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Droit du sol et remise en cause du pacte républicain

À l’heure où un hommage à Robert Badinter est organisé au plus haut niveau de l’État, le ministre de l’Intérieur annonce sa volonté de procéder à la révision de la Constitution afin de mettre fin au « droit du sol ». En effet, cette annonce ministérielle faite depuis Mayotte va dans le sens inverse de toute la vie politique de Robert Badinter, lui qui était pour un universalisme qui repose sur une exigence de justice non discriminatoire, ce qui suppose les mêmes droits partout. Autant, nous pouvons considérer que nous étions sur des positions très proches pour tout ce qui concerne la défense, la promotion des droits de l’homme ainsi que leur extension, autant nous nous opposions sur la question sociale.

 

Ainsi, il a été, sur le plan sociétal, remarquable en ce qui concerne l’abolition de la peine de mort, la reconnaissance de genre, l’égalité en droits des enfants, des conditions carcérales qu’il souhaitait améliorer. En revanche, sa ligne sociale était opposée à la nôtre dès le tournant ultralibéral assumé par Laurent Fabius et même avant. Il a été la figure d’une gauche avant-gardiste sur le plan sociétal et rétrograde sur les plans économiques et sociaux en remettant en cause le droit du travail, en avalisant la concurrence « libre » et « non faussée » entre les salariés, les systèmes fiscaux conduisant à la paupérisation.

Le droit du sol une histoire républicaine et… royale

La notion de « droit du sol » traverse toute l’histoire de notre pays. Si longtemps a prévalu le « droit du sang », dès 1315, un édit royal met en place partiellement un « droit du sol », pour les enfants nés de parents étrangers. En 1515, un arrêt du Parlement de Paris confirme ce droit en matière d’héritage et permet donc d’hériter de par le droit du sol. Les pays d’émigration ont tendance à privilégier le « droit du sang » afin de maintenir un lien avec les expatriés alors que les pays d’immigration, à l’inverse, ont une appétence pour le « droit du sol ».

À partir de la Révolution française, le « droit du sang » et le « droit du sol » cohabitent. Le « droit du sol » est bien un acquis de la Révolution, en 1791 avec la Constitution en son article 2. Ainsi sont citoyens « ceux qui nés en France d’un père étranger, ont fixé leur résidence dans le Royaume ». L’article 3 prévoyait le cas des enfants nés à l’étranger de parents étrangers qui pouvaient devenir citoyens après cinq ans de résidence, un mariage ou une activité économique représentative et après avoir prêté « serment civique ».

En France, un principe qui a évolué

Le Code civil de 1804 stipule que la nationalité s’obtient soit pas filiation ou soit pour un enfant né en France de parents apatrides.

En 1851, toute personne née en France dont un des parents y est né également obtient la nationalité française, libre à lui d’y renoncer à sa majorité par simple déclaration. Cette dernière possibilité est supprimée en 1889. On devient Français ou par le droit du sang, quel que soit le lieu de notre naissance, ou par le droit du sol. C’est l’introduction du double droit du sol ou l’attribution automatique de la nationalité à tout individu né en France d’un parent étranger lui-même né en France. Il s’agissait de résoudre le problème de la baisse de la population française.

Au gré des gouvernements successifs, la législation fluctue en ce qui concerne les facilités plus ou moins grandes pour acquérir la nationalité française. La loi « Pasqua » des 24 et 29 août 1993 n’accorde plus l’automaticité de la nationalité française dès l’âge de 16 ans pour un enfant né en France.

Une nouvelle possibilité d’acquérir la nationalité française est ouverte par la loi du 7 mars 2016, article 59. Sur demande, la citoyenneté française est accordée à toutes les personnes vivant sur le territoire de la République qui, à leur majorité, justifie que « depuis l’âge de six ans et ayant suivi leur scolarité obligatoire en France [ont] ont un frère ou une sœur ayant acquis la nationalité française ». Cette dernière possibilité n’impose donc pas d’être né en France.

Actuellement, un enfant né en France de deux parents étrangers et y ayant vécu depuis l’âge de 11 ans au moins cinq ans devient Français. Cette acquisition varie selon les votes des lois entre automatisme et obligation d’en faire la demande. La loi nouvelle « loi immigration » supprime l’automaticité et prévoit que l’acquisition de la citoyenneté soit à « la condition [que l’enfant] en manifeste la volonté », article 26(1)Voir l’article de Jean-Claude Boual, n° 1086..

Annonce du ministre de l’Intérieur au nom du président Emmanuel Macron

Dimanche 11 février 2024, le ministre annonce qu’une décision radicale [serait prise], qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte. […] Il ne sera plus possible de devenir français si on n’est pas soi-même enfant de parents français et nous couperons ainsi littéralement l’attractivité qu’il peut y avoir dans l’archipel mahorais. Il ne sera donc plus possible de venir à Mayotte de façon régulière ou irrégulière, de mettre un enfant au monde ici et d’espérer devenir français de cette façon ».

