Rappelons d’abord que d’importantes dérogations à la loi promulguée le 9 décembre 1905 subsistent dans cinq départements français, en Alsace-Moselle, en Guyane et à Mayotte. Pire, la proposition du candidat Hollande de constitutionnaliser les principes édictés dans les deux premiers articles de la loi de 1905 (très bien !) s’est assortie de celle d’en faire autant du concordat de 1801 d’Alsace-Moselle (enfer et damnation !)… Nous militerons pour la première proposition mais contre la seconde : rendez-vous est déjà pris par Respublica avec le site http://www.laicite-sans-exceptions.fr/ et sa pétition !
Concernant la Guyane, aujourd’hui département français, elle n’est régie ni par la loi de1905, ni par le concordat de 1801, mais par une ordonnance royale de Charles X (un des rois les plus réactionnaires de l’histoire de France) qui ne reconnaissait alors que le culte catholique. Question à Mme Taubira, aujourd’hui ministre de la Justice : êtes-vous favorable à faire entrer la Guyane dans le droit commun ?
En Alsace-Moselle, il n’y a pas de séparation entre l’Église et l’État : non seulement les dignitaires religieux des quatre cultes reconnus (catholique, juif et deux cultes protestants) sont des fonctionnaires (la haute hiérarchie émarge au statut de la haute fonction publique !), non seulement ceux-ci viennent faire leur catéchisme dans les écoles publiques (il faut que les parents demandent une dérogation, et donc acceptent de se marginaliser, pour que leur enfant puisse ne pas y aller), mais la critique des religions est interdite. Il n’y a donc pas de liberté de conscience.
Question à Mme Taubira et à MM. Hollande, Ayrault et Valls : Pensez-vous replacer l’Alsace-Moselle dans le droit commun et y supprimer l’ensemble des dérogations du Concordat de 1801 ?
Sur le délit de blasphème
Voici ce que répondait le ministère de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire (JO Sénat du 01/06/2006 – page 1538) au parlementaire de droite Masson : « Par décret du 25 novembre 1919, ont été maintenues à titre provisoire en Alsace-Moselle les dispositions du code pénal local relatives à la protection des cultes (article 166 relatif au blasphème et article 167relatif au trouble à l’exercice des cultes). L’article 166 dispose que « celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnue comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes, ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus ». Cette disposition a trouvé application en 1954, lorsque le tribunal correctionnel de Strasbourg a condamné sur le double fondement des articles 166 et 167 du code pénal local des perturbateurs d’un office religieux à la cathédrale de Strasbourg. Cette décision n’a été que partiellement confirmée en appel, seule l’incrimination relative au trouble à l’exercice d’un culte prévu à l’article 167 du code pénal local ayant été retenue (CA Colmar ; 19 nov. 1954, Perdurer et Sobolev). Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé en 1999, une condamnation prononcée par la cour d’appel de Colmar sur le fondement de l’article 167, en rejetant l’argument soulevé par les parties selon lequel cette disposition du code pénal allemand n’était pas accessible aux personnes poursuivies dans la mesure où le texte était rédigé en allemand (Mass. 30 nov. 1999, Fromage et autres), et en réaffirmant que la disposition dont il s’agit a été maintenue dans les départements d’Alsace et de Moselle. Ces jurisprudences confirment donc le maintien en vigueur de ces dispositions de droit pénal local, dont la mise en œuvre et la détermination du champ d’application, notamment quant à son extension aux cultes non reconnus, relèvent de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. »
Il est à noter que le député de droite Roubaud déposait en 2006 une proposition de loi pour le rétablissement du blasphème dans toute la France…
Rappelons que la définition du blasphème entre dans le droit français au XIIIe siècle avec la définition donnée par Thomas d’Aquin, que la répression devient féroce avec le « bon » roi Louis IX dit Saint-Louis. Que les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 suppriment la notion de blasphème du droit français, tant qu’il n’y a ni abus ni trouble à l’ordre public. Mais qu’elle est réinstaurée sous la Restauration; à nouveau abrogée dans les années 1830 et supprimée définitivement du droit français par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Néanmoins, la « provocation aux crimes et délits » reste sanctionnée (art. 23), de même que l’apologie de crimes contre l’Humanité ou l’incitation à la haine ou à la violence en raison de la religion (art. 24), ou la diffamation contre un groupe religieux (art. 32). D’autre part, des éléments blasphématoires sont interdits dans les publications destinées à la jeunesse (art. 14).Or, le rattachement de l’Alsace et la Moselle à la France en 1918 a réintroduit la notion de blasphème sur son territoire, via l’incorporation de l’article 166 du code pénal allemand.
Toujours applicables (et d’ailleurs utilisés il y a quelques années à l’encontre de militants d’Act-Up) les articles 166 et 167 du code pénal local punissent le blasphème et l’entrave à l’exercice des cultes de 3 ans d’emprisonnement au maximum.
Question annexe à Mme Taubira et à MM. Hollande, Ayrault et Valls : Etes-vous prêts à supprimer ce droit rétrograde?
Il est possible qu’un gouvernement qui se veut attaché à la laïcité au point de vouloir enseigner la « morale laïque » à l’école renonce finalement à l’absurdité de vouloir constitutionnaliser un principe et son contraire, mais il y a fort à parier que sur la suppression des principales dispositions du Concordat il se borne à engager une concertation interminable avec les représentants locaux de la société civile et des cultes. Il est pourtant un point sur lequel aucun aménagement institutionnel ou financier n’est requis; c’est bien la suppression du délit de blasphème. Il n’en coûterait qu’un peu de courage.