« Rationalisation de la santé », « regroupement hospitaliers », « économies d’échelle »… Quels que soient les termes utilisés, la conséquence est là : les Centres d’Interruptions Volontaires de Grossesse (CIVG) ferment l’un après l’autre. Une remise en cause, dans la pratique, du droit à l’avortement.
Trente cinq ans. Souffler les bougies de la loi Veil, si chèrement acquise, serait malvenu aujourd’hui. La cire a fondu, laissant sur le droit à l’avortement un goût amer. Car si les « pro-vie » sont toujours là, en témoigne la manifestation parisienne anti-avortement de ce dimanche, ils ne sont pas les plus à craindre. Un regard sur l’actualité et sur la politique de santé pointe le danger principal pour le droit à l’IVG : ceux qui sont pour le choix mais qui ne donnent pas les moyens pour que le droit s’applique.
Des fermetures en cascade
Tenon, Rostand et Broussais ont fermé leurs portes. Avicennes et Saint Antoine sont en sursis. Les centres IVG parisiens connaissent une période difficile. La cause ? La politique hospitalière est entrée dans une phase de rationalisation économique pour « une plus grande efficacité et une meilleure offre de soins » assurent en cœur le ministère de la santé et l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris). La logique financière pousse au regroupement. Que les centres IVG soient les premiers touchés n’est pas étonnant. Une IVG chirurgicale est tarifée 300 euros contre 3 fois plus pour une fausse couche. Les deux actes techniques sont pourtant similaires : même matériel, même personnel…
Une gestion comptable de la santé qui n’intègre pas le facteur humain dans le calcul. Ariane Calvo, adjointe à la mairie du XXème arrondissement chargée de l’égalité hommes/femmes s’est battue au sein du collectif pour sauver le CIVG de l’hôpital Tenon. Elle refuse qu’on puisse appliquer une logique de médecine de pointe à l’IVG : « les femmes qui viennent pour une IVG ont des besoins particuliers : la proximité et l’accompagnement sont indispensables. On en vient à créer des usines à avortement qui font fuir tout le monde… »
Mais le CIVG de Tenon a bien fermé, transféré aujourd’hui à Saint Antoine. Reste une antenne d’orientation et d’écoute où les deux infirmières semblent inquiètes de la tournure des évènements.
Des craintes partagées du côté de Saint Antoine. Pas de personnel ni de moyens supplémentaires et un centre déjà surchargé qui voit arriver un surplus de demandes. « On est sur le fil du rasoir » explique Régine Linard, infirmière CGT. « Ils jouent sur le fait que l’on fait de plus en plus d’IVG médicamenteuses pour réduire les moyens en chirurgie ». Pourtant, les IVG par aspiration représentent encore 60% des interventions. Un démantèlement de Saint Antoine a été annoncé mais, pour le moment, l’infirmière se veut rassurante : « le centre est encore là, dans le nouveau bloc de chirurgie ambulatoire ». Mais lorsqu’elle évoque les réunions fréquentes de l’AP-HP concernant un transfert économique de la maternité, le doute devient pesant : « si la maternité ferme, il n’y aura plus de centre IVG ici, les spécialistes seront partis ». L’ensemble de l’est-parisien ne disposerait alors plus que d’un seul CIVG, aux Bluets, alors que ce même territoire connaît une explosion des grossesses adolescentes (13-18 ans).
Un parcours d’obstacles à l’avortement
Les conséquences sur les parcours d’avortement sont désastreuses. En Ile de France, il faut compter en moyenne trois semaines de délais du premier appel à l’avortement chirurgical, trois rendez-vous minimum plus tard (gynécologie, anesthésie…). Danielle Gaudry, gynécologue responsable de la commission avortement du Mouvement français pour le planning familial s’alarme : « les centres refusent parfois des femmes qui appellent à 10 semaines de grossesse car ils savent qu’ils ne pourront pas tenir les délais ». Alors oui, un tel refus est illégal. Mais peu de femmes, souvent seules et fragilisées dans une telle épreuve, vont occuper l’établissement et crier au scandale. Elles vont appeler une clinique privée, voire se tourner vers l’étranger, quand elles le peuvent.
Du coup, les équipes des CIVG et des plannings familiaux paniquent. Sur l’avenir, sur le droit effectif du recours à l’IVG, sur le devenir de ces femmes qu’elles renvoient de plus en plus souvent ailleurs, faute de temps, de personnel, de moyens. Pour Ariane Calvo, la messe est dite : « tout est en place pour que le droit à l’IVG soit remis en cause en France. On serait revenus sur la loi Veil, ça n’aurait pas été pire… »