Un certain nombre d’instances, dont les conseils régionaux, doivent donner un avis qui n’a rien de contraignant pour le gouvernement, mais celui-ci constitue un indicateur politique important. Pour la première fois que cette procédure existe, un certain nombre de régions dont la région Île-de-France viennent de se prononcer contre les projets proposés. En ce qui concerne la région capitale, les termes du texte voté par l’ensemble des forces politiques – à l’exception de la majorité présidentielle – sont particulièrement sévères. Certains peuvent tenter de banaliser cette prise de position et arguer du fait qu’il s’agit d’un jeu politicien entre la droite et la macronie.
Cette vision est très réductrice de la situation. Il faut prendre en compte le fait que la plupart des conseillers régionaux de droite sont très souvent des maires et qu’ils sont confrontés à une situation critique dans leur commune avec une population qui demande des interventions politiques pour pouvoir bénéficier d’une offre de soins correcte. Par ailleurs, face notamment à la très forte médiatisation des fermetures de services d’urgence, la première préoccupation des Français en cette fin d’été était, selon les sondages, la santé, avant même le pouvoir d’achat ou l’inflation.
Le texte de l’avis adopté critique d’une part la forme de cette consultation qui constitue un déni de démocratie avec un document de 800 pages adressé courant juillet pour un rendu de l’avis en septembre, sans aucune véritable consultation en amont. Et d’autre part, sur le fond, le principal reproche est de présenter une stratégie inchangée depuis le précédent projet datant d’il y a cinq ans alors que la situation s’est aggravée et frise la catastrophe. Il énonce clairement les faits : « Ce PRS ne semble pas en capacité de répondre aux difficultés croissantes de santé auxquelles les Franciliens sont confrontés aux différents stades de leur vie ». Les fermetures de lits, de services et d’établissements sont notamment dénoncées, ce qui constitue un véritable désaveu des politiques menées depuis près de trente ans, en particulier par la droite lorsqu’elle était au pouvoir. Puis viennent pêle-mêle, les fermetures de maternités et des services d’urgence, l’augmentation de la mortalité infantile, une situation critique de l’accompagnement médico-social…, bref on croirait lire un tract de la CGT !
Mais là où le bât blesse, c’est au niveau des propositions pour améliorer la situation. Toute l’argumentation est centrée autour de la demande d’un « choc de décentralisation » qui se traduirait par une présidence de l’Agence régionale de santé par la région. Nous voilà de retour sur la pente politicienne qui se concentre sur les enjeux de pouvoir, dans une conception clientéliste de la République. Cette évolution est inacceptable, car la santé doit relever d’une mission régalienne de l’État, qui est d’ailleurs inscrite dans le préambule de la constitution de 1946 repris dans celle de 1958. Il est clairement énoncé que l’État doit assurer la santé de la population, ce qui ne peut s’organiser que dans le cadre d’un service public assurant une égalité de traitement à tous les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence sur le territoire. La régionalisation du système de santé ne ferait qu’aggraver les inégalités existantes, tant au niveau de l’offre de soins que des droits en fonction des choix politiques des exécutifs régionaux.
La crise actuelle appelle à d’autres orientations politiques dans le cadre d’une politique de rupture avec le système actuel, hybride, mi-public, mi-privé, tant au niveau de l’organisation que du financement, qui n’est pas celui qui était attendu dans le cadre du programme du Conseil national de la résistance. La première question qui doit être tranchée est de considérer que seul un service public dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire est à même de répondre aux enjeux. Cette question pourrait même faire l’objet d’un référendum posant clairement le choix d’une exclusion du secteur privé lucratif du champ de la santé et du médico-social. Au regard des multiples scandales récents (ORPEA, centre dentaire et ophtalmologique, centre de soins non programmés, etc.), le oui l’emporterait sûrement largement. Le mécanisme législatif est simple : l’agrément Sécurité sociale est limité au secteur public et au secteur privé non lucratif.
Le deuxième principe sur lequel doit être basé notre système de santé est celui d’une Sécurité sociale intégrale, collecteur unique de cotisations et payeur unique de prestations. Là aussi, même si la marche paraît haute, il est clair que le monde de la mutualité a perdu la guerre sur le marché des complémentaires et la fin de ce système lui permettrait de se recentrer sur le développement et la gestion de structures sanitaires et médico-sociales, comme il le sait déjà le faire. Pour exemple, il est regrettable qu’aucune bataille politique n’ait été menée pour mettre ORPEA en faillite et confier la gestion de ses établissements au secteur public et de l’économie sociale et solidaire. Cela aurait été un premier pas dans l’évolution que nous souhaitons.
La dernière question, mais qui est la plus importante, est celle du financement de notre système de santé. Il est essentiel de reprendre nos missions d’éducation populaire pour expliquer ce qu’est un salaire et ce qui est inscrit sur la fiche de paye. Gagner la bataille des idées sur le salaire socialisé est essentiel. Chaque salarié devrait être conscient que son salaire correspond à ce qui est inscrit dans la case « coût total employeur » et qu’il en verse un tiers dans une caisse qui s’appelle la Sécurité sociale, assise sur le principe de la cotisation selon ses moyens et de la prestation selon ses besoins. L’autre idée essentielle est qu’il n’y a aucun problème de financement de notre système de protection sociale dans un système socialisé. En effet, nous consacrons en France 12 % du PIB pour notre santé ; les États-Unis sont à près de 18 %, soit 50 % de plus, avec un résultat en termes de santé publique catastrophique. Il n’y a donc aucun problème à consacrer une plus forte proportion des richesses produites à notre système de santé, si ce n’est qu’il faut exclure de sa gestion le secteur marchand.
Si ces propositions pouvaient paraître utopiques il y a encore quelques années, les limites du capitalisme ultralibéral sont de plus en plus visibles et ne peuvent plus être évacuées. À nous de ne pas rester dans un discours de constat déprimant et d’avancer des perspectives pour redonner l’espoir de la possibilité réaliste d’un changement radical dans le fonctionnement et le financement de notre système de santé. Sans cela, nous laisserons le terrain au discours de pseudo-bon sens réactionnaire poussant à l’individualisme contre les valeurs collectives, tout en désignant toujours des boucs émissaires soi-disant responsables de nos malheurs