Dans le domaine de la protection sanitaire et sociale, les décisions prises par les gouvernements libéraux qui se sont succédé depuis une décennie ont consisté à faire basculer le système collectif solidaire mis en place à la libération, vers un dispositif assurantiel privé. Les quelques semaines écoulées démontrent une accélération des atteintes à ce que certains nomment notre pacte social.
Vive le marché. Tant pis pour la santé.
Sans qu’il s’agisse d’un début, car la liste des exactions commises en la matière est longue et ancienne, les amendements à la dernière loi sur le financement de la protection sociale présentés par le sénateur Fourcade (UMP) ont dépouillé le texte originel des timides dispositions qui tentaient de « moraliser » un dispositif sanitaire doté de forces centrifuges agressives au regard de l’intérêt collectif : les contraintes des médecins libéraux qui pouvaient être amenés à compenser les carences de certains territoires sous-équipés ont disparues, l’opacité des prix de la prothèse dentaire a été rétablie, l’obligation de signaler les congés au Conseil de l’Ordre (pour l’organisation de la permanence des soins) a été levée. En résumé, l’affirmation d’un libéralisme débridé au profit du secteur ambulatoire privé qu’il convient de comparer aux dégradations perpétrées à l’encontre du service public (voir la situation des hôpitaux publics).
Un financement accru de la médecine libérale
Dans la foulée, il y a une quinzaine de jours, une nouvelle convention a été signée entre l’assurance maladie et les syndicats les plus conservateurs des médecins libéraux. Ce qui caractérise cette convention (nous y reviendrons), c’est le financement très substantiel des comportements vertueux des praticiens dans leurs démarches thérapeutiques et dans l’organisation de leur cabinet (utilisation de l’informatique par exemple… !). En ce qui concerne les démarches thérapeutiques, le respect des protocoles de soins qui prévoient tel ou tel examen, la pratique des vaccinations, l’utilisation à bon escient de certains médicaments, pour ne prendre que quelques exemples, seront sur-rémunérés en fonction d’un barème payant la « performance » (1)Barème dont la pertinence est d’ailleurs contestée (cf. étude de François PESTY expert en pharmacie) . Mais il ne s’agit évidemment pas d’une performance sur les résultats (la santé du client), mais sur la bonne utilisation des moyens. Les patients seront sans doute rassurés de savoir qu’ils financeront désormais la condition normale (nous semble-t-il ?) de bien faire son métier.
Avec une hypocrisie confondante, ce financement supplémentaire est présenté comme une alternative au paiement à l’acte, ce qui est faux dans la mesure « la prime » s’ajoutera au paiement des actes sans en réduire le nombre.
On discerne, bien entendu, qu’à l’approche de certaines échéances électorales, il convient de caresser dans le sens du poil une catégorie influente. Dans le même temps, les malheureux usagers voient leurs prestations fondre comme neige au soleil (ex : augmentation forfait hospitalier, déremboursement des médicaments à service « modéré », après ceux qualifiés de « service insuffisant », etc.)
Majorer la charge des ménages pour alléger celle des organismes complémentaires.
La stratégie gouvernementale de « basculement » vers un système assurantiel consiste à réduire la couverture sociale obligatoire (la Sécu), ce qui entraîne mécaniquement un report sur les assurances complémentaires composées de mutuelles, d’organismes de prévoyance et de sociétés d’assurances, ces trois acteurs s’affrontant désormais dans une course aux parts d’un marché de plus en plus juteux.
Toutefois, pour ne pas trop alourdir les charges de ces partenaires du « marché » et, conformément à la logique bestiale de la « responsabilité individuelle », il faut pénaliser les consommateurs qui s’abandonnent lâchement à la maladie. Il convient donc de transférer une partie de la charge des frais de santé sur les ménages. Tant pis si une partie de la population y perd la capacité de se soigner.
C’est ainsi que la loi « Douste Blazy » de 2004 a inventé les « contrats solidaires et responsables » qui encourageaient les organismes d’assurance complémentaires à ne pas rembourser les franchises, la majoration du ticket modérateur pour non-respect du parcours de soins et les dépassements tarifaires, en offrant auxdits organismes une réduction (3,5 % au lieu de 7 %) de la taxe sur les conventions d’assurance (TCA). On observera le côté ubuesque de la situation, puisque les citoyens financent des exonérations fiscales destinées à réduire la prise en charge de leurs frais médicaux !
Dès l’année 2010, cette « niche fiscale » était dans le collimateur du Ministère de finances. À point nommé, « la crise » vient de libérer le gouvernement de ses hésitations. La TCA des contrats responsables passera de 3,5 % à 7 %. Et pour faire bonne mesure, les autres contrats, sans doute moins responsables et de moins en moins solidaires, passeront, de 7 % à 9 %.
Cette gymnastique coutera 1,2 milliard d’euros aux organismes complémentaires (à comparer avec la contribution supplémentaire des hauts revenus : 200 millions). Pour ceux qui auraient la légèreté de ne pas se sentir concerné, il faut immédiatement leur rappeler que ce qui augmente les dépenses des systèmes d’assurance privés, se traduit automatiquement par une augmentation du coût des contrats. En conséquence, les assurés paieront plus cher une couverture financière qui n’aura pas augmenté !
Un encouragement au développement du marché de la dépendance.
Parmi d’autres graves lacunes, la protection sociale est dramatiquement carencée pour la dépendance des personnes âgées. En 2000, 800 000 personnes âgées n’étaient plus autonomes. En 2040, selon les simulations, elles seraient 1 200 000 ou 1 500 000 dans cette situation. L’évolution de notre société n’incitant pas à compter sur la solidarité familiale, on peut donc prévoir que les structures d’accueil (maisons de santé médicalisées) seront à l’avenir de plus en plus sollicitées. De grands groupes financiers privés l’ont anticipée et investissent dans la création de ces établissements. Mais le placement dans ces structures présente un inconvénient majeur : son coût, que l’allocation personnalisée d’autonomie (l’APA à la charge des collectivités locales) ne couvre que très modérément. Devant la pénurie de maisons de santé à statut public, les personnes dépendantes et leurs familles sont donc confrontées à des dépenses considérables (2500 à 5000 euros mensuels) qui provoquent rapidement la ruine des débiteurs, dans la mesure où la protection sociale, qu’elle soit publique (Sécu) ou privée (assurances complémentaires), est pratiquement absente. Le Président de la République avait multiplié les effets d’annonce sur le sujet avec promesse d’une réforme rapide. Le candidat Sarkozy vient de l’ajourner sine die. Le « marché » de la dépendance a de beaux jours devant lui.
(*) Artifices au sens leurres, subterfuges, tromperies
Notes de bas de page
↑1 | Barème dont la pertinence est d’ailleurs contestée (cf. étude de François PESTY expert en pharmacie) |
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