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Budget éducation 2024 et réflexions plus générales

L’article aborde les questions du budget de l’Éducation nationale qui contrairement aux apparences n’est pas à la hauteur des enjeux, de la baisse du nombre d’enseignants, du séparatisme scolaire selon l’indice de positionnement social des élèves accueillis, de la formation initiale et continue insuffisante, de la baisse de la part consacrée à l’Éducation nationale dans le PIB, du manque d’attractivité de la profession enseignante.

Une augmentation en trompe-l’œil

Adopté via le 49-3, le budget de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse est de 64,2 Md€, soit une augmentation de 3,9 Md€(1)Merci au syndicat SNUipp – FSU à qui nous empruntons une partie des éléments sur le budget 2024.. Le premier degré (écoles élémentaire et maternelle) passe à 26,84 Md€ soit une augmentation de 4,58 %. En euros constants (en intégrant l’inflation), l’augmentation n’est plus que de 2,4 Md€. 40 % de cette augmentation est donc absorbé par l’inflation. Le reste de l’augmentation correspond à des mesures déjà en place : prime d’attractivité, « pacte » et mesures statutaires (+ 5 points d’indice en janvier 2024). Ces mesures de « hausse » des salaires, en fait une hausse des revenus correspondant à un nombre d’heures accru, ne compensent pas l’inflation et ne réduisent pas la crise d’attractivité des professions de l’éducation, en particulier des professeurs des écoles (les ex-instituteurs).

Cette situation n’est pas étonnante si l’on consulte les données de l’OCDE :

« Ainsi, l’année dernière, les salaires des professeurs français au collège étaient inférieurs de 16 % par rapport à la moyenne de l’OCDE. Un écart encore plus grand dans l’enseignement élémentaire (du CP au CM2) puisqu’en 2020-2021, les enseignants français – ayant 15 ans d’expérience – touchaient 19 % de moins que la moyenne de l’OCDE (deux fois moins que leurs voisins allemands)[…] »(2)Voir l’article de Raoul.https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-societe/respublica-enseignement/inclusion-parlons-en/7434705

Il n’est pas rare qu’il y ait plus de places disponibles aux concours que de candidats. Le ministère « compense » en recrutant des contractuels balancés sans formation (ou si peu) dans les classes. Le slogan ministériel : « un prof dans chaque classe » peut cacher un recours programmé au précariat. C’est une autre façon de s’attaquer au statut de fonctionnaire et au service public de l’Éducation nationale.

Le privé est mieux loti : il a droit a une augmentation de 6,70 %. Rappelons que les établissements privés sous contrat sont financés à 73 % par l’État. « Alors que l’École publique se dévitalise sous nos yeux, que les mots « liberté, égalité, fraternité » se vident de leur sens dans une École de plus en plus inégalitaire, la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP, le service statistique du Ministère de l’Éducation nationale) a publié cet été des chiffres montrant l’écart immense de composition sociale entre les établissements publics et privés. Si les collèges publics ont près de 20 % d’élèves issus d’un milieu très favorisé et plus de 42 % issus d’un milieu défavorisé, le privé sous contrat, quant à lui, accueille deux fois plus d’élèves socialement très favorisés que les établissements publics et deux fois moins d’élèves défavorisés. C’est donc l’exact inverse : le privé concentre les familles très favorisées et les écarts se creusent. Le voile de l’illusion de la méritocratie est levé pour mettre à jour le phénomène d’« héritocratie » – décrit par le sociologue Paul Pasquali – comme le montrent également sans appel les chiffres rendus publics en octobre – suite au recours du journaliste Alexandre Léchenet – des Indices de Position Sociale (IPS, indice crée en 2016 par les statisticiens du ministère) ».(3)Djéhanne Gani, café Pédagogique 6 janvier 2023. Que le ministère vérifie que le fonctionnement des établissements et des classes correspond aux programmes est logique. Là il s’agit de décider quelles sont les bonnes pratiques… Il faut garder l’esprit ouvert et critique, favoriser le travail collectif et avec des chercheurs. Et non faire plaisir aux modes ou aux desiderata des chefs. Il n’y a pas de recettes magiques.

