La Rédaction a reçu de Denis Billon les commentaires suivants.
Instituteur retraité, je voudrais vous faire part de mes réflexions à propos de l’école, des rythmes scolaires, de tout ce dont on discute aujourd’hui (fort mal).
Première réflexion : Jospin avait tout faux en voulant mettre l’enfant au cœur du système éducatif. Non, au centre de l’école, on met la connaissance. Une connaissance indispensable pour qu’ensuite l’enfant se fasse un jugement. Et acquérir des connaissances, c’est difficile. Il faut faire des efforts, l’enfant doit en être conscient L’école n’est donc pas faite pour s’amuser, ni même pour y être heureux. Elle est faite pour en sortir avec des connaissances plus nombreuses.
Bien sûr, cela ira mieux si cela se fait dans une ambiance de bien-être, mais ce n’est pas l’essentiel. Résoudre un problème difficile de calcul, réaliser une dissertation sur un sujet qui n’inspire pas, c’est dur, mais cela doit être fait. Cela nécessite un effort, de l’abnéfation. L’enfant en tirera parti aussi en ce sens que la vie n’est pas toujours agréable, a sa part de dureté qu’il faut quand même affronter. L’enfant doit donc apprendre deux choses différentes, se heurter de front à la difficulté, mais le faire dans une ambiance de confiance propice à la résolution des solutions.
Mais alors l’Education ? L’Education, n’en déplaise, est d’abord le rôle des parents. Des parents qui sont pris par leurs problèmes professionnels importants et exigent des autres ce qu’ils ne ont plus eux-mêmes. D’où la prise en charge des élèves à travers du péri scolaire qui ne se justifie que pour libérer les parents. Ceci doit être pris en charge par l’associatif, les municipalité ou l’école.
Pourtant éduquer ne prend pas forcément autant de temps qu’on le croit. J’avais un jour un bon élève portugais. Il va au collège et le prof de français m’interroge. Il est le meilleur élève de sa classe. Je me renseigne. Ses parents savent à peine le français. Il se forme donc tout seul. Mais ses deux Portugais de parents vérifiaient régulièrement les résultats de leur fils. Ils le félicitaient quand ils étaient bons, ils lui demandaient de modifier ses méthodes quand ils étaient moins bons. Bref, éduquer, c’est déjà aimer, c’est porter de l’intérêt. Il en va de même pour le pédagogue. Le maître doit s’intéresser à l’enfant dans sa globalité. Il doit bien connaître le milieu social dans lequel il évolue, les difficultés de la famille. Il doit établir un lien avec l’enfant qu’il enseigne.
C’est dire que le métier d’enseignant ne peut être acquis dans ces sortes de laboratoires universitaires, sans aucun lien avec le réel, le matériel. La pédagogie est une science expérimentale. Il faut s’y frotter afin de la comprendre. Mon prof de pédagogie avait pour habitude de dire : On ne devient un bon maître que quand on a soi-même des enfants. Ensuite, on peut tirer profit des grandes théories et de leurs propositions. Elles seront alors ancrées dans la réalité. D’où la nécessité, plus que d’une formation initiale, de la formation continue des enseignants.
Et il y a des gens, pour des raisons inconnues, qui sont comme on dit faits pour enseigner, et d’autres pas. J’ai eu un copain qui était malheureux car toute sa carrière il a travaillé sans entrain, sans goût. Pour ma part j’ai eu cette chance. Je ne voyais pas les vacances arrivern et encore moins la retraite. J’étais pris dans un tourbillon pédagogique qui me faisait trouver le temps très court. Allez savoir pourquoi ! On ajoutera que les ministères grouillent de personnages qui ont leurs petites manies, veulent les imposer, et nous auraient fait rater tout si on les avait écoutés.
Je me souviens d’une époque où la manie était la lecture rapide. Mon inspectrice promouvait la lecture diagonale, en vogue chez certains grands de ce monde. Elle nous disait que, si on ne savait pas lire un livre en quelques minutes, on ne savait pas lire. Je lui ai donc appris que Victor Hugo ne savait pas lire. Et je lui ai demandé ce qu’elle faisait de la lecture plaisir, de la lecture rêverie, de la lecture réfléchie propice à l’élaboration de sa pensée grace à des respirations entre les moments de lecture. Un autre inspecteur nous dit un jour : « Si vous donnez une opération à faire à un enfant et qu’il sait la faire, inutile de lui en donner une autre. Il perd son temps. » Il avait seulement oublié ce que signifiait l’imprégnation en pédagogie.
Je voudrais maintenant parler de la mémoire et des rythmes scolaires. Je vais revenir aux pratiques anciennes. Loin de moi l’idée de déifier un passé révolu. Il faut savoir évoluer. Mais pas n’importe comment. La mémoire, c’est comme du sable, c’est comme la surface sans ride de l’eau. Si on y enfance un bâton, une trace est marquée. Si on y enfonce es milliers de bâtons, on n’y reconnaît plus rien du tout. Or c’est ce qui se passe avec les enfants d’aujourd’hui. Et tout d’abord le déferlement d’images, d’abord télévisuelles. Les enfants les ingurgitent des heures par jour, et même parfois la nuit. Après cela, comment voulez-vous que les enfants mémorisent l’image d’un personnage historique que le maître a épinglé au tableau. Et en plus il ne bouge pas.
