Alsace-Moselle : sortir de la confusion et fixer le cap

On connaît l’histoire initiale.
La grande Révolution française édicte la première rupture laïque de l’histoire de l’humanité. La création de la République installée le 22 septembre 1792 engage la France dans une dynamique démocratique et laïque. Une loi de séparation est votée mais jamais appliquée. Un coup d’État anti-républicain met au pouvoir un nouveau César, Napoléon Bonaparte qui, entre autres, dote la France du Concordat de 1801 lui octroyant de larges pouvoirs d’administration des églises en contrepartie d’une institutionnalisation de la non-séparation et de la fonctionnarisation des ministres du culte. Parenthèse 1 : c’est ce Concordat qui fut le modèle de la Constitution anti-laïque turque édictée par Mustapha Kemal au début des années 1920 et qui sied très bien au gouvernement islamiste turc actuel.

Les partisans de la république laïque et sociale deviennent visibles lors de la révolution de 1848. Le Second empire balayera tout cela en rajoutant à l’édifice anti-laïque la célèbre loi Falloux de 1850 . Parenthèse 2 : c’est cette loi anti-laïque que François Bayrou souhaitera développer, entraînant une manifestation hostile au projet gouvernemental d’un million de personnes le 16 janvier 1994. Puis, celui que Victor Hugo appelait Napoléon le petit perdit la guerre de 1870, ce qui amputa la France de l’Alsace-Moselle.
Les partisans de la République laïque et sociale refont surface lors de la Commune de Paris mais le gouvernement anti-laïque et réactionnaire dirigé par Tiers réprimera cela dans le sang.
Les partisans de la République laïque et sociale regroupés autour de Jean Jaurès appuient Aristide Briand pour obtenir enfin la loi promulguée le 9 décembre 1905 et publiée par le Journal officiel le 11 décembre 1905. Cette loi fut ensuite altérée par une kyrielle de lois anti-laïques.
La victoire des alliés en 1918 vit le retour de l’Alsace-Moselle au sein de la République française. Mais ces trois départements n’ayant pas vécu le conflit de la loi de 1905 réintégraient la France avec le Concordat de 1801. Une intense bataille juridique eut lieu entre 1919 et 1924 entre les partisans de la République sociale et le lobby catholique. La bataille fut perdue et la dérogation concordataire acceptée par le Parlement français.
Pour des raisons qui commencent à être travaillées par les historiens, les partisans de la République laïque et sociale – malgré des avancées laïques (circulaires de Jean Zay de 1937, loi du 15 mars 2004 pour annuler les effets de l’article 10 de la loi Jospin du 10 juillet 1989) – n’ont jamais à ce jour réussi à construire un rapport de forces suffisant pour supprimer les dérogations à la loi de 1905.

Arrive l’élection présidentielle de 2012. Le contexte de la séquence post-2004 renforce le camp laïque, s’appuyant sur les nombreuses provocations de Nicolas Sarkozy. Dans ce contexte électoral, François Hollande propose lors d’une de ses conférences au Grand Orient de France, largement développée dans les grands médias, de constitutionnaliser les principes édictés dans les articles 1 et 2 de la loi de 1905. Le camp laïque applaudit.
Après cet acte 1, nous avons vécu l’acte 2 à savoir la réaction hostile du député-maire socialiste de Strasbourg, Ries,un des chefs du lobby clérical au sein du PS
Très rapidement, acte 3, François Hollande lance la formule d’un compromis intra-PS, à savoir la proposition n°46 qui propose rien de moins que de constitutionnaliser en même temps les principes édictés dans les articles 1 et 2 mais aussi la dérogation concordataire d’Alsace-Moselle. Voici qui préfigure ce que pourrait être une présidence socialiste aujourd’hui : on proposerait de constitutionnaliser le pour et son contraire, et donc des principes à la carte en fonction de la puissance du lobby clérical.
Mais cela ne s’arrête pas là. En avant vers l’acte 4. Le Collectif laïque, qui regroupe les principales obédiences maçonniques adogmatiques mais aussi des petites associations laïques et les deux associations familiales laïques, décide de faire un communiqué contre la proposition n°46 du candidat Hollande. Mais les signataires à ce jour ne rassemblent pas l’ensemble du camp laïque.
Ce communiqué va dans le bon sens. Mais il insiste plus particulièrement sur le statut des cultes dans son deuxième paragraphe (sans parler du statut scolaire qui est pour les partisans de la République sociale tout aussi important, car l’école en est l’une des pierres angulaires) et propose une commission pour étudier un « passage en douceur », c’est-à-dire par étapes entre la situation actuelle et la loi de 1905.

Nous sommes donc entrés dans le temps de l’acte 5, celui de la palabre. D’aucuns sont en train de proposer à François Hollande « de faire machine arrière sans se déjuger » en ne faisant constitutionnaliser que les principes des articles 1 et 2 de la loi, mais en faisant voter des lois organiques organisant les différentes dérogations en Alsace-Moselle, et également dans les départements d’outre-mer et pourquoi pas dans certains autres départements français…

D’autres proposent de supprimer la proposition 46 de François Hollande et de maintenir le statu quo…
Tout cela est grotesque. La confusion est à son comble. Ce sont de petits « arrangements » en coulisses pour une grande société du spectacle !