Depuis un accord signé par Nicolas Sarkozy en 2008, l’État reconnaît les diplômes décernés par l’Institut catholique de Paris, parfois complaisamment qualifié d’université (pour mémoire, seuls les établissements publics peuvent porter ce titre). Cette reconnaissance s’ajoute à un statut d’établissement d’enseignement supérieur privé « d’intérêt général », qui bénéficie essentiellement à des officines d’origine cléricale. Le 8 octobre, le journal Le Monde signalait que cette boutique avait fort peu chrétiennement congédié Mme Alice Coffin, élue EELV et militante féministe radicale, pour ses prises de position jugées incompatibles avec les valeurs de l’établissement. Il lui est reproché, en substance, d’avoir déclaré qu’elle faisait son possible pour ne plus lire que des livres écrits par des femmes tant il lui semble que les hommes sont privilégiés dans le monde de l’écriture. On peut penser absolument ce que l’on veut de ces propos, qui ont été injustement caricaturés. Il n’en demeure pas moins que l’on doit s’inquiéter du congé définitif donné à Mme Coffin, qui a pris la forme d’un simple non-renouvellement du contrat précaire qui la liait à la Catho, qui sur ce point est aux avant-postes de l’université publique telle que le gouvernement veut la réinventer, faite de précarité et de contrôle des personnels.
D’aucuns se demanderont sans doute s’il n’est pas en partie normal que ce genre de choses arrive dans une officine catholique privée. Non, ce n’est pas normal, car par la volonté de l’État, la Catho n’est plus si privée que cela… Comme l’enseignement privé sous contrat dans le secondaire, la Catho bénéficie d’une très large reconnaissance publique. On l’a dit, ses diplômes sont reconnus et elle est officiellement “d’intérêt général”, avec ce que cela implique d’avantages fiscaux pour ses mécènes. En faisant le choix politique de ne pas s’en tenir à la séparation d’avec l’État, ses dirigeants, qui exercent souvent à l’université publique en parallèle, ont choisi de se placer dans la sphère d’application de la décision du Conseil constitutionnel du 20 février 1984 relative à l’enseignement supérieur. En voici le 19e considérant, sur lequel se fonde la reconnaissance du principe de liberté d’opinion et d’expression des universitaires, comme principe fondamental du droit français :
“Considérant dès lors que, par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables ; que l’article 57 de la loi fait, dans leur principe, droit à ces exigences en disposant : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et dans leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes de tolérance et d’objectivité.””
Tant que la Catho touchera un centime d’argent public et tant que ses diplômes ne seront pas des chiffons de papier, une attaque professionnelle contre Mme Coffin invoquant ses engagements personnels représente une attaque contre le principe de liberté de tous les universitaires, et contre la notion même d’université. Après la marchandisation des titres universitaires, cette affaire de délit d’opinion est donc le second effet pernicieux de l’accord de 2007 pour l’université française. Si les tartuffes et les jésuites de la Catho veulent jouer les censeurs, il leur suffit de se séparer des privilèges qu’ils ont progressivement regagnés sur la loi de 1905 et de se passer des subsides de la Gueuse et de sa reconnaissance. Dans l’intervalle, en cette année de jubilé du Serment de Vincennes, l’affaire a au moins le mérite de contribuer à dissiper l’écran de fumée des discours confusionnistes sur le « séparatisme » et de nous rappeler que la condition de possibilité d’une science et d’un enseignement qui s’inscrivent dans le prolongement des Lumières n’a pas changé : il faut de l’argent public pour l’école publique, et uniquement de l’argent privé pour l’école privée.