Car ces milliers d’images, si encore elles avaient un intérêt pédagogique ! Il y avait autrefois sur les chaînes publiques, la télévision scolaire, avec une visée claire : apprendre. Disparues ces émissions Mais il n’y a pas que la télévision. Je passerai sur les images agressives des publicités.
Mais les familles elles-mêmes dispersent l’attention des enfants. On leur fait faire des activités. Autrefois, le jeudi était une sorte de jour de relâche, les enfants se reprenaient, jouaient librement. Maintenant c’est fini. Je ne refuse pas l’intérêt de ces activités. Mais l’enfant va à la musique, à la gym, à la danse, au dessin, au foot, et même à la sophrologie pour se relaxer. Les mercredis sont parfois devenus pour les enfants un enfer. Avec les nouveaux rythmes scolaires, on va faire ça tous les jours. Et le mercredi, l’enfant n’aura pas la possibilité d’une grasse matinée. Non l’école ne fatigue pas l’enfant, ce qui le fatigue c’est tout ce qu’il y a autour. On a réduit considérablement la durée de la semaine de travail. Les enfants allaient à l’école 30 heures par semaine, sans compter l’étude.
En 1968, parce que les enseignants demandaient une réforme profonde de l’école. Pour ne pas leur accorder, Edgar Faure décide d’enlever trois heures de classe alors que personne ne lui avait rien demandé. Puis on supprime encore une heure pour favoriser la tenue des conseils d’école dont il y aurait beaucoup à dire en terme d’efficacité. Luc Châtel enlève encore deux heures. Puis on s’étonne que les acquis fondamentaux ont du mal à suivre. On ne peut faire en 24 heures ce que l’on faisait en trente heures D’autant qu’on a jouté des sollicitations à l’école parfois nécessaires, mais souvent inutiles. On a chargé la barque. On a imposé des « aides personnalisées ». Travail tout à fait inutile, réalisé dans de mauvaises conditions, avec des enfants dont les parents sont volontaires, alors sque l’aide personnalisée fait partie intégrante du rôle de l’enseignant.
Je pense que l’enseignant n’est pas assez payé, son rôle n’est pas reconnu dans la société, mais si l’enfant doit être plus présent à l’école, cela suppose une présence plus grande de l’enseignant. Tous les enseignants reconnaissent que les enfants devraient être plus longtemps à l’école. Mais il ne sont pas prêts à lâcher leurs libertés obtenues du week-end par exemple.
Il faut savoir que les enfants vivent mal ces week-ends prolongés. Dans les familles pauvres ils s’ennuient ou s’abîment les yeux devant la télé. Dans d’autres familles, il faut se précipiter pour aller avec papa et maman au ski ou en vacances consommées à la hâte. Ou alors ils vont au bout de la France pour retrouver papa car la famille est comme on dit recomposée.
Et alors les vacances de février ? Deux semaines où on ne peut sortir avec ce temps de chien. Avec de la chance, direction le ski, bison futé devient rouge, et les enfants reviennent bien plus fatigués. Les grands spécialistes nous ont dit : sept semaines de classe deux semaines de repos. Mais ce n’est pas vrai : industrie du tourisme oblige. Et si l’un des deux parents prenait une semaine de congé d’hiver, pas pour les Seychelles ni Courchevel, mais tout simplement pour passer huit jours avec ses enfants. Pour jouer et rire, et se reposer. Quand j’ai entendu parler de neuf demi journées, je me suis dit qu’on allait rétablir 27 heures de classe. Eh bien non. Aux associations et aux municipalités de trouver des solutions. Et aux enseignants de bourrer les leçons dans les horaires impartis pour arriver à boucler le programme.
Monsieur Peillon nous dit : Les vacances d’été sont trop longues. Tiens tiens ! J’ai vécu avec des grandes vacances qui duraient du 14 juillet au premier octobre ; deux mois et demi. Et ça ne nous paraissait pas trop long. On jouait. Et on rentrait en classe en n’ayant pas oublié ce qu’on avait appris l’année précédente. Ceci pour toutes les raisons que j’ai évoquées ci-dessus.
Alors oui, je suis persuadé que tout cela n’a pour but que de démolir notre école de la république. C’était évident avec des Luc Chatel. C’est plus sournois avec des Vincent Peillon. Il n’y a qu’à voir la privatisation de l’enseignement avec la prolifération des systèmes type Acadomia.
Je suis très triste pour cette école qui m’a formé, en qui j’ai dédié ma vie professionnelle. Et qui m’a apporté le sens de la laïcité et de la justice sociale.