Sachant tout cela, le gouvernement favorise donc le séparatisme des classes sociales favorisées.

Des emplois en diminution

Moins 1709 emplois dans les écoles. Moins 484 dans les collèges et les lycées. L’argument est la baisse démographique. C’est une occasion perdue d’abaisser les effectifs dans les classes, d’augmenter le nombre d’enseignants spécialisés (RASED ou Réseau d’aide aux enfants en difficulté).

Contrôle des pratiques pédagogiques et mise en concurrence des établissements

Une partie du budget est consacré à différents dispositifs CLA, TER, FIP(4)CLA : contrats locaux d’accompagnement ; TER : territoires éducatifs ruraux ; FIP : fond d’innovation pédagogique dans le cadre du CNR (Conseil National de la Refondation). Si certains dispositifs peuvent modestement réduire les inégalités [par exemple : équipements de manuels scolaires pour les CP et CE1 dans les écoles situées dans les quartiers prioritaires de la Ville (souvent classées en éducation prioritaire)], d’autres favorisent l’individualisation des salaires (concurrence entre les profs), le contrôle des pratiques pédagogiques et la mise en concurrence entre les établissements. C’est souvent une hiérarchie très loin du terrain qui décide quels projets seront retenus ou pas. Les besoins des élèves disparaissent dans les tableurs Excel des inspections académiques ou des rectorats.

La formation professionnelle en recul

Les crédits alloués à la formation sont en baisse. « En trente ans, de 1990 à 2020, le volume horaire de formation initiale théorique et pratique a diminué de 40 % et celui des stages dans les écoles de 30 % »(5)Source : revue de la Fédération nationale des délégués de l’Éducation nationale n° 277, article de Jean-Paul Delahaye repris du Monde de l’Éducation du 3 octobre 2023.. C’est tout particulièrement le cas des crédits destinés à la formation des AESH. Alors que la scolarisation d’enfants porteurs de handicaps est en expansion constante et que, d’ores et déjà, il n’y a pas assez d’heures AESH attribuées réellement à ces élèves, le ministère réduit de fait ce dispositif. Certes il faudrait aller bien au-delà, avec une formation permanente(6)Chaque handicap nécessite des connaissances et des approches professionnelles différentes., un salaire décent et un statut (Éducateur Spécialisé) pour les AESH. Il y a loin du discours du ministère à la réalité…

Oui, mais on dépense beaucoup d’argent (trop ?) pour l’école en France ?!

On entend cette ritournelle libérale jusque dans certains cercles de « gauche ».

La part de dépense de l’État pour la DIE (dépense intérieure d’éducation) est passée de 66 % en 1980 à 57 % en 2021(7)Nos « chiffres » viennent de données officielles du ministère de l’Éducation nationale, de l’OCDE, du Café Pédagogique, l’Étudiant : sources qui ne sont pas spécialement « gauchistes » …. Ce sont les collectivités territoriales qui ont, en partie, compensé cette baisse. Leur part est passée de 14 % en 1980 à 23 % en 2021. En plus, il faut prendre en compte, dans cette augmentation, de la responsabilité des transports scolaires qui est passée aux régions. La part des ménages longtemps à la baisse est repartie à la hausse : de 6,6 % en 2020 à 7, 5 % en 2021.

En transférant ainsi les dépenses, les différents gouvernements ont accru les inégalités. Nous savons tous que les collectivités territoriales ne sont pas égales en termes de finances et n’ont pas d’autres choix que d’augmenter leurs impôts locaux (finançant ainsi les baisses d’impôts de l’État). Pour les familles, le coût des études n’est pas le même suivant la classe sociale. Il serait intéressant d’examiner les choix post-bac dans le supérieur en fonction des CSP des parents…

Recul dans le PIB

Pour l’Éducation, nous sommes passés de 7 % du PIB en 2020 à 6,8 % en 2021. Depuis les années 90, c’est un point de PIB perdu, soit 25 Md€ en moins.

