Le Conseil supérieur des programmes, à la demande du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, a élaboré des recommandations pour que les « élèves » deviennent « des citoyens engagés et responsables de leur environnement ». L’objectif affiché par la rue de Grenelle est de rassurer les élèves qui seraient dominés par une certaine « écoanxiété » alimentée par les informations et données avérées des instituts scientifiques sur les conséquences du changement climatique dû aux activités humaines. Il faut cependant veiller à ne pas transformer les séances consacrées à ce sujet important pour le devenir de l’humanité et pour l’ensemble du vivant en une pratique idéologique contraire aux principes de laïcité qui doivent présider au sein du service public de l’Éducation.
Y a-t-il redondance avec l’existant ?
Outre le fait que depuis 2004, les thèmes du changement climatique, de la diminution de la biodiversité, la question de l’énergie… figurent déjà dans les programmes, l’injonction « écologique » risque d’entamer le principe qui devrait régir les actions éducatives et l’instruction publique. Il s’agit notamment du respect de la liberté de conscience des élèves qui doit se fonder sur l’éducation à la liberté assortie d’une acquisition de connaissances raisonnées et d’une culture universelle. Il s’agit également de bien distinguer les connaissances qui sont universelles et les croyances ou opinions personnelles qui sont particulières. La mission première de l’école publique est bien de former des citoyens libres et éclairés et non de les conformer à des normes religieuses ou idéologiques.
Des professeurs affirment que les programmes tournent déjà autour de l’éducation au développement durable au point d’éclipser, notamment en géographie, les autres aspects et s’interrogent sur la nécessité d’en rajouter une couche. Ce faisant risquent d’être écartés ou occultés d’autres aspects du programme tout autant essentiels à l’acquisition d’une culture générale et universelle.
Engager l’école dans la voie d’une sorte de repentance et de culpabilisation relève de la moraline ou du catéchisme et transforme l’écologie dévoyée en une nouvelle religion qui ne dit pas son nom.
Éviter un catéchisme écologique
En effet, la République laïque s’abstient de dire quelle est la bonne philosophie de vie et, l’école, qui en est un pilier fondamental, doit respecter ce principe sous peine de sortir de son rôle émancipateur. Cela ne doit pas empêcher, bien au contraire, de transmettre ou de construire avec les élèves dans le cadre d’une pédagogie active les notions scientifiques concernant le climat, la biodiversité des sols, le cycle de l’eau, les interactions entre les activités humaines et l’environnement. Ces savoirs critiques en ce sens qu’ils permettent le discours argumenté et fondé sur des éléments factuels favorisent la formation d’une autonomie de jugement indispensable pour que la République soit pérenne et forte dans ses fondements démocratiques. Comme l’indique un professeur d’histoire (1)Sources : Marianne n° 1361 qui a interrogé un professeur agrégé d’histoire., « le développement durable doit être étudié comme une matière scientifique [pour] enseigner des savoirs, pas des postures sociétales. [Ces cours ne doivent pas] se transformer en une sorte de messe de repentance. La scolarité ne doit pas devenir un lieu en conformité sociale. »
Tout cela n’interdit pas, bien au contraire, de mettre en pratique quotidiennement tout au long de la scolarité des gestes écocitoyens tels que trier le papier utilisé, jeter ses déchets dans les poubelles de l’établissement, d’aérer les classes régulièrement tout en n’oubliant pas de fermer les fenêtres, de ne pas laisser couler l’eau du robinet de manière immodérée… Cela relève de la « décence commune ».
Préserver le principe de laïcité au sein de l’école dans la conduite de tous les apprentissages
Le risque de dévier vers une sorte de norme écologique impérative et non discutable est patent. Cela pourrait entraver la mission universaliste de l’école dont les enseignants au premier chef doivent être les acteurs de même que l’État dont la Constitution lui enjoint d’organiser un grand service public et laïque d’éducation et d’instruction pour les filles et les garçons. Parce que sa vocation est universaliste, l’école publique est émancipatrice en ce sens qu’elle vise à sortir toutes les personnes de l’état de dépendance que pourrait constituer le conditionnement familial dans certains cas, que pourrait constituer l’environnement proche dans certains quartiers, de sortir de l’état d’ignorance. Ce faisant, elle se refuse à enfermer les jeunes gens qu’elle accueille dans des identités restreintes, des communautés particulières qu’elles soient d’origine religieuse ou idéologique. Cela est valable pour un enseignement laïque de la morale, pour une approche scientifique du développement durable ou encore pour un enseignement de l’histoire non orienté politiquement ou, de même, pour l’étude des économies, étude qui ferait la part belle, pour les programmes les plus récents, aux conceptions néolibérales.
