas d’unanimité dans les anciens pays sous domination de la couronne britannique
Des dirigeants des anciens pays colonisés ont ainsi refusé de se pâmer devant cette monarchie britannique (qui fut dans les faits l’aboutissement de nombreux prétendants qui se disputèrent le trône sur fond de violences et de cruauté qui font passer les régicides français pour des agneaux). Le Pakistan, l’Afrique du Sud, la Barbade devenus des républiques firent le choix de ne plus considérer la reine d’Angleterre comme leur chef d’État.
Pourtant cinq États indépendants du Commonwealth sont aujourd’hui des républiques, et d’autres pourraient suivre, dont l’Australie. Le Québec fut le lieu de manifestations durement réprimées, en octobre 1964, contre la tutelle britannique et, au Manitoba en 2021, les révélations sur les crimes passés contre les Amérindiens provoquèrent un renversement de statue de la Reine.
Le Commonwealth n’est sans doute plus qu’une coquille vide – que les relations économiques peuvent prolonger – dont la personnalité d’Elisabeth II, qui faisait le lien avec la période de la Seconde guerre mondiale, a permis de maintenir la fiction. Car cette communauté humaine de 2,5 milliards d’humains compte à présent 60 % de moins de 29 ans. Le défi qui attend Charles III est plus grand encore concernant le Royaume « uni » avec les velléités que l’on sait d’indépendance et de retour à l’Europe.
Pas d’unanimité au sein de la société britannique
L’opposition au régime monarchique concerne plus d’un quart des Britanniques. Ces républicains britanniques, au sein de l’organisation politique « Republic »(2)Graham Smith dirige, actuellement, l’organisation républicaine « Republic » qui réunit les partisans du remplacement de la monarchie du Royaume-Uni par une république parlementaire, pour une constitution républicaine démocratique. Elle est membre de Common Cause — alliance des mouvements républicains dans le Commonwealth — et de l’alliance des mouvements républicains européens. L’expression de vues républicaines reste théoriquement illégale au regard de la loi britannique, mais, si elle se fait sur un mode pacifique, est de nos jours tolérée. Le crime de lèse-majesté figure pourtant toujours dans le code juridique et constitutionnel anglais. considèrent que la monarchie compromet les valeurs démocratiques au travers d’une constitution qui concentre les pouvoirs dans les mains du Premier ou de la Première ministre. Ils dénoncent une monarchie corrompue(3)Propos de Graham Smith recueillis par Marianne n° 1331 : « attributions de postes honorifiques à des personnes contre de l’argent ». qui vit sur les fonds publics en prélevant 350 millions d’€/an d’argent public tout en faisant preuve de lobbying auprès des femmes et des hommes politiques afin que la famille royale soit exemptée de certaines lois comme l’impôt sur la succession (4)Propos de Graham Smith recueillis par Marianne n° 1331 : « La reine a transmis sa fortune à son fils sans régler l’impôt sur les successions ». qui prive l’État de dizaines de millions de livres de recettes fiscales.
S’ajoute à cette montée de l’esprit républicain, les velléités d’indépendance en Écosse sur un fond favorable, pour 60 % des votants, à un retour au sein de l’Union européenne, et avec 49 % des Écossais pro-indépendance, pointent à l’horizon. Au Pays de Galles, avec une cote pro-indépendance passant en six ans de 3 % à 39 %, cette fois sur un fond pro-Brexit lors du référendum sur ce sujet, la volonté de sortir de la tutelle anglaise émerge également.
Non au régime monarchique et non au modèle présidentiel français
Ces républicains britanniques veulent transférer le pouvoir du gouvernement au Parlement avec un Premier ou une Première ministre et l’élection d’une personnalité apolitique qui doit rendre des comptes. En revanche, le modèle présidentiel français de la Ve République qui, de fait, est un modèle de monarchie élective, ne les attire pas.
Le retour des mouvements sociaux au Royaume-Uni
Durant la période estivale, des débrayages massifs dans les transports, la poste et les ports ont pris de l’ampleur en s’appuyant sur la question, comme en France, du pouvoir d’achat et des revendications de hausse des salaires en rapport avec une inflation galopante.
Ainsi, les salariés du port de Felixstowe — plus grand port de fret dans l’est de l’Angleterre, qui traite près de quatre millions de conteneurs par an — avaient entamé, en août, une grève de huit jours pour demander de meilleurs salaires face à une inflation record. Quelque 1 900 membres du puissant syndicat britannique Unite ont cessé le travail pour exiger des revalorisations salariales.
D’autres secteurs sont concernés : les éboueurs, les avocats, les employés de l’opérateur télécom BT, les manutentionnaires d’Amazon… Les employés du rail s’y mettent également menaçant de poursuivre indéfiniment les perturbations comme l’indique le secrétaire général RMT(5)National Union of Rail, Maritime and Transport Workers., Mick Lynch.
C’est du jamais vu depuis la fin des années Thatcher en 1989
Le sentiment général prévoit ou anticipe une accélération et une montée en puissance des mouvements de grève. Personne ne s’aventure encore à évoquer la grève générale qui, cependant, est dans toutes les têtes. L’originalité de ce mouvement revendicatif d’ampleur est l’implication de secteurs privés y compris industriels jusqu’alors peu concernés. Cela ne s’était pas vu depuis plusieurs décennies.