La France dépense moins que la plupart des pays riches. La France est légèrement au-dessus de la moyenne de l’OCDE par élève 11 201 $ en France contre 10 454 $ pour la moyenne OCDE. Mais il faut comparer avec d’autres pays développés : 12 791 $ par élève pour l’Allemagne, 12 245 $ pour le Royaume-Uni, 14 009 $ pour les États-Unis. Dans d’autres comparaisons, la France est derrière la Norvège et la Suède.

Voilà ce qui nous disions déjà dans un précédent numéro de ReSPUBLICA(8)https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/sans-comprehension-du-reel-toute-strategie-gagnante-est-illusoire-petit-tour-succinct-de-la-situation-de-la-france/7434903 :

« D’après l’OCDE, le salaire brut annuel moyen d’un enseignant de collège en 2021 en France était de 30 400 euros en début de carrière et 36 600 après 15 ans d’expérience. Au Luxembourg et en Allemagne, les chiffres sont de 69 000 et 95 100 euros pour le premier et 65 600 et 78 500 pour le second. L’Espagne, la Belgique et les Pays-Bas ont des chiffres nettement plus élevés que la France.»

À ce constat, il faut ajouter que le nombre d’heures devant les élèves pour les enseignants du primaire en France est très supérieur à celui d’un enseignant en Allemagne. Là où le bât blesse, c’est que les journées de classe sont longues et concentrées sur un temps plus court : cent-quarante-quatre jours par an contre une moyenne de cent-quatre-vingt-cinq jours ailleurs en Europe(9)Source : revue de la Fédération nationale des Délégués de l’éducation nationale n° 277, article de Jean-Paul Delahaye repris du Monde de l’Éducation du 3 octobre 2023. L’autre sujet de préoccupation est qu’en France (par rapport aux autres pays européens) les dépenses se concentrent plus sur le supérieur que sur l’école primaire ou premier degré.

C’est aussi en France que l’augmentation des dépenses est la plus faible en particulier pour les écoles primaires : + 0,5 % d’augmentation par an pour la France contre + 0,9 % en Allemagne, + 1,3 % pour le Royaume-Uni et les États-Unis et quatre fois plus en Italie. Si on s’attarde un moment sur le supérieur, l’écart est très inquiétant : + 0,3 % en France contre 1,6 % en moyenne dans l’OCDE.

Donc, si dans votre village, votre ville, votre département, votre région, si les personnels de l’Éducation Nationale, les Parents des Élèves de l’École Publique s’engagent pour une ouverture de classe, les remplacements des professeurs absents par des personnels qualifiés, une meilleure scolarisation des élèves handicapés, n’hésitez pas… allez les soutenir. Cela s’inscrit dans la défense des services publics.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Merci au syndicat SNUipp – FSU à qui nous empruntons une partie des éléments sur le budget 2024.
2 Voir l’article de Raoul.https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-societe/respublica-enseignement/inclusion-parlons-en/7434705
3 Djéhanne Gani, café Pédagogique 6 janvier 2023.
4 CLA : contrats locaux d’accompagnement ; TER : territoires éducatifs ruraux ; FIP : fond d’innovation pédagogique dans le cadre du CNR (Conseil National de la Refondation
5 Source : revue de la Fédération nationale des délégués de l’Éducation nationale n° 277, article de Jean-Paul Delahaye repris du Monde de l’Éducation du 3 octobre 2023.
6 Chaque handicap nécessite des connaissances et des approches professionnelles différentes.
7 Nos « chiffres » viennent de données officielles du ministère de l’Éducation nationale, de l’OCDE, du Café Pédagogique, l’Étudiant : sources qui ne sont pas spécialement « gauchistes » …
8 https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/sans-comprehension-du-reel-toute-strategie-gagnante-est-illusoire-petit-tour-succinct-de-la-situation-de-la-france/7434903
9 Source : revue de la Fédération nationale des Délégués de l’éducation nationale n° 277, article de Jean-Paul Delahaye repris du Monde de l’Éducation du 3 octobre 2023
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