Désolé, nous ne demanderons pas la démission de l’actuelle ministre de l’Éducation. Non pas que nous soyons d’accord avec elle, mais la batterie de casseroles qu’elle trimbale en tant que ministre est autant d’arguments de fond pour notre camp. Elle rend visible le fonctionnement de la « bourgeoisie »(1)Par « bourgeoisie », nous entendons propriétaires des moyens de production et leurs gestionnaires. envers l’école et le sport. D’ailleurs on peut se féliciter de la réussite de la grève du 1er février dans l’Éducation. Grève reconduite dès le 2 février dans certains établissements et qui devrait se poursuivre le mardi 6 février.
Profs mal remplacés ?
Pour justifier le choix d’un établissement privé pour son fils, la ministre le justifie par des profs mal remplacés : soit c’est une attaque contre les personnels, soit contre un système. Pour les personnels, rappelons que les différents gouvernements Macron et Consorts n’ont jamais voulu faire les efforts budgétaires(2)Même si la démocratisation de l’école publique n’est pas seulement une question de moyens. pour prendre en charge cette difficulté. Tout d’abord, le métier d’enseignant est devenu tellement peu attractif que certains concours offrent plus de places disponibles que de candidats inscrits. Les salaires ne sont pas à la hauteur, sans parler des injonctions paradoxales permanentes d’une hiérarchie le plus souvent incapable d’aider les collègues en difficulté. Des « réformes » qui s’ajoutent les unes aux autres à chaque changement de ministre sans qu’aucun travail sérieux de retour d’expérience ne soit fait. Sachant qu’il faut cinq ans pour qu’une réforme s’installe vraiment. Celles-ci seraient plus efficaces si elles étaient réellement coconstruites avec les personnels…
Ces mêmes gouvernements ont de plus en plus recours à des personnels contractuels, balancés sur le terrain avec une formation proche du zéro. Rappelons quand même en ce qui concerne les écoles primaires que même si une professeure des écoles est absente, les élèves sont accueillis et répartis dans les autres classes. Evidemment cela surcharge les effectifs de ces dernières. Avant il y avait des postes dédiés aux remplacements (ZIL(3)Zone d’intervention limitée : remplacements de courte durée. Gérés rapidement, car localement. Aujourd’hui tout est géré au niveau départemental., BD(4)Brigade départementale ; remplacements plus longs.) tenus par des fonctionnaires formés…
Par ailleurs, le dénigrement permanent de l’école publique au plus haut niveau de l’État — cette ministre en est l’illustration —, et dans les médias est un facteur de découragement quotidien. Le sentiment de nombreux enseignants est qu’en cas de conflit avec une famille, la hiérarchie donne démagogiquement raison à cette dernière, quelle que soit la situation. Enfin tous les enseignants savent que les derniers ministres sont souvent passés par le privé et qu’ils y inscrivent leur progéniture.
Passage anticipé d’une classe à l’autre
La vraie raison du passage dans un établissement privé du fils de la ministre serait que la famille voulait que l’enfant « saute une classe » : un passage anticipé de la petite section de maternelle à la moyenne section(5)Rappelons qu’à l’école dite maternelle, il y a la petite section, la moyenne section et la grande section. Parfois la toute petite section avec les deux ans.. Depuis la vulgarisation nécessaire des recherches concernant les enfants « surdoués » ou « précoces », bon nombre de familles sont persuadées que si leurs enfants ont des difficultés à l’école, c’est qu’ils sont trop brillants pour celle-ci. En effet, la gestion pédagogique de ce type d’enfants n’est pas simple. Mais la difficulté scolaire n’apparaît pas que pour les surdoués et les précoces… Le confinement avec la réalité du travail scolaire fait à la maison a calmé certains parents.
Revenons à notre ministre. L’école publique a estimé que le passage anticipé n’était pas justifié. En général ce genre de décision se fait en équipe pédagogique et avec le RASED(6)Réseau d’aide aux enfants en difficulté., dans l’intérêt de l’enfant. Là, la famille fait du consumérisme scolaire puisqu’elle choisit un établissement privé qui se plie à ses exigences. Liberté me direz-vous ! Quelle liberté ? Celle du porte-monnaie !