L’école ne doit pas être le lieu d’une mise en conformité des élèves avec les normes sociales du moment. Elle doit permettre un recul, une prise de distance avec ces normes pour mieux les comprendre voire les remettre en cause de façon raisonnée.
L’institution scolaire ne doit pas être assujettie à un utilitarisme de court terme. Depuis les années 1986 et peu de temps auparavant avec l’abandon d’un grand service public laïque et unifié d’éducation (2)Projet SPULEN – Service public et laïque de l’Éducation nationale – en 1984 du ministre Alain Savary, projet qui achoppe l’opposition des associations d’enseignement catholique à la volonté d’intégrer les maîtres du privé dans la fonction publique qui aurait mis en cause leur autonomie. Le projet porté par le ministre Savary posait en outre, pour celles et ceux attachés au principe de laïcité, problème en raison du risque d’intégrer le « caractère propre » dans l’école publique, caractère propre contraire au principe d’universalisme émancipateur non. et jusqu’à nos jours, les ministres de l’Éducation nationale ont mis en exergue par-dessus toutes les autres missions l’insertion professionnelle des élèves. Ce n’est certes pas un objectif rédhibitoire, mais ce faisant ont été délaissés les savoirs universels et l’acquisition d’une culture élevée et universelle pour toutes et tous. Ont été ainsi abandonnées l’acquisition d’un savoir émancipateur à même d’ouvrir les élèves, potentiellement, à la beauté, à la grandeur, à une morale et une éthique non soumise aux dogmes notamment religieux, à la complexité de l’esprit, de la pensée et de la conscience humaines. Ainsi, l’éducation au développement durable doit pouvoir être questionnée et ne pas devenir un catéchisme. Elle doit favoriser l’esprit critique et ne pas enfermer dans des conceptions fermées indiscutables et, donc, la pensée scientifique, la pensée rationnelle, le développement des connaissances avérées doivent devenir l’alpha et l’oméga de cet enseignement.
Il en est de l’enseignement de la morale comme de l’enseignement au développement durable. Le cadre laïque doit être respecté. Dans l’ordre de la conduite humaine, toute morale doit se baser sur des principes universels dont l’universalité se juge au fait que leur application est bonne, valable pour chacun et chacune d’entre nous, homme ou femme. Ainsi, à l’école, un enseignement laïque de la morale ne doit pas se contenter d’une présentation d’un consensus des opinions en la matière accepté communément dans la société du moment ou d’un consensus autour des valeurs communes à toutes les religions. Il ne doit pas non plus se transformer en lieu et place d’un catéchisme religieux en un catéchisme républicain ni promouvoir des conceptions particulières qui contrediraient le principe d’universalité. Pour autant, l’abstention qui mettrait à égalité toutes les valeurs n’est pas acceptable, car il est des valeurs qui fondent l’école publique. Ces valeurs ne sont en aucune matière assujetties à des présupposés religieux ou athées.
