Dans de nombreux conflits liés au processus de décolonisation ou aux luttes de classe nationales, notre courant politique internationaliste a eu l’habitude de débattre sur des propos des militants et des leaders plaçant leurs luttes dans le cadre global de la lutte des classes sur l’ensemble de la planète sur des positions universalistes concrètes.
Ainsi nous avons travaillé en conférences publiques sur les positions de Frantz Fanon(1)Voir notre précédent article « Un extrait de Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952 »., de Thomas Sankara(2)Voir : Discours de Sankara devant l’assemblée générale de l’ONU le 4 octobre 1984 (texte, audio, vidéo) – Thomas Sankara Website – Officiel. et beaucoup d’autres que nous ne pouvons tous citer. Aujourd’hui, des militants, des leaders, mobilisent autour d’une seule lutte essentialisée sans l’inscrire dans le réel mondial de la séquence politique. Pire, il hiérarchise en divisant les damnés de la terre.
Par exemple, peut-on être crédible pour le plus grand nombre quand on néglige le sort de la classe populaire ouvrière et employée de son propre pays, en ne souhaitant mobiliser que sur un seul conflit international qui se passe à quelques milliers de kilomètres de là ou seulement sur une seule communauté de son propre pays ou encore en opposant les « racisés » entre eux ? Non, il faut une pensée holistique, classiste, antiraciste pour rassembler ! Il est très dommageable de voir dans la gauche française et dans d’autres pays, des courants militants qui fonctionnent uniquement à l’émotion et au moralisme. Alors qu’il faut d’abord analyser le réel et les causes du réel avant de militer pour l’idéal en travaillant sur les conditions matérielles qui permettent d’aller vers l’idéal. C’est cela que voulait dire Jean Jaurès dans sa formule marxienne « Partir du réel pour aller vers l’idéal ».
On ne peut pas partir du réel sans connaître les causes du réel. On ne peut pas comprendre le conflit israélo-palestinien sans comprendre les causes de ce conflit depuis le 19e siècle(3)Voir notre précédent article « Des conditions de la résolution du conflit israélo-palestinien ».. Il en est de même pour toute analyse historique et politique. Sinon, on confond la politique et la morale. Dire que le dossier palestinien est un scandale humaniste et politique est juste. Mais cela ne suffit pas pour le comprendre et encore moins pour y trouver la solution. Et une fois que l’on a fait l’historique, encore faut-il, même si les conditions du moment ne permettent pas la résolution immédiate du conflit, donner une voie pour sa résolution. Notre courant politique internationaliste a depuis longtemps fixé le cap. Il suffit de lire nos nombreux articles écrits à ce sujet dont les liens sont annexés à cet article.(4)« Abbas doit déclarer unilatéralement l’État de Palestine, » ; « Quelle issue au Proche-Orient ? » ; « Israël : la dérive du gouvernement d’extrême droite » ; « Gaza : un pas supplémentaire vers l’émirat islamique du Hamas ? » ; « Association « Shalom, Paix, Salem » : une réaction citoyenne contre l’importation du conflit israélo-palestinien, » ; « Musulmanophobie, ce mot mal aimé » ; « A propos du voile islamiste » ; « Israël ou l’ivresse de la force depuis des années », entretien avec Elias Sanbar » ; « Proclamer un État palestinien » ; « Nous saluons, et appelons à soutenir la future proclamation d’un État palestinien · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org), » ; « Garder la tête froide pour comprendre et agir face aux événements du Proche-Orient · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org) », » ; « Deux films sur le conflit israélo-palestinien » ; « Charlie », l’islamisme radical et nous, « Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes », par Charb » ; « Israël-Palestine : l’humanisme bafoué » ; « Duplicité du chœur des pleureuses islamistes face aux caricatures » ; « Refusons le terrorisme du Hamas et l’injustice faite aux arabes palestiniens »..
À la lecture de nos différents articles, il est clair que nous sommes de ceux qui ne jouent pas à la concurrence des souffrances. Que ce soit dans la guerre Russie-Ukraine-Otan ou au Proche-Orient, au Soudan ou au Nord-Kivu et ailleurs dans le monde. Tout mort inutile est un mort de trop. Tout doit être fait pour éviter la guerre. Nous sommes des jauréssiens. Nous ne participons pas aux jubilations que l’on trouve sur l’ensemble de l’arc politique de l’extrême gauche à l’extrême droite qui par campisme(5)On parle de campisme pour désigner la tendance à réduire une situation politique uniquement à l’affrontement entre deux camps impérialistes et en général à s’aligner totalement sur l’un des deux camps. alimentent l’idéologie de la guerre sans avenir.
Mais cela ne suffit pas. Il nous faut combattre contre l’illusion d’un monde en deux camps d’une part parce que le monde est complexe et d’autre part parce que le campisme a toujours été néfaste à la gauche de gauche. Pour éviter cela, il faut travailler dans un bloc le plus autonome possible des impérialismes quitte alors à passer des alliances dont nous pouvons être fiers, comme avec Conseil national de la résistance (CNR). Mais pour construire un bloc populaire autonome, il faut une cohérence politique crédible, une volonté inébranlable et des événements propices.