Choix d’un établissement privé et réactionnaire
Stanislas est un établissement privé catholique sous contrat d’association avec l’État fondé en 1804 par l’abbé Claude Rosalie Liautard : « Stan » pour les intimes… Stanislas se compose d’une école maternelle de quatre classes, d’une école élémentaire de treize classes ; d’un collège, de deux ULIS (unité locale pour l’inclusion scolaire), d’une SEGPA (section générale et professionnelle adaptée) ; d’un lycée, de classes préparatoires (plus de 800 étudiants), d’une prépa médecine, d’un bachelor « science politique, géopolitique, humanités » et d’internats (un pour les filles et un pour les garçons). En équipement, on relève vingt et un labos, trois amphis, trois salles d’étude, sept gymnases, deux piscines, deux murs d’escalade(7)Une pensée émue pour les établissements publics de banlieue qui rament pour avoir un créneau de gymnase ou de piscine.. « Elle est pas belle la vie » !?
Des enquêtes de L’Express, Mediapart, Le Monde et Brut mettent en cause à partir de juin 2022 « l’univers sexiste, homophobe et autoritaire de Stanislas ». Après de nombreuses relances, le ministère de l’Éducation nationale ouvre une enquête administrative en mai 2023 « afin d’identifier d’éventuels dysfonctionnements » au sein de l’établissement, incluant un appel à témoignages. Une centaine de personnes sont auditionnées par les membres de l’Inspection générale de l’Éducation nationale(8)Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A8ge_Stanislas_%28Paris%29.. Les conclusions des inspecteurs sont rendues en août 2023 à Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, mais ces conclusions ne sont pas dévoilées. En janvier 2024, Amélie Oudéa-Castéra, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, dont les enfants sont scolarisés à Stanislas, affirme ne pas avoir reçu ce rapport, un rapport qui depuis a été rendu public par Médiapart.
Après un signalement effectué par l’Inspection générale de l’Éducation nationale en octobre 2023, au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale qui oblige les fonctionnaires à signaler tout crime ou délit porté à leur connaissance, une enquête a été ouverte, notamment pour injure publique et incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, par le parquet des mineurs et a été confiée aux services d’enquête judiciaire des commissariats du Ve et du VIe arrondissement de Paris.
En 2003, un ancien éducateur du lycée est condamné à sept ans de réclusion criminelle pour tentative de viol en 1996 sur un élève de 5e lors d’un séjour à Courchevel.
L’abbé responsable de l’aumônerie de Stanislas jusqu’en 2009 est condamné en septembre 2020 par l’Église pour des agressions sexuelles, dont l’une au moins a été commise au collège Stanislas. Les faits se seraient déroulés pendant la confession. L’affaire fut classée sans suite par le parquet de Paris.
En 2021, le directeur du collège Stanislas entre 2003 et 2015 puis de Saint-Jean-de-Passy(9)Autre établissement privé., est visé par une plainte déposée par un élève de Saint-Jean-de-Passy. Il est mis en examen en février 2021, la plainte est confirmée par la cour d’appel de Versailles le 14 septembre 2022. En 2023, l’affaire est pendante devant la Cour de cassation.
Le pire est que Stanislas est financé par les fonds publics : enseignants payés par l’État (comme tous les établissements privés sous contrat), plus les financements obligatoires et petits cadeaux facultatifs de certaines collectivités locales. La mairie de Paris a suspendu les financements obligatoires depuis la publication du rapport, elle verse à l’établissement 1 373 905 d’euros par an. La Région Île-de-France maintient une prise en charge obligatoire des frais d’internat des lycéens. Et sa présidente s’est engagée à remettre 487 000 € en plus du forfait obligatoire à l’établissement. Ce sont 8 à 9 millions d’euros de subventions facultatives que la région, présidée par Valérie Pécresse, reverse aux établissements privés sous contrat : 8 à 9 000 000 € puisés dans les poches des contribuables.
