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« A demain Gramsci », de Gaël Brustier

En cette fin d’année morose pour les républicains en général et la gauche en particulier, voila un livre à recommander pour ceux qui croient encore en la possibilité d’une gauche des idées tournée vers l’action. Avec A demain Gramsci (édition du Cerf, 2015), Gaël Brustier nous livre une analyse aussi concise (67 pages) que percutante en nous invitant à redécouvrir l’œuvre considérable d’Antonio Gramsci, figure majeure du Parti communiste italien, et intellectuel majeur de l’histoire des idées politiques du XXe siècle. Plus encore, l’auteur démontre que la (re)lecture de Gramsci est une formidable clé de compréhension des causes de la terrible déréliction de la gauche française actuelle, laquelle a été capable de gagner toutes les batailles électorales jusqu’en 2012 sans se rendre compte qu’elle avait perdu la plus importante : celle de l’hégémonie culturelle.

L’auteur commence par rappeler l’apport considérable de Gramsci en matière d’analyse politique tournée vers l’action : sa recherche obstinée d’un « service public intellectuel » au profit d’un « projet politique qui fasse sens commun ». L’auteur revient ensuite sur la situation de crise actuelle, la crise consistant selon Gramsci « dans le fait que l’ancien meurt et que la nouveau ne peut naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés ». Et l’auteur de citer ces phénomènes morbides en question : « le complotisme, le fanatisme religieux la frénésie identitaire, le délire antisémite, ou des mouvements comme les Indigènes de la République ». Autant de phénomènes qui prospèrent sur l’absence de « cadre idéologique crédible » en provenance de la gauche.

Il démontre ensuite comment la gauche social-démocrate française et européenne s’est littéralement sabordée en substituant à la réflexion la « communication, dont l’alpha et l’oméga sont la prise de décision ». Cette même gauche qui n’a pas su comprendre l’enjeu essentiel des évolutions majeures née de la post-industrialisation et de la crise financière de 2008 et qui est désormais partagée entre, d’une part, une frange social-libérale à l’encéphalogramme plat dont le projet européen est devenu l’unique point d’ancrage programmatique et, d’autre part, un gauche radicale tiraillée entre la nostalgie des équilibres socio-politiques des 30 Glorieuses et le désir de création d’une nouvelle hégémonie culturelle.

La droite, à l’inverse, serait devenue, sans le savoir, gramscienne en gagnant d’importantes victoires culturelles, autour de ses valeurs traditionnelles et sécuritaires, comme le prouve l’importance de la Manif pour tous, dont la « force est de proposer des réponses qui donnent un sens à l’expérience quotidienne ». Mais également en martelant un discours rôdé autour du déclin pour mieux proposer des solutions « identitaires, inégalitaires et autoritaires ». Victoire d’autant plus aisée que le PS s’est totalement compromis dans l’abandon des principes républicains, dans l’accompagnement zélé du néo-libéralisme et dans un discours qui succombe au « césarisme rhétorique » visant à tenir toutes ensemble des forces pourtant contraires » : l’Islamisme, l’extrême droite, l’opposition de gauche radicale…

Gaël Brustier termine son ouvrage en nous invitant à observer deux événements marquants de la période actuelle qui devraient, à gauche, susciter quelque optimisme. Tout d’abord l’éclosion d’un « nouvel héros (sic) gramscien (?) », le pape François. L’auteur estime en effet que le discours proprement politique du nouveau pape, lequel rompt avec la tradition réactionnaire et homophobe de l’Eglise catholique tout en s’affichant résolument du côté des plus pauvres, marque un tournant politique et proprement culturel de l’Eglise catholique qui contribue à la diffusion mondiale de la culture de gauche. L’éloge papal, assez discutable au demeurant, n’occupe toutefois qu’une place limitée dans l’analyse gramscienne de l’auteur. En revanche, Brustier observe avec enthousiasme l’émergence des nouvelles forces politiques européennes qui ont su mettre la bataille culturelle au cœur de leur action politique : Syriza et Podemos. Et l’auteur de s’interroger sur ces nouvelles formations politiques qui ont su renouveler les façons de faire de la politique en plaçant la bataille idéologique et la proximité avec le Peuple au cœur de leur fonctionnement tout en affichant une ambition univoque pour l’exercice du pouvoir. Syriza et Podemos seraient-ils les nouveaux hérauts de la reconquête de l’hégémonie culturelle de gauche ? On peut l’espérer mais le cadre européen imposé par l’UE et la question de la sortie de l’euro sont des obstacles d’ampleur que ces mouvements devront, préalablement, être en mesure de surmonter.

A demain Gramsci est un ouvrage stimulant, dont l’analyse ne peut que ravir ceux qui observent la lente agonie de la gauche française, dont l’échec tient au renoncement de son propre héritage culturel issu des Lumières, de la Révolution française, du Front Populaire et du programme du Conseil national de la Résistance. Seul bémol, le format extrêmement réduit de l’ouvrage qui ne permet pas à l’auteur d’approfondir des thèmes essentiels qui nécessiteraient de plus amples développements, au risque d’une certaine frustration du lecteur. Il s’agit néanmoins d’une très belle (et très réussie) invitation à relire Gramsci et à lui rendre la place majeure qu’il n’a jamais cessé d’occuper dans l’œuvre de la gauche.

Note – ReSPUBLICA a rendu rendu compte de la parution en 2012 de Guerre de mouvement et guerre de position, Textes choisis d’Antonio Gramcsi, présentés par Razmig Keucheyan : http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/aller-voir-gramsci-dans-le-texte/4622

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