La trajectoire de la MGEN est révélatrice de la « restructuration silencieuse » des assurances maladie en cours depuis 20 ans. Avec d’autres mutuelles de fonctionnaires, comme la MGPTT, la MGEN a été l’acteur historique du ralliement, dans les années 1960, du mouvement mutualiste à la Sécurité sociale. Dans les deux premiers tiers du XXe siècle, la Mutualité avait combattu farouchement les premiers projets d’assurances sociales obligatoires, souvent avec succès, au nom de la prévoyance et de la liberté individuelles. Malgré le Yalta trouvé en 1945 entre la Sécurité sociale et les mutuelles, qui prennent en charge le ticket modérateur, la Mutualité ne désarme pas : elle parviendra à faire abroger par une loi, votée en 1947 au nom de « la défense des intérêts de la Mutualité » (sic), l’article 39 des ordonnances de 1945 instituant la Sécurité sociale et prévoyant la possibilité pour la « Sécu » de jouer le rôle de complémentaire santé ! Pour autant, les relations vont peu à peu s’apaiser. La loi Morice, votée cette même année 1947, autorise les mutuelles de fonctionnaires à gérer à la fois le régime de base et le régime complémentaire. Cette imbrication des deux piliers, adossée à une tarification en fonction des revenus, sera décisive dans la construction de la popularité de la MGEN dans le monde enseignant.
Cependant, la stratégie de la MGEN en matière de défense de la « Sécu » va progressivement s’infléchir à mesure que le marché de la complémentaire santé prend son essor et s’institutionnalise à partir des années 1990 et 2000. La Fédération nationale des mutuelles de France (FNMF) choisit, à la charnière des années 1980 et 1990, de jouer le jeu de la concurrence avec les compagnies d’assurance, en se plaçant de son propre chef sous les directives assurances européennes. La boîte de Pandore de la banalisation assurantielle des pratiques mutualistes est ouverte. Les mutuelles doivent affronter la concurrence de plus en plus agressive des assureurs, lesquels, à rebours des espoirs initiaux des responsables mutualistes, taillent des croupières aux mutuelles. La grande transformation en cours prend plusieurs visages : concentration-fusions tous azimuts, recul des pratiques de tarification solidaire en fonction des revenus au profit de la tarification selon l’âge et les charges de famille, segmentation des contrats, etc. La MGEN est, comme les autres mutuelles, prise dans cette grande transformation qui l’éloigne de plus en plus de la Sécurité sociale pour la faire dériver vers celui des pratiques des assureurs et des bancassurances. Première mutuelle de fonctionnaires, représentant un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros pour 3.5 millions adhérents en 2015, désormais second opérateur mutualiste du marché de la santé, la MGEN s’est engagée résolument dans la concentration. Elle fonde, en 2015, le groupe Istya et tente, depuis, de se rapprocher d’Harmonie Mutuelle, autre grand groupe mutualiste issu de cette dynamique de fusion.
En raison de sa position dominante dans le monde mutualiste, mais aussi certainement en raison de son image « solidaire » historique, la MGEN fournit de nombreux cadres à la FNMF. M. Fabrice Henry, ancien président de l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (UNOCAM) rassemblant mutuelles, instituts de prévoyance et assureurs est issu de ses rangs. M. Thierry Beaudet quitte la présidence de la MGEN pour occuper celle de la FNMF en 2016. La MGEN donne donc le ton. En 2015, peu avant sa prise de fonction à la FNMF, M. Beaudet annonce la couleur : dans une interview donnée au quotidien Les Echos, il déclare que « la Mutualité est appelée à être le centre de gravité de la protection sociale du XXIème siècle », renouant ainsi avec les propos de rivalité à l’égard de la Sécu de ses prédécesseurs de la première moitié du XXe siècle. Dans le même temps, les pratiques de la MGEN se banalisent sans complexe. La tarification à l’âge se substitue à la tarification solidaire, suscitant bien du ressentiment chez les enseignants retraités qui voient le montant de leurs primes augmenter. En outre, la MGEN cherche à diversifier ses activités : diversification du portefeuille d’activités, d’abord, en investissant par exemple le courtage de « rénovation énergétique » au profit d’opérateurs privés ou encore les relations avec le secteur immobilier ! C’est le produit « Izigloo » dont le lancement a beaucoup heurté les plus anciens du monde enseignant qui voient là un symbole de la dérive commerciale de « leur » mutuelle à laquelle ils étaient si attachés ; internationalisation ensuite : la MGEN cherche à prendre pied sur le marché de la santé chinois tandis qu’elle décide de fermer son centre de dépistage du cancer du sein, rue de Vaugirard à Paris…
Le cas de la MGEN est un formidable raccourci de la trajectoire mutualiste : après avoir œuvré, à la fin des années 1950 et 1960, à sceller l’alliance entre la Sécu et le monde mutualiste, la MGEN est désormais le maître d’œuvre de la banalisation assurantielle de la Mutualité, à laquelle elle fournit ses cadres dirigeants. Elle voit désormais son avenir plutôt du côté de la concurrence avec les assureurs et les bancassurances que du côté de la défense de la solidarité et de l’égalité en santé. Fin de la « Sécu des profs », bienvenue à l’«assureur MGEN» !