Préserver l’école du consensus mou et idéologique autour de l’idéologie dominante
L’enseignement laïque de la morale suppose une approche réflexive pour écarter tout conformisme, pour ne pas succomber à un consensus idéologique autour de l’idéologie dominante. L’école n’a pas à se soumettre à la société du moment et donc doit viser la lucidité critique. De même que l’État (Locke) s’abstient de privilégier une conception de la vie bonne, l’enseignement laïque de la morale s’y refuse (exemples : se marier ou vivre en union libre, procréer ou non, avorter ou non, pratiquer la sexualité pour le seul plaisir ou pour procréer, être hétérosexuel ou homosexuel, être croyant ou athée…). La République laïque, c’est l’objet que devrait servir l’école publique et faire partager à tous les jeunes gens qu’elle accueille, conjugue la liberté de conscience émancipée par l’instruction, l’égalité de droits de tous les citoyens et le primat de l’intérêt général sur l’intérêt particulier. Ainsi plusieurs éthiques de vie peuvent vivre sur la base d’une morale commune se fondant sur les libertés et le respect de la personne, les lois qui assurent de manière harmonieuse la paix civile, la vie commune (3)Source intéressante : brochure éditée par la MAIF et rédigée par Henri Pena-Ruiz qui l’a présentée lors d’une conférence le 2 novembre 2014 à Riedisheim dans le Haut-Rhin.. Dans le cadre de cette liberté de culte, il est bon de rappeler ce qu’affirmait Spinoza : les pratiques religieuses et ferventes qui contreviennent à l’intérêt public doivent être interdites.
La laïcité partout pas uniquement dans l’EMC (enseignement civique et moral)
Ces considérations sur l’enseignement laïque de la morale conviennent pour tout l’enseignement et tout particulièrement pour un enseignement sur les notions de développement durable qui, officiellement, a pour objet de réduire le niveau supposé d’anxiété de la jeunesse. En effet, un tel enseignement peut facilement dériver sur des injonctions morales, sur des conceptions sur ce que serait « la vie bonne ». Cet enseignement doit reposer sur une acquisition de savoirs universels et donc émancipateurs en ce sens qu’ils permettent à chacun d’ajuster son comportement, sans soumission à des normes extérieures qui seraient imposées en dehors de toute délibération démocratique et collective soit directement par chaque citoyen, soit par leurs représentants ou les deux conjugués, d’ajuster son comportement pour préserver son intégrité morale et physique, pour assurer sa puissance d’être et d’agir au mieux pour soi-même, pour les autres et l’environnement.
Prenons l’exemple de la consommation de viande. Qu’à l’école soient transmises des notions sur les nuisances dues à une consommation exagérée de viande, une information scientifique sur l’impact négatif en termes de biodiversité des sols, d’émissions de gaz à effet de serre de l’élevage industriel en raison de l’importation de nourriture pour les animaux et de la concentration sur une faible surface, c’est nécessaire. Compléter cette information par la présentation de faits qui indiquent qu’un élevage extensif sur prairie est neutre en termes d’émission de GES ou même bénéfique, car l’herbe possède une forte capacité d’absorption de CO² et produit des engrais naturels réduisant d’autant l’usage d’intrants chimiques est également utile pour alimenter une discussion rationnelle. Pour autant, il serait inconcevable d’en arriver à promouvoir une alimentation végane comme seule conduite humaine acceptable. C’est du ressort de la liberté de chacun et chacune de déterminer la bonne conduite pour soi-même, pour les autres et pour l’environnement.
Écarter toute moraline au profit d’une morale réflexive et critique
Cet enseignement consacré au développement durable est certes nécessaire, mais il faut veiller à ce qu’il ne se dégrade pas en « moraline » ou catéchèse écologique contraire au développement de la pensée scientifique et rationnelle et du discours argumenté. C’est le même principe qui doit régir tous les enseignements y compris l’économie au lycée où tous les systèmes de Karl Marx et ses successeurs aux ultralibéraux en passant par Keynes doivent être abordés sans en privilégier aucun.
Notes de bas de page
↑1 | Sources : Marianne n° 1361 qui a interrogé un professeur agrégé d’histoire. |
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↑2 | Projet SPULEN – Service public et laïque de l’Éducation nationale – en 1984 du ministre Alain Savary, projet qui achoppe l’opposition des associations d’enseignement catholique à la volonté d’intégrer les maîtres du privé dans la fonction publique qui aurait mis en cause leur autonomie. Le projet porté par le ministre Savary posait en outre, pour celles et ceux attachés au principe de laïcité, problème en raison du risque d’intégrer le « caractère propre » dans l’école publique, caractère propre contraire au principe d’universalisme émancipateur non. |
↑3 | Source intéressante : brochure éditée par la MAIF et rédigée par Henri Pena-Ruiz qui l’a présentée lors d’une conférence le 2 novembre 2014 à Riedisheim dans le Haut-Rhin. |