La réforme des collèges et son projet de nouveaux programmes fait des vagues – enseignement des langues anciennes mis sous tutelle et noyé dans les « EPI » (enseignements pratiques interdisciplinaires), programmes d’histoire avec de possibles (et donc plus que probables) impasses. La presse s’en fait l’écho, notamment France Inter le 24 avril, où un membre du Conseil national des programmes avance la notion de liberté du professeur … à contresens.
Pour libérer du temps en vue des enseignements « interdisciplinaires » il faut rogner sur les disciplines… c’est tout simple ! Et quelle bonne occasion de s’en prendre à ceux qui se sont engagés dans l’enseignement par intérêt pour une discipline et par désir de la faire partager à autrui (les élèves) – au lieu de s’intéresser comme ils le devraient à l’épanouissement de l’enfant, au « vivre-ensemble » et au « savoir-être ». Ainsi les professeurs d’histoire se voient confrontés à un « allégement » de programmes qui procède par distinction entre questions obligatoires et questions facultatives. Cette probabilité de l’impasse reçoit la caution de la « liberté pédagogique » exercée par chaque professeur.
Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie (1)Association signataire du communiqué de la Conférence des Associations de professeurs spécialistes sur le projet de réforme du collège qu’on peut lire sur son site internet. résume la supercherie avec un exemple lourd de signification, pris dans le projet de programme du cycle 4, classes de 5e et de 4e : « les Lumières » sera une question facultative. Les grands philosophes, la question de la citoyenneté… négliger cela, c’est, précise-t-il, « amputer la culture d’un élève ».
Liberté du professeur ?
D’abord on se demande de quelle liberté le Conseil supérieur des programmes s’autorise lui-même, en décidant que, par exemple, les Lumières c’est secondaire (voir ci-dessous l’extrait du projet de programme).
Ensuite, la notion de liberté pédagogique du professeur ne concerne pas les programmes, c’est-à-dire les contenus, mais seulement les méthodes. En France, seule l’instruction est obligatoire (il faut donc des programmes nationaux s’imposant à toutes les écoles tant publiques que privées et au préceptorat). En revanche les méthodes d’enseignement sont libres, dans le cadre du droit commun et du code de l’éducation : jusqu’à nouvel ordre, il n’y a pas de pédagogie officielle. Or c’est exactement le contraire qu’explique sur l’antenne de France Inter le 24 avril Denis Paget, membre du Conseil supérieur des programmes, au sujet de ce projet de programme d’histoire, et avec une pointe d’agacement perceptible dans la voix :
« Il faut savoir ce qu’on veut, on nous dit tout le temps que les programmes sont trop lourds. Donc le choix qui a été fait c’est qu’il y ait des points de passage obligés et puis des questions au choix. Alors évidemment on ne traitera pas toutes les questions, c’est le professeur qui choisit en fonction de l’intérêt des élèves, de la logique même de son cours, de traiter une question plutôt qu’une autre, ce qui permet de dégager beaucoup plus de temps pour enseigner l’histoire de façon plus active et intelligente et notamment en travaillant des études de documents. »
Que conclure de cette déclaration ?
1° Que le Conseil supérieur des programmes décide, on ne sait sur quels critères, qu’il existe en histoire des questions principales (par exemple l’islam) et des questions secondaires (par exemple les Lumières). La responsabilité de pans entiers d’ignorance est reportée sur la liberté des professeurs. Seuls des esprits chagrins pourront penser que la répartition subtile entre questions obligatoires et questions au choix puisse être idéologique ou obéir à des motifs clientélistes (en novlangue : « intérêt des élèves »).
2° Qu’il existe une manière « active et intelligente » d’enseigner l’histoire – comprendre : celle que recommande le CSP. Car bien sûr, on aura compris aussi que les professeurs formés à la connaissance de disciplines, ceux qui s’arc-boutent de façon archaïque sur des savoirs constitués, ne la pratiquent pas – préférant probablement une manière d’enseigner « passive » et « bête ». Il est donc opportun de les mettre au pas. Comment ? En les noyant autant que possible dans l’interdisciplinarité et en leur conseillant de se plier aux méthodes de ce qui ressemble fort à une pédagogie officielle.
Ci-dessous un extrait du projet de programme d’histoire (cycle 4) ; seules les questions en gras sont obligatoirement traitées (2)Document consultable intégralement sur le site du café pédagogique. .
Notes de bas de page
↑1 | Association signataire du communiqué de la Conférence des Associations de professeurs spécialistes sur le projet de réforme du collège qu’on peut lire sur son site internet. |
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↑2 | Document consultable intégralement sur le site du café pédagogique. |