Outre, la confirmation que le pouvoir court après l’extrême-droite croyant que c’est une bonne stratégie pour freiner sa montée dans les sondages, cette réforme fondamentale et antirépublicaine sera difficile à mettre en œuvre, car elle exige, selon les interprétations qui peuvent varier, une modification de la Constitution. Cela impliquerait la réunion des parlementaires en Congrès (Assemblée nationale et Sénat) ou l’organisation d’un référendum qui aurait le mérite susciter le débat. La certitude est que si le gouvernement veut s’engager dans cette direction c’est pour donner des gages aux droites extrêmes, de Ciotti à Le Pen, ou à leur électorat donc dans une optique purement électoraliste.

Objectifs poursuivis, stratégie inopérante ?

Si l’on met de côté l’aspect purement politicien et électoraliste avant les élections européennes qui s’annoncent difficiles – c’est un euphémisme –, il s’agit de contrer l’immigration illégale massive vers Mayotte pour que des enfants y naissent et obtiennent la nationalité française selon l’affirmation la plus courante. La réalité est plus complexe.

Déjà, selon la loi du 26 juillet 2024, validée par le Conseil constitutionnel, les enfants nés à Mayotte auront vocation à devenir Français si un des parents était en situation régulière trois mois avant leur naissance, et pour les enfants déjà nés, si un des parents est en situation régulière depuis plus de cinq ans au moment de la déclaration de nationalité. Cette remise en cause du droit du sol aurait pour justification de limiter « l’immigration illégale » sous le présupposé discutable d’un lien entre l’immigration et le projet de nationalité française.

Certes, des femmes enceintes tentent la traversée vers Mayotte. Il y a également des jeunes gens rejoignant un membre de leurs familles après le décès d’un parent, d’autres cas, simplement pour espérer une meilleure vie. Toutes ces personnes passeront coûte que coûte sans que les obstacles mis en place par les autorités les en empêchent. Ce genre de mesure méconnaît la situation sur place. En effet si Mayotte s’est « séparée » des Comores, elle a conservé des liens forts – familiaux, culturels, commerciaux – avec les autres îles.

Le prétexte de l’arrivée de femmes enceintes relève de la tromperie ou de la méconnaissance, car selon Lisa Caron, « quand bien même, leurs enfants ne pourraient prétendre à la nationalité que très longtemps après, dans l’intervalle, elles sont comme leurs enfants, arrêtables, expulsables, et n’ont aucun droit particulier du fait d’avoir accouché sur le territoire mahorais. »

Cela fait vingt-cinq ans que des mesures draconiennes sont prises spécifiquement à Mayotte sans que cela tarisse l’afflux de migrants. Ces mesures conduisent à briser des vies. L’annonce du ministre qui démultiplier les mesures coercitives n’aura pour effet que de provoquer plus de violence.

L’attractivité de Mayotte, aucun rapport avec l’obtention de papier

Le souhait exprimé par Gérald Darmanin d’amplifier des mesures discriminatoires par rapport au reste de la nation avec l’abolition du « droit du sol » sur cette partie de la France ne résoudra rien. Les considérations fondées sur des amalgames tendancieux, voire nauséabonds, ne feront qu’y favoriser la montée de la xénophobie sur le territoire déjà bien manifeste. Les problèmes récurrents de manque d’eau par exemple sont tout autant, sinon plus, liés à des manquements des pouvoirs publics locaux et de l’État qu’à la situation migratoire. L’« étranger » (terme impropre tant les liens familiaux entre les îles des Comores sont patents) et l’immigration sont des boucs émissaires pour tous ceux qui pensent que modifier une loi fondamentale de la République suffirait à régler les problèmes qui sont bien réels. Cela ne peut qu’envenimer ces problèmes que le ministre de l’Intérieur et certains élus locaux prétendent combattre.

C’est bien plus la différence de développement dans un « océan de misère » qui entoure Mayotte qui incite à l’immigration même si l’ultra-précarité y règne. Cette ultra-précarité relative est encore préférable aux yeux des migrants par rapport à leur pays d’origine.

Principes de la République détricotés

Au nom d’un projet de limitation de l’immigration qui risque fort d’être inopérant, ce qui est certain est que les principes d’indivisibilité de la nation française, d’universalisme des valeurs républicaines et du droit social seront à coup sûr remis en cause. À force de lois particulières, Mayotte pourra-t-elle encore être considérée comme française tant l’écart entre les droits communs sur tout le territoire de la République et le droit sur le sol de Mayotte s’élargit et s’élargit encore plus après les annonces gouvernementales ? Né à Mayotte, à 18 ans, le jeune mahorais devient étranger dans son pays natal s’il ne justifie pas de la régularité de son séjour.

Le fait que le Conseil constitutionnel a déjà considéré qu’il y a des différences entre Mayotte et le reste de la République pour l’accès à la nationalité en 2018(2)Loi de 2018. est un précédent délétère pour l’universalité des droits. La constitutionnaliste, Marie-Laure Basilien-Gauche, considère qu’il y ait fort à craindre que cette abolition localisée « s’étende à d’autres territoires de la République. » Rien ne nous préserve par ailleurs d’une extension sur l’ensemble de la Nation française.

Pour la démocratie république qui se veut laïque et sociale tout autant qu’indivisible, il est temps d’agir et de porter le débat sur la place publique.

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Notes de bas de page
1 Voir l’article de Jean-Claude Boual, n° 1086.
2 Loi de 2018.
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