Nicolas Sarkozy s’était déjà illustré à Ryad et à Saint-Jean de Latran en célébrant le « Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme » et en faisant l’apologie des racines chrétiennes de la France. À l’époque, il voulait faire croire que la laïcité était synonyme d’intolérance et appelait de ses vœux une « laïcité positive » dont on ne voyait pas très bien ce qu’elle pouvait recouvrir, sinon le désir de caresser les religions dans le sens du poil et d’abolir, à travers le « toilettage » de la loi de 1905, le principe de séparation des Églises et de l’État. Considérer que la laïcité est une position dogmatique, crispée et ringarde, l’affubler d’un adjectif, vouloir lui substituer le principe de tolérance : telle est la logique qui, selon la philosophe Catherine Kintzler, caractérise la « dérive néo-laïque ». Celle-ci n’est du reste pas propre à la droite : on se souvient qu’au moment de l’affaire du voile, tout un pan de la gauche était prête, au nom de la tolérance, à laisser entrer les signes religieux à l’école publique.
Après avoir donné un coup de volant à gauche, voilà que Nicolas Sarkozy donne un coup de volant à droite. Claude Guéant a fait, ainsi, une étonnante déclaration : « Les agents des services publics évidemment ne doivent pas porter de signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse, mais les usagers du service public ne [le] doivent pas non plus ». Va-t-il exiger que les usagers de la Poste retirent la croix qu’ils ont autour du cou ? Il faut reconnaître que ce n’était pas les chrétiens qui étaient visés à travers cette déclaration. Celle-ci date en effet de jeudi dernier, soit trois jours avant le second tour des élections cantonales. Ce sont derrière les voix du Front National que l’UMP courait alors. Prenons au mot le ministre de l’Intérieur : va-t-il demander aux femmes voilées de retirer leur foulard dans le bus ou dans le métro ? Claude Guéant a beau se justifier en disant qu’il songeait uniquement à l’hôpital public, il n’en demeure pas moins que de tels propos alimentent la confusion, à la fois sur la laïcité et sur la religion musulmane. Considérer que cette dernière est par sa nature même hostile à la laïcité, vouloir étendre le principe de laïcité à l’espace de la société civile : telle est la logique qui, cette fois-ci, sous-tend la dérive « laïcarde ». Le sinistre exemple de « Riposte laïque » montre à quelles extrémités celle-ci peut conduire.
Sur la question de la laïcité, le discours de Nicolas Sarkozy est à géométrie variable : pour gagner les voix des électeurs musulmans, le chef de l’État va jusqu’à promettre d’« assouplir » la loi de 1905 afin d’autoriser le financement public des mosquées. Pour gagner celle du Front National, il va jusqu’à suggérer par la bouche de Claude Guéant qu’on interdise aux usagers des services publics de porter le voile. La géométrie variable n’exclut pas la cohérence de fond : chaque fois qu’il prononce le mot de laïcité, Nicolas Sarkozy remet en question ce qui en fait le principe même.
Pour sa gouverne, rappelons à Claude Guéant que, dans une République démocratique, l’espace de la société civile doit être régi par le principe de tolérance : les individus ont le droit d’exprimer leurs appartenances ou leurs croyances à condition qu’ils respectent le droit commun. La sphère de la puissance publique doit, en revanche, rester sous l’égide du principe de laïcité. C’est la raison pour laquelle les agents de l’État et, en premier chef, son représentant, sont tenus au devoir de neutralité en matière religieuse. Rappelons, enfin, que l’école publique est un lieu à part puisqu’il met en présence des libertés qui ne sont pas encore constituées. C’est la raison pour laquelle les élèves ne peuvent porter de signes religieux ostensibles, comme la loi du 15 mars 2004 est venue opportunément le rappeler. Mais ce qui vaut pour l’école publique ne saurait valoir pour les services publics : les « usagers » ne sont pas des élèves et on ne voit pas au nom de quoi il faudrait leur interdire d’arborer les signes de leur appartenance religieuse.
Cette mise au point étant faite, il faut ajouter que les services publics, et en particulier les hôpitaux, n’ont pas à se plier, ni même à tenir compte, des exigences particulières, notamment quand elles sont formulées au nom de la religion ou d’une coutume misogyne. Donner son consentement à des soins et choisir librement son médecin est un droit pour le patient. Mais il n’autorise en aucun cas le patient à refuser qu’un médecin procède à un acte de diagnostic ou de soin pour des motifs tirés de sa religion ou de celle supposée du soignant. Les mêmes règles doivent s’appliquer à tous les patients, quelle que soit leur origine sociale, quelle que soit leur communauté d’appartenance, quelles que soient leurs croyances religieuses.