Un rapport a été remis fin juillet à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, pour proposer une nouvelle organisation territoriale des services d’urgences. Il préconise, entre autres, une plus forte mobilisation des médecins généralistes. Qu’en pensez-vous ?
CP – Ce plan est axé sur la réorganisation territoriale inscrite dans la loi « santé » avec la diminution du nombre d’hôpitaux et leur regroupement massif, donc ce n’est pas la bonne réponse. Ces propositions sont incantatoires. Comment mobiliser plus les généralistes alors que leur nombre ne cesse de diminuer ? Depuis trente ans, en matière de santé, les gouvernements de droite comme de gauche persistent dans une politique très libérale, visant à basculer toujours plus d’activités dans le privé. En France, on est déjà les champions d’Europe des parts de marché détenues par des cliniques privées. Il faudrait remettre notre système à plat. Commençons déjà par appliquer l’accord sur le temps de travail des urgentistes
En quoi l’accord sur la limitation du temps de travail des urgentistes, obtenu après la grève en décembre 2014, constitue-t-il un premier pas ?
CP – Il s’agit de limiter le temps de travail à 48 heures par semaine et de restreindre le travail posté à 39 heures. Si cet accord n’est pas mis en place rapidement, si les médecins ne voient pas une amélioration de leurs conditions de travail très tendues, les cas comme celui de Firminy (deux urgentistes sont partis dans le privé – NDLR) vont se multiplier. On assiste à une fuite des urgentistes de l’hôpital public. À la cinquantaine, ils ont du mal à faire 6 à 8 nuits par mois. Dans mon hôpital, un chef d’unité du service hospitalisation des urgences est parti exercer en gériatrie. Les jeunes, eux, restent quatre à six ans. Ensuite, ils n’en peuvent plus !
Que préconisez-vous pour réformer en profondeur la prise en charge des urgences ?
CP – À l’arrivée de Marisol Touraine, on avait posé sur la table l’objectif de revenir au niveau de passage aux urgences du début des années 2000, soit 50 % de moins qu’aujourd’hui. Ce service n’est pas là pour se substituer aux carences de la médecine de ville. Le généraliste doit sortir du cabinet libéral « à la papa » qui ne correspond plus aux besoins de la population. Le bon modèle, c’est le centre de santé où les généralistes se retrouvent avec d’autres professionnels, infirmiers, kinés… Cette structure pourrait accueillir des petites urgences en soirée, disposer d’un plateau technique, permettre de réaliser des prises de sang, des radios… Les postes de médecins doivent aussi devenir plus attractifs. Quand vous êtes urgentiste à bac + 9 et qu’on ne vous propose que des CDD de trois mois renouvelables, ce n’est pas possible ! Ils méritent un vrai statut et de meilleures conditions de travail. La solution passe également par l’augmentation du nombre de médecins en formation. Seules quelques centaines d’urgentistes sont formées chaque année. Il y a trente ans déjà, on avait alerté sur la pénurie, avec un numerus clausus excessivement bas jusqu’aux années 1990. Le numerus clausus a été augmenté dans les années 2000 mais comme il faut dix ans pour devenir docteur, là, on paie encore les années où seules 4 000 personnes par an étaient en formation (contre 7 800 aujourd’hui). Résultat, sur les 200 000 médecins exerçant en France, 40 000 ont eu leur diplôme à l’étranger. Il est temps de sortir de ce système consumériste où les patients ne sont pas bien pris en charge.
L’Humanité, Jeudi 20 Août 2015, propos recueillis par Cécile Rousseau