Mais la région Île-de-France n’est pas la seule à faire des cadeaux aux établissements scolaires du privé. En Seine-et-Marne, c’est le département qui contribuera à financer la création un collège privé partenaire de Stanislas. Le département des Yvelines a déboursé 2,6 millions d’euros pour les établissements du privé(10)Source : café pédagogique du 24/01/24 avec Lilia Ben Hamouda.. Nous ne parlons pas ici de l’obligation faite aux collectivités territoriales de financer les établissements privés sous contrat, mais bien de subventions facultatives. Il ne fait nul doute qu’une bataille contre les subventions facultatives versées aux établissements privés serait bien plus pertinente que de s’attaquer à la loi de 2004 (contre les signes religieux à l’école).
À Stanislas en 2023, les tarifs annuels de scolarité allaient de 1 208 € à 2 027 €, auxquels s’ajoutent 1 354 € en demi-pension ou 10 252 € en pension complète. L’établissement a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 3 millions d’euros la même année, tout en bénéficiant d’un financement public de 1,3 million d’euros, auquel s’ajoute près d’un demi-million d’euros, à la légalité contestée, de subventions d’investissement pour « des travaux de mise aux normes et de mise en accessibilité », qui ont été octroyées par la région Île-de-France.
On le voit : ce choix n’est pas neutre politiquement. Il s’agit d’un établissement réservé à l’entre-soi de la fraction la plus réactionnaire de la bourgeoisie parisienne. Par ailleurs, la famille a choisi d’inscrire les enfants en classe non-mixte…
Un Parcourssup particulier
Médiapart du 20 janvier 2024, révèle que le fils aîné de la ministre, admis en Prépa à Stanislas, a bénéficié d’un système « maison » qui contrevient à l’égalité des chances.
En effet, le lycée Stanislas a mis en place un système pour que les élèves de son établissement soient prioritairement choisis pour ses classes prépas. 25 % des élèves de ces classes prépas sont d’anciens élèves du lycée Stanislas. Ce qui est contraire aux règles de Parcoursup. Mais chacun sait que pour la bourgeoisie, les règles, c’est pour les gueux.
Soyons people !
La famille Oudéa-Castéra est un exemple significatif de la reproduction de la bourgeoisie(11)Nous vous recommandons le brillant article paru dans L’Humanité du 25 janvier 2024, « Amélie Oudéa-Castéra, pur produit de sa classe » de Thomas Lamahieu.. On sait depuis les travaux des sociologues Pinçot-Charlot qu’une des grandes craintes des familles bourgeoises, c’est la « mésalliance ». Le mariage entre la bergère et le prince ou « Pretty woman », c’est pour les boniments vendus au peuple.
Pour cette famille, rassurez-vous ce n’est pas le cas !
Monsieur a fait partie des conseillers de Nicolas Sarkozy durant son passage au ministère du Budget. Il est recruté par la Société générale en 1995. Après l’affaire Kerviel, qui frappe la banque en janvier 2008, il en est nommé directeur général. Frédéric Oudéa accède au poste de PDG en mai 2009. En mai 2015, il quitte la présidence du groupe pour se consacrer à la direction générale de la Société générale. En 2016, la Société générale est la principale banque française concernée par le scandale des Panama Papers. La députée PCF Marie-George Buffet demande alors la démission de Frédéric Oudéa ainsi que des suites judiciaires, étant avéré que celui-ci a menti quatre ans plus tôt, en assurant lors de son audition sous serment par la commission d’enquête sur l’évasion fiscale, que sa banque ne détenait plus de filiale dans des paradis fiscaux. Le sénateur PCF Éric Bocquet a, quant à lui, annoncé qu’il allait saisir le bureau du Sénat en vue de poursuivre en justice Frédéric Oudéa pour faux témoignage, au sujet de ces déclarations faites sous serment lors d’une audition au Sénat. Le 27 mai, le bureau du Sénat permet à Frédéric Oudéa d’éviter le passage en justice, au grand étonnement du groupe communiste qui avait sollicité le bureau.
C’est en tant que directeur financier de la Société Générale, qu’il est chargé de recruter Amélie Castéra. Elle est par ailleurs la fille d’un haut fonctionnaire qui œuvrait comme dirigeant chez Publicis.
