La psychiatrie en péril. Il faut supprimer la HAS et la loi HPST

Entretien avec Thierry Najman, psychiatre des hôpitaux, chef de pôle (Hôpital psychiatrique de Moisselles), co-auteur de Malaise dans la famille (érès, 2006). Propos recueillis par Guy Benloulou
Revue LIEN SOCIAL n°1084 – 29 novembre 2012

 

Selon certains collectifs (collectif des 39, la Nuit sécuritaire, etc.) la psychiatrie aujourd’hui semble être en situation « de dépérissement ». Est-ce également votre analyse de la situation ?
Absolument. Deux lois votées durant le précédent quinquennat ont fait basculer la psychiatrie publique dans un autre registre. La loi Hôpital patient santé et territoire (HPST) de décembre 2009 a profondément modifié l’organisation interne des hôpitaux en entérinant le modèle de l’entreprise privée pour l’hôpital. Cette loi sous-entend que la santé est une marchandise comme une autre. Les hôpitaux sont désormais soumis à des contraintes semblables aux entreprises privées, en particulier en matière budgétaire, sans avoir par ailleurs les prérogatives du privé, puisqu’en même temps, les hôpitaux sont soumis à des directives fortes de l’Etat. En réalité, ce système n’a qu’un seul objectif de nature financière.
Plus récemment, a été votée la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement. Cette loi constitue une profonde régression. Sous couvert d’introduire l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) pour protéger les patients d’une hospitalisation abusive, cette loi est à l’origine de nouveaux modes de soins sans consentement qui font, en réalité, le lit de beaucoup de dérives. Par exemple, il est désormais possible d’hospitaliser un patient sans son consentement, sur décision médicale, sans l’intervention d’un tiers, ce qui n’était pas possible avec la précédente loi de 1990.
La loi de 1990 n’était pas parfaite. Mais la nouvelle loi, dont le fondement sécuritaire crève les yeux, tire la psychiatrie vers une fonction d’auxiliaire de police. De plus, il n’est pas certain que l’intervention du JLD protège les patients de quoi que ce soit, car la grande majorité des juges n’ont reçu aucune formation clinique et doivent prendre une décision en quelques minutes dans un domaine qu’ils ne connaissent pas. À cela s’ajoutent beaucoup de difficultés issues d’un manque de moyens et d’un envahissement bureaucratique hallucinant qui empêche les professionnels de la psychiatrie de se consacrer à ce qui devrait être le cœur de leur métier, c’est-à-dire la clinique, le soin et la prévention de la souffrance psychique.
Bien entendu, cet envahissement administratif se fait au nom de la « qualité », érigée en nouvelle religion d’État. La démarche d’accréditation élaborée selon une logique totalement surréaliste, et par des gens qui ignorent visiblement tout du terrain, finit d’étouffer l’hôpital et aura peut- être raison de lui. De plus, les procédures qualité ont un coût humain et financier qui est totalement illogique dans le contexte d’aujourd’hui.

Ces dernières années la stigmatisation de certains malades mentaux (largement médiatisée) a autorisé certaines politiques de santé mentale à vouloir instrumentaliser la psychiatrie pour des visées sécuritaires. Quelles en sont aujourd’hui les conséquences ?
Les conséquences sont graves. Nicolas Sarkozy, avant de faire voter la loi du 5 juillet 2011, a voulu gagner des bulletins de vote en stimulant la peur. Il s’agit d’une stratégie politique connue. La peur des fous, comme la peur des étrangers, par exemple, permet à certaines personnalités publiques de proposer des solutions simplistes et illusoires, mais qui servent de refuge aux angoisses d’une population inquiète de l’avenir. Le précédent Président de la République a profité de faits divers pour cultiver l’amalgame entre dangerosité et folie, alors que plusieurs études montrent que les schizophrènes sont onze fois plus victimes d’agression que la population générale. Le racisme anti-fou est une réalité tangible à laquelle chaque société est confrontée. Le psychiatre Lucien Bonnafé, qui fut l’un des promoteurs du courant de psychothérapie institutionnelle, soulignait que le niveau éthique d’une civilisation se mesure aussi à la façon dont celle-ci traite ses fous. À chacun d’en tirer ses propres conclusions pour la période actuelle. Concrètement, dans les services de psychiatrie, avec cette nouvelle législation sécuritaire, de nombreux psychiatres passent plus de temps à rédiger des certificats de soins sous contrainte qu’à prendre soin des patients dont ils ont la charge.

Selon vous quelles seraient les principales mesures à prendre pour que la psychiatrie redevienne en France une médecine respectée au service des usagers ?
Une première mesure simple, et qui permettrait à tout le monde de se porter mieux – les patients, comme les soignants – serait la suppression pure et simple de la Haute autorité de santé (la HAS) dont la toxicité crève les yeux. Lorsqu’on connaît certains des avis rendus par cette haute instance de l’État, une décision de dissolution de la HAS s’impose. Je retiendrai les recommandations négatives, voire les interdictions de la HAS, concernant la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle dans la prise en charge de l’autisme infantile, ainsi que celle concernant cette méthode de soin humaniste que constitue le packing. Aucune méthode de soin ne peut se prévaloir du monopole de l’efficacité concernant cette pathologie grave de l’enfant. La prudence et la modestie devraient prévaloir face aux affirmations péremptoires. Tous ceux qui connaissent sérieusement ce domaine font la promotion de la pluridisciplinarité et de l’ouverture aux approches plurielles et multidimensionnelles. Il découle également de mon propos la nécessité d’abroger la loi HPST ainsi que celle du 5 juillet 2011.
Je réponds à votre question, tout en ayant conscience du caractère utopique de ma réponse. Réintroduire une dimension humaniste dans la psychiatrie devient une urgence. Deux notions qui ont permis un développement constructif de la psychiatrie, après le second conflit mondial, sont en voie de démantèlement complet. Il faudrait les restaurer. Il s’agit de la notion de service public, que l’Union européenne est en train de diluer, voire de dissoudre dans des concepts abscons néolibéraux, comme celui de service d’intérêt général. Il s’agit aussi du secteur psychiatrique qui disparaît de tous les textes actuels au profit de notions purement administratives comme celles de « territoire de santé ». La théorie du secteur psychiatrique véhicule bien autre chose, en particulier du côté de la clinique et du côté des objectifs de la psychiatrie en matière d’accompagnement des plus malades, et des plus démunis.