Prétextant que l’école de la République, malgré un travail et les efforts des enseignants en ce sens, peine à réduire les inégalités de départ entre les élèves, des élus veulent modifier le rôle des directeurs et directrices des écoles élémentaires en leur donnant une autorité fonctionnelle jusqu’à présent dévolue au Conseil des maîtres, ainsi qu’une délégation de compétences jusqu’ici du ressort des Inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN). La loi adoptée en deuxième lecture au Sénat le 20 octobre 2021 fait suite à plusieurs tentatives avortées :
- En 1987, projet des maîtres-directeurs porté par René Monory (1)Cette loi rompt avec la collégialité et l’égalité entre enseignants du premier degré. Elle veut faire des directeurs d’école de véritables supérieurs hiérarchiques. C’est une modification déterminante des rapports de travail,
- En 2004, projet porté par François Fillon consistant à transformer les écoles en établissements publics de l’enseignement primaire (Epep) avec la possibilité de créer un chef d’établissement du 1er degré. (2)Elle prévoit que « les établissements publics de coopération intercommunale ou plusieurs communes d’un commun accord, ou une commune, peuvent, après avis des conseils des écoles concernées et accord de l’autorité académique, mener, pour une durée maximum de cinq ans, une expérimentation tendant à créer des établissements publics d’enseignement primaire ».
- En 2006-2007, Gilles de Robien successeur de F. Fillon au ministère de l’Éducation nationale, tente de faire passer le décret d’application. Finalement le décret n’est pas publié en raison de l’opposition de tous les syndicats d’enseignants.
- De 2010 à aujourd’hui le débat est régulièrement remis sur le tapis au travers de l’Institut Montaigne (proche de LREM) : le rapport Leloup et Caraglia, deux inspectrices générales, évoque l’Epep comme solution aux dysfonctionnements des circonscriptions du 1er degré. Mais début mars 2017, la ministre publie des « engagements » en faveur des directeurs pour alléger leurs tâches administratives qui enterrent les Epep.
- Jean-Michel Blanquer(3)Membre de l’Institut Montaigne, directeur adjoint de de Robien et Dgesco sous Luc Chatel. Autrement dit, il est à l’œuvre dans chaque tentative pour faire passer cette idée., dans son livre L’école de demain, prend encore une fois position en faveur des Epep et de directeurs qui soient de véritables chefs d’établissement. La cour des comptes demande, dans le premier degré, « d’associer les directeurs d’école à l’évaluation des enseignants par l’IEN ; donner aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement la responsabilité, dans certaines limites, de moduler la répartition annuelle des heures de service… »
- En 2021, dans Les Echos, Cécile Rilhac évoque la possibilité pour le ministre de créer cette nouvelle fonction (chef d’établissement du premier degré) pour « bien encadrer les missions du directeur d’école et avoir une revalorisation indemnitaire beaucoup plus importante par un système de primes ». Ces futurs chefs d’établissement pourraient ne faire que « piloter l’école primaire » à partir d’un certain seuil – qui serait fixé par le ministre. Selon elle, le seuil serait un établissement de 12 classes. Et ce serait la réponse adaptée à la crise des directions d’école.
Quelle vision de l’école ?
J-M Blanquer se plaît à croire que les directeurs et directrices d’école souhaiteraient « plus d’autonomie pour prendre des décisions ». Cela ne correspond pas à la réalité et est en contradiction avec sa politique qui est d’imposer des normes pédagogiques alors que la colonne vertébrale du système éducatif reposait sur les libertés pédagogiques des enseignants qui ont l’obligation de mettre en œuvre les moyens pour atteindre les objectifs.