Pour madame, les temps sont durs. La pauvre, elle enchaîne les CDD ! Mais que font les syndicats !? Jugez un peu. Elle a perçu une rémunération nette de 647 000 d’euros chez AXA (de juin 2017 à mai 2018), 1,53 million d’euros chez Carrefour (novembre 2018 à mai 2021), 521 000 d’euros de la part de la fédération française de tennis (mars 2021 à mai 2022). Elle n’a touché que 164 000 d’euros pour sa participation au CA de Plastic Omnium et une misère chez Eurazeo : 135 000 euros.
La valeur de son stock d’actions chez AXA est estimée à 2,8 millions d’euros. Ses titres chez Carrefour avoisinent 700 000 euros. Au niveau patrimoine, l’estimation est autour de 7 000 000 d’euros. Sans compter les revenus astronomiques de son mari. C’est ça la « méritocratie »…
Notre chère ministre est donc dans le viseur de la Commission d’enquête sur les défaillances des fédérations sportives(12)« Amélie Oudéa-Castéra reprise de volée par la Commission d’enquête », Nicolas Guillermin, L’Humanité du 24 janvier 2024.. D’où le texte paru au Journal officiel dont nous publions l’article 1 :
Décret n° 2024-26 du 22 janvier 2024
Le Premier ministre,
Sur la proposition de la ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des jeux olympiques et paralympiques,
Vu le décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres, notamment son article 2-1,
Décrète :La ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques ne connaît pas :
1° Des actes de toute nature relatifs aux sociétés des groupes AXA, Carrefour, Société Générale, Capgemini, Sportbudiz et Sanofi ;
2° De toute décision concernant directement l’association Fédération française de tennis, l’association « Rénovons le sport français » et l’établissement privé catholique sous contrat d’association avec l’Etat « Stanislas ».
Conformément à l’article 2-1 du décret du 22 janvier 1959 susvisé, les attributions correspondantes sont exercées par le Premier ministre.[…]
Fait le 22 janvier 2024.
Gabriel Attal
Par le Premier ministre :
La ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des jeux olympiques et paralympiques,
Amélie Oudéa-Castéra
L’entre-soi de classe
Elle est la nièce des journalistes politiques Alain et Patrice Duhamel et, donc, nièce par alliance de Nathalie Saint-Cricq (épouse de Patrice) et cousine du journaliste de BFM TV Benjamin Duhamel, lui-même en couple avec la journaliste politique Agathe Lambre qui travaille aussi à BFM TV.
Vous savez : ce sont tous ces gens qui expliquent aux gueux à longueur d’antenne, que le capitalisme c’est bien, le libéralisme aussi et que le temps de l’abondance c’est fini, qu’il faut fournir des efforts en matière de retraites, de « réformes » du Code du travail, qu’il faut privatiser toujours plus, etc.
Que ce soit pour l’école et le reste de la société, notre grille d’analyse « lutte des classes et contre toutes les discriminations » est plus que jamais pertinente.
Notes de bas de page
↑1 | Par « bourgeoisie », nous entendons propriétaires des moyens de production et leurs gestionnaires. |
---|---|
↑2 | Même si la démocratisation de l’école publique n’est pas seulement une question de moyens. |
↑3 | Zone d’intervention limitée : remplacements de courte durée. Gérés rapidement, car localement. Aujourd’hui tout est géré au niveau départemental. |
↑4 | Brigade départementale ; remplacements plus longs. |
↑5 | Rappelons qu’à l’école dite maternelle, il y a la petite section, la moyenne section et la grande section. Parfois la toute petite section avec les deux ans. |
↑6 | Réseau d’aide aux enfants en difficulté. |
↑7 | Une pensée émue pour les établissements publics de banlieue qui rament pour avoir un créneau de gymnase ou de piscine. |
↑8 | Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A8ge_Stanislas_%28Paris%29. |
↑9 | Autre établissement privé. |
↑10 | Source : café pédagogique du 24/01/24 avec Lilia Ben Hamouda. |
↑11 | Nous vous recommandons le brillant article paru dans L’Humanité du 25 janvier 2024, « Amélie Oudéa-Castéra, pur produit de sa classe » de Thomas Lamahieu. |
↑12 | « Amélie Oudéa-Castéra reprise de volée par la Commission d’enquête », Nicolas Guillermin, L’Humanité du 24 janvier 2024. |