Article paru dans « Énergies syndicales », journal mensuel de la FNME-CGT
Sur fond de concurrence débridée, les opérateurs du secteur nucléaire se livrent à un combat fratricide, au détriment des salariés et des usagers. Et de certains principes sociaux et démocratiques. Analyse.
Le nucléaire français, et ses acteurs EDF et Areva, entre autres, sont actuellement au cœur d’une singulière tourmente. Le 4 novembre, était reclassé de niveau 1 en 2 (1)L’échelle internationale des événements nucléaires (INES) compte huit niveaux, de 0 à 7. un incident survenu en septembre à Flamanville, où un salarié sous-traitant recevait 5 mSievert, soit un quart de la dose annuelle autorisée, lors d’un contrôle de soudure. Deux autres accidents de niveau 2 sont survenus depuis le début de l’année. En mars, lors de la réception de matière fissile sur le site Melox (2)L’usine Melox produit du Mox, mélange d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium, qui sert de combustible à 10 réacteurs (sur 58) en France. Le Mox (de l’anglais Mixed Oxides) permet de récupérer le plutonium issu des combustibles usés, récupéré lors des opérations de traitement à La Hague. d’Areva à Marcoule (Gard). Et la sous-évaluation de résidus de plutonium par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Cadarache (Bouches- du-Rhône), rendue publique début octobre. D’autres mauvaises nouvelles concernent Areva, après la remise en cause par trois autorités de surveillance – finlandaise, britannique et française – du niveau de sûreté du système contrôle-commande de l’EPR (3)Areva construit actuellement quatre EPR : un à Olkiluoto en Finlande, un à Flamanville et deux à Taishan (Chine)., qui ne serait pas suffisamment indépendant du système de sauvegarde. En octobre également, Areva et EDF ont été accusées d’entreposer secrètement en Russie des déchets nucléaires (4)En attendant la mise en service de l’usineArevaGeorges- Besse 2 au Tricastin, qui disposera de la technologie de l’ultracentrifugation, EDF a passé un accord avec Tenex, société dépendante de l’Agence atomique russe Rosatom, pour le ré-enrichissement de l’uranium.. Et, à quelques jours d’intervalle, RTE (Réseau de transport d’électricité) annonçait la nécessité d’importer de l’électricité, pour cause de disponibilité du parc nucléaire d’EDF » en très net retrait » par rapport à l’hiver précédent.
Questions sans réponses
Sûreté, transparence, gouvernance… Ces questions resteraient-elles toujours en suspens ? À y regarder de plus près, syndicalement parlant, d’autres interrogations, tout aussi structurelles et fondamentales, se font jour. À commencer par la gestion politique calamiteuse du secteur. Que dire, par exemple, de l’engagement récent [voir Énergies Syndicales d’octobre] de donner accès aux concurrents d’EDF à 100 térawattheures d’origine nucléaire par an et ce, à prix réduit ? » Le gouvernement français semble décidé à prouver par l’absurde qu’il est urgent de privatiser EDF : c’est l’interprétation la plus indulgente qu’on peut donner aux bavures à répétition dont l’État actionnaire se rend coupable, de longue date vis-à-vis du géant français de l’électricité. » L’opinion du quotidien Le Monde, mérite d’être approfondie. La FNME-CGT, pour sa part, y voit, a minima, unemanoeuvre des principaux opérateurs » qui cherchent à faire augmenter les prix payés par les usagers. » Une attitude d’autant plus scandaleuse que » Ce n’est pas à un dirigeant quelconque de prendre des décisions si structurantes, mais bien à l’Assemblée nationale. » Le parc français aurait des problèmes de disponibilité ? La Division production nucléaire (DPN) désigne les coupables, soit les grévistes qui auraient bloqué le bon déroulement des arrêts de tranche au printemps dernier. » Oubliant de préciser que la direction d’EDF SA a réquisitionné trois mille agents grévistes sur cinq centrales, en juin dernier, afin de remettre six réacteurs en production. Le seul objectif était de pouvoir passer l’été tranquillement en cas de canicule ! » Pour la FNME, il faut » dénoncer les choix politiques arbitraires qui ont conduit la hiérarchie d’EDF à réduire ses coûts dans les domaines de l’organisation du travail, de la gestion des emplois et des compétences, dans la maintenance du matériel et la gestion des pièces de rechange. » Des choix qui expliquent » une disponibilité du parc nucléaire au plus bas, en dessous de 80%. » Le développement outrancier de la soustraitance est incontestablement le problème majeur du secteur.
Concurrence(s)
Des problèmes qui puisent à la même source… Les directions successives d’EDF, ainsi que le gouvernement français, emboîtant le pas de la Commission européenne, ne considèrent la filière nucléaire que sous l’angle économique et concurrentiel, soit la recherche de profits et la conquête de nouveaux marchés. Ce qui induit une approche parcellaire et partiale du secteur, doublée d’une vision temporelle à court terme. En termes de déchets nucléaires, par exemple, Jean-Baptiste Poisson, administrateur CGT de l’Andra (Agence nationale de gestion des déchets radioactifs) constate » les efforts déployés par les opérateurs pour différer les contrats ou peser sur les choix techniques afin de baisser leurs provisions. » Les dispositions de la loi de 2006 (5)Ce sont les producteurs de déchets qui doivent eux-mêmes provisionner dès maintenant les sommes nécessaires aux financements prévus pour le long terme. les obligent en effet à provisionner à très long terme (jusqu’à trois cents ans) afin de disposer d’actifs dévolus à la gestion de ces déchets. Ce qui fait désordre sur les bilans comptables lorsqu’on recherche à dégager rapidement bénéfices et dividendes… Quant à la construction des futurs EPR français et finlandais, elle est elle-même un champ de bataille, au détriment des conditions de travail et de sécurité des salariés comme de la transparence nécessaire à la réussite d’un tel projet. La FNME en fait le constat : » Nous ne pouvons plus nous payer le luxe de la concurrence stupide existant entre Areva et EDF. Qui, au lieu de coordonner les compétences françaises, les oppose. C’est une vision financière à court terme qui alimente cette guerre fratricide et stérile, en train de déstabiliser toute la filière. » C’est en mettant » le social au coeur de la fourniture d’électricité « , en se basant sur une logique » de complémentarité des énergies, en lieu et place de leur mise en concurrence qui freine les investissements » que l’on pourrait » redonner du sens au fonctionnement anarchique du secteur. »
par Christian Valléry
Notes de bas de page
↑1 | L’échelle internationale des événements nucléaires (INES) compte huit niveaux, de 0 à 7. |
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↑2 | L’usine Melox produit du Mox, mélange d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium, qui sert de combustible à 10 réacteurs (sur 58) en France. Le Mox (de l’anglais Mixed Oxides) permet de récupérer le plutonium issu des combustibles usés, récupéré lors des opérations de traitement à La Hague. |
↑3 | Areva construit actuellement quatre EPR : un à Olkiluoto en Finlande, un à Flamanville et deux à Taishan (Chine). |
↑4 | En attendant la mise en service de l’usineArevaGeorges- Besse 2 au Tricastin, qui disposera de la technologie de l’ultracentrifugation, EDF a passé un accord avec Tenex, société dépendante de l’Agence atomique russe Rosatom, pour le ré-enrichissement de l’uranium. |
↑5 | Ce sont les producteurs de déchets qui doivent eux-mêmes provisionner dès maintenant les sommes nécessaires aux financements prévus pour le long terme. |