Les directeurs et directrices sont en demande de moyens, de temps de décharge de classe pour coordonner les actions des acteurs de l’Éducation nationale, en premier lieu des collègues, actions définies collégialement en Conseil des maîtres. Créer un échelon hiérarchique supplémentaire modifie le fonctionnement des écoles et obérera les nécessaires projets communs de l’équipe enseignante au détriment des élèves. D’une école qui existe depuis Jules Ferry fonctionnant comme des « petites républiques » avec un Conseil des maîtres dont le directeur n’est pas le chef mais le représentant, une école ayant vocation à former des citoyens libres et conscients, on voudrait passer à un système napoléonien avec un chef à la tête. Mettre à la tête un chef soumis de par son statut n’est pas le meilleur chemin pour atteindre l’objectif de former des citoyens
Lutter contre l’échec scolaire
Les directeurs et directrices ne souhaitent pas devenir un supérieur hiérarchique. Dans la majorité des cas, ils souhaitent demeurer des collègues à égalité tout en se situant dans la voie hiérarchique entre les professeurs des écoles et l’inspecteur de circonscription (IEN). Trop d’élèves sortent du système éducatif sans aucun diplôme qualifiant. Croire qu’instituer un chef d’établissement dans les écoles permettra de favoriser la réussite des élèves relève de la pensée magique. Cette pensée magique évite aux gouvernements obnubilés par les économies et l’austérité budgétaire de réfléchir aux pistes qui montrent leur efficacité dans la lutte contre l’échec scolaire dans les lieux où elles ont été expérimentées en France et dans d’autres pays :
- Baisse des effectifs par classe,
- Un enseignant ou enseignante supplémentaire par rapport au nombre de classe (6 professeurs des écoles pour 5 classes),
- Des équipes de Rased renforcée (Réseau d’aide aux élèves en difficulté) et un nombre suffisant de psychologues scolaires.
- Reconnaissance de la fonction enseignante par une revalorisation des rémunérations (par rapport à leurs collègues allemands, les enseignants français perçoivent une rémunération bien moindre pour un nombre annuel d’heures en présence des élèves bien supérieur)
Une direction soumise et une remise en cause de l’échelon communal
À tout moment, l’autorité fonctionnelle peut lui être retirée par l’inspecteur. Cela en fera un rouage particulièrement docile. En perspective, le corps des inspecteurs pourrait bien disparaître (suppression des IEN) et la direction de l’école sera sous les ordres de l’inspection académique. Dans le fonctionnement actuel, le directeur, la directrice et ses collègues bénéficient d’une certaine latitude pour gérer au mieux l’école dans le but d’atteindre les objectifs fixés nationalement.
Une remise en cause de l’autonomie des écoles par rapport aux collèges
Les écoles de moins de dix classes seraient regroupées et confiées à la gestion des principaux de collège sous le label « écoles du socle ». Ce faisant, la répartition des tâches, la pédagogie et l’organisation relevant de l’Education nationale et des enseignants réunis en Conseil des maîtres et les moyens matériels dévolus au Conseil municipal avec les aides de l’Etat pour corriger les inégalités territoriales, serait remise en cause.
Qui peut vraiment penser que l’autorité du principal du collège du secteur pourrait tenir compte des réalités de chaque école dans l’intérêt des élèves ? A l’heure où les initiatives municipales dans la gestion de la Covid 19, la reprise en main par les communes ou syndicat de communes de la gestion de l’eau, de récolte des déchets et leur traitement par un service public en lieu et place d’une gestion privée montrent leur efficacité dans l’intérêt général des usagers, voilà une réforme qui va à l’opposé et désorganise le fonctionnement des écoles en contrariant la nécessaire coopération entre les professeurs en instaurant un supérieur hiérarchique dont le statut inspirera la défiance à son égard.
L’école a besoin, dans le cadre des directives ministérielles et des grandes orientations ou finalités fixées par la représentation nationale, non pas de caporalisation mais de liberté pédagogique pour prendre des initiatives au service de la réussite des élèves. Dans le même ordre d’idées, opposer comme cela s’entend trop souvent au niveau du ministère, pédagogie et transmission des savoirs est contreproductif. L’une et l’autre vont ensemble.
Notes de bas de page
↑1 | Cette loi rompt avec la collégialité et l’égalité entre enseignants du premier degré. Elle veut faire des directeurs d’école de véritables supérieurs hiérarchiques. C’est une modification déterminante des rapports de travail |
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↑2 | Elle prévoit que « les établissements publics de coopération intercommunale ou plusieurs communes d’un commun accord, ou une commune, peuvent, après avis des conseils des écoles concernées et accord de l’autorité académique, mener, pour une durée maximum de cinq ans, une expérimentation tendant à créer des établissements publics d’enseignement primaire ». |
↑3 | Membre de l’Institut Montaigne, directeur adjoint de de Robien et Dgesco sous Luc Chatel. Autrement dit, il est à l’œuvre dans chaque tentative pour faire passer cette idée. |