Comment prendre au sérieux les déclarations des présidents de la République française du XXIe siècle dans leurs défenses des Palestiniens quand on connaît leurs alliances économiques et militaires avec le Qatar, principal financeur et soutien de la Confrérie des frères musulmans et des terroristes du Hamas ? Comment prendre au sérieux, les représentants d’une certaine gauche dite « radicale »(6)Nous mettons « radicale » entre guillemets, car leur programme est bien moins à gauche que le programme de François Mitterrand de la fin des années 70. qui s’est fourvoyé dans des alliances avec la branche française de la Confrérie des frères musulmans(7)Épisode Tariq Ramadan, manifestation du 10 novembre 2019, lire à ce sujet notre précédent article « Rétablissons les faits sur la manifestation du 10 novembre 2019 »..
Aujourd’hui, une bataille féroce s’est développée entre Israël et le Hezbollah. Et plus globalement entre l’axe Islamiste ; Hamas, Hezbollah, Iran, et le gouvernement actuel d’Israël. Nous devons donc produire une analyse historique du Liban ainsi que le réel de la prise de pouvoir du Hezbollah à l’intérieur du Liban comme nous l’avons fait pour le conflit israélo-palestinien dans un lien noté ci-dessus.
Et avant de jeter des anathèmes, des propos injurieux, mieux vaut se poser la question : « Est-ce que l’on a été jusqu’au bout de l’analyse du réel ? ». Il y a un point commun entre le conflit Israël-Hamas et le conflit Israël-Hezbollah, c’est que de part et d’autre, nous avons affaire à des directions qui sont des associés rivaux dont la survie de l’un demande la survie de l’autre. Ou dit autrement, ils ne pourront survivre que dans la poursuite ad vitam de la guerre en développant la communication qu’ils doivent aboutir à la destruction finale de l’autre, et en oubliant qu’avec la nouvelle géopolitique, la destruction totale est peu vraisemblable à court terme(8)Comme dans la guerre Russie-Ukraine-Otan d’ailleurs..
Ils bénéficient actuellement du fait que les grandes puissances impérialistes et leurs alliés, qui sont en grande partie responsables d’avoir ignoré la question palestinienne pendant plus d’un siècle, sont beaucoup plus préoccupés aujourd’hui de préparer la grande confrontation globale de la nouvelle géopolitique que d’influer pour un règlement de ladite question palestinienne. D’autant que de part et d’autre, la montée des nationalismes, des intégrismes religieux, du populisme d’extrême droite(9)Le populisme est un concept flou qui désigne toute approche politique qui n’oppose que deux camps, le peuple à ses élites, sans analyse du réel complexe et qui souhaite tout changer par des mesures immédiates populaires à un instant donné, sans agir sur les fondements structurels du système en place. permet l’accroissement forte de la conflictualité. Il convient donc de s’opposer à tous les nationalismes, à tous les racismes, à tous les intégrismes, à tous les populismes. Et militer pour un bloc populaire autonome architecturé avec la classe populaire ouvrière et employée et pour cela rompre avec la doctrine de Terra Nova de 2011(10)Source : https://tnova.fr/site/assets/files/11494/rapport_terra_nova_strat_gie__lectorale.pdf?10xp0.. Cette note a été produite suite à la déroute et aux trahisons de la gauche. Elle a permis l’éclosion des cinq impasses suivantes. D’abord la tentative des gauches et des droites dites de gouvernement, puis de l’extrême centre et enfin des populismes de gauche et d’extrême droite. Oui, il est temps d’arrêter de croire à ces cinq impasses et tourner la page.
Pour conclure, et pour vous pousser à lire Frantz Fanon et Thomas Sankara grâce aux deux premières notes de bas de page de cet article, quelques extraits de ce que vous pourrez lire :
Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la Tour substantialisée du Passé.
Je suis un homme, et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre. En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle.
Ce n’est pas le monde noir qui me dicte ma conduite. Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques.Frantz Fanon
Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve. Le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc. Tous deux ont à s’écarter des voix inhumaines qui furent celles de leurs ancêtres respectifs afin que naisse une authentique communication.
Frantz Fanon
Reconnaître donc notre présence au sein du Tiers Monde c’est, pour paraphraser José Marti, “affirmer que nous sentons sur notre joue tout coup donné à n’importe quel homme du monde”…Cette crainte se justifie d’autant plus que la petite bourgeoisie africaine diplômée, sinon celle du Tiers Monde, soit par paresse intellectuelle, soit plus simplement parce qu’ayant goûté au mode de vie occidental, n’est pas prête à renoncer à ses privilèges. De ce fait, elle oublie que toute vraie lutte politique postule un débat théorique rigoureux et elle refuse l’effort de réflexion qui nous attend.
Thomas Sankara
Au mépris d’une histoire qui hier encore, désignait chaque Juif à l’horreur des fours crématoires, Israël en arrive à infliger à d’autres ce qui fut son propre calvaire. En tout état de cause, Israël dont nous aimons le peuple pour son courage et ses sacrifices d’hier, doit savoir que les conditions de sa propre quiétude ne résident pas dans sa puissance militaire financée de l’extérieur. Israël doit commencer à apprendre à devenir une nation comme les autres, parmi les autres…
Thomas Sankara
Notes de bas de page