Avec un niveau d’inflation de 10,1 % sur un an en juillet, contre 6,1 % en France, bouclier tarifaire oblige(6)Pourtant certains secteurs, en France, sont fortement impactés comme l’agriculture ou encore, les communes qui voient leurs projets d’investissements compromis : des communes voient leurs factures de fluides passées de 800 000 €/an à 2 millions, des projets doublés en coûts du fait de la hausse des prix des matériaux et des taux d’intérêt., et des prévisions à la hausse de la Banque d’Angleterre à 12,3 % en octobre et des niveaux élevés en 2023, la perte de pouvoir d’achat représente le point focal qui cimente la contestation sociale qui pourrait s’étendre à chaque secteur de l’économie selon le syndicaliste Mick Lynch.
Hausse tous azimuts et négociations difficiles
L’augmentation du prix des aliments, des vêtements, de l’énergie — 82 % de hausse de la facture d’électricité attendue pour octobre — alimente les négociations : les syndicalistes de Unite ont refusé la proposition des responsables du port Felixstowe d’une hausse de 8 % en moyenne et proche de 10 % pour les salariés les moins payés. Les négociations pour le secteur du rail sont, quant à elle, dans l’impasse. C’est dire l’âpreté du rapport de force et la détermination des salariés. Cette détermination ne semble pas devoir se déliter malgré des conditions draconiennes qui encadrent les mouvements de grève et le droit de grève depuis les lois de l’ère Thatcher (1979-1990) qui s’ingénient à placer de nombreux obstacles. Ainsi, les grèves spontanées sont complètement interdites de l’autre côté de Chanel. La grève doit être précédée d’un préavis, suivi d’un vote qui comptabilise les abstentionnistes comme étant contre. De plus, une durée de la grève doit être annoncée empêchant, sauf à se mettre hors la loi, toute reconduction du mouvement.
Multiplication des obstacles pour faire valoir le droit de grève en vue
En dépit de ces nombreux obstacles juridiques, les consultations se sont soldées par des taux de participation de l’ordre de 80 % qui font pâlir d’envie les politiques qui éprouvent beaucoup de difficultés, en France comme outre-Manche, à faire se déplacer les électeurs.
Les organisations syndicales dénoncent les propos vindicatifs et très provocateurs, dignes de la Dame de fer, de Liz Truss et Rishi Sunak, ministres du gouvernement de Boris Johnson et candidats à sa succession : refus du dialogue social, interdiction des grèves pour les services « essentiels » (Rishi Sunak) ; Liz Truss « ne laissera pas le Royaume-Uni être rançonné par des syndicalistes militants » et elle a annoncé qu’elle réprimera plus durement les grèves en cours.
La loi a été modifiée par l’exécutif pour autoriser le recours à des intérimaires afin de suppléer aux grévistes.
Soutien majoritaire de la population
Ces mouvements de grève multisectoriels et, notamment celui des cheminots, ne semblent pas susciter une animosité particulière, bien au contraire : ils conduisent plutôt à une certaine sympathie tant la plupart des gens se sentent concernés par les mêmes problèmes. La situation sociale, sur fond de pouvoir d’achat en berne, au Royaume-Uni est plus problématique du fait qu’en France les aides et le bouclier fiscal jouent un rôle d’amortisseur qui n’existe pas outre-Manche.
Quelle stratégie pour remporter le rapport de force ?
Tout cela montre que la lutte des classes, y compris au pays de l’ultralibéralisme assumé, n’est pas une notion dépassée. Que ce soit outre-Manche ou dans les autres pays, y compris en France, une réflexion doit être menée pour définir la ou les stratégies les plus efficaces pour établir un rapport de force favorable au travail et défavorable aux grands actionnaires. L’unité syndicale est sans doute un préliminaire à condition que ce soit sur des bases claires telles que, dans un premier temps, la priorité à la défense des travailleurs et, dans un deuxième temps ou de façon concomitante, la transformation sociale de la société avec plus de pouvoir pour les salariés dans la gestion des entreprises, avec la création de coopératives ouvrières, avec des mesures émancipant l’entreprise des contraintes mortifères du capitalisme financier.
De manière générale, il semble qu’il y ait un problème récurrent qui est une déconnexion entre la base, la réalité quotidienne vécue sur les lieux de travail et les directions syndicales.
Notes de bas de page
↑1 | Sources : Rapport sur les inégalités mondiales de Lucas Chancel et Thomas Piketty : « Près de la moitié des émissions totales sont dues à un dixième de la population mondiale. Un centième de la population mondiale, soit 77 millions d’individus, émet 50 % de plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité soit 3,8 milliards d’individus » |
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↑2 | Graham Smith dirige, actuellement, l’organisation républicaine « Republic » qui réunit les partisans du remplacement de la monarchie du Royaume-Uni par une république parlementaire, pour une constitution républicaine démocratique. Elle est membre de Common Cause — alliance des mouvements républicains dans le Commonwealth — et de l’alliance des mouvements républicains européens. L’expression de vues républicaines reste théoriquement illégale au regard de la loi britannique, mais, si elle se fait sur un mode pacifique, est de nos jours tolérée. Le crime de lèse-majesté figure pourtant toujours dans le code juridique et constitutionnel anglais. |
↑3 | Propos de Graham Smith recueillis par Marianne n° 1331 : « attributions de postes honorifiques à des personnes contre de l’argent ». |
↑4 | Propos de Graham Smith recueillis par Marianne n° 1331 : « La reine a transmis sa fortune à son fils sans régler l’impôt sur les successions ». |
↑5 | National Union of Rail, Maritime and Transport Workers. |
↑6 | Pourtant certains secteurs, en France, sont fortement impactés comme l’agriculture ou encore, les communes qui voient leurs projets d’investissements compromis : des communes voient leurs factures de fluides passées de 800 000 €/an à 2 millions, des projets doublés en coûts du fait de la hausse des prix des matériaux et des taux d’intérêt. |