Madame Amina Lotfi est Consultante en Genre et Développement, et directrice d’un bureau d’étude et de recherche en Développement social à Rabat, au Maroc. Elle a adhéré, en 2001, aux instances dirigeantes du Comité de soutien à la scolarisation des filles en milieu rural au Maroc. Elle est, depuis février 2009, vice-présidente du bureau de Rabat, de l’Association démocratique des femmes marocaines (ADFM), et depuis quelques mois, présidente nationale par intérim de cette association.
Son parcours militant a commencé en 1991. D’abord, au sein d’un organisme de développement international où elle avait la responsabilité du programme des droits humains des femmes et égalité entre les sexes. Ce poste lui a permis de travailler avec la quasi-totalité des associations féministes marocaines, en particulier avec l’ADFM. Elle est fière aussi d’avoir accompagné toutes les actions ayant trait à la promotion des droits des femmes de son pays.
Ces actions ont abouti notamment aux réformes du Code de la nationalité (2007) avec le droit des Marocaines de transmettre leur nationalité à leurs enfants ; du Code de la famille (2004) avec l’abolition du devoir d’obéissance de la femme à son mari et la consécration de l’égalité des époux en droits et en responsabilités, etc. ; du Code pénal (2003) avec l’aggravation des sanctions concernant les violences conjugales, ainsi que la pénalisation du harcèlement sexuel. Elle a octroyé le droit pour la femme de se porter partie civile contre son mari, sans l’autorisation du juge…) ; du Code du travail (2003) avec le principe de la non-discrimination entre les hommes et les femmes dans le domaine professionnel (embauche, salaires, etc.).
Hakim Arabdiou : Pouvez-vous nous présenter votre association : l’Association Démocratique des Femmes du Maroc ?
A. L. : l’ADFM a été créée en juin 1985 à Casablanca, par un groupe de femmes, attachées aux principes des droits humains des femmes et du progrès au Maroc. Ces militantes avaient ressenti la double nécessité de s’investir davantage dans le combat pour l’égalité totale entre les femmes et les hommes, et d’agir au sein d’une structure autonome propre aux femmes. Notre association est née dans une conjoncture internationale, marquée par la fin de la décennie des Nations-unies pour la femme, et son couronnement par la conférence de Nairobi, au Kenya. Nous venions, au Maroc, de connaître le début du processus de démocratisation de la vie politique, ainsi que les premiers balbutiements de la société civile et l’émergence d’une conscience féministe.
Notre association lutte pour la réforme des lois et des politiques publiques discriminatoires envers les femmes, en vigueur au Maroc, ainsi que pour le changement des mentalités dans une perspective d’égalité entre les sexes et l’accès des Marocaines à une citoyenneté pleine et entière. Après les inévitables tâtonnements des débuts, l’ADFM est aujourd’hui une association crédible aussi bien sur la scène nationale qu’internationale. Elle a occupé une place centrale dans les mobilisations de ces dernières années, et qui se sont soldées par des acquis non négligeables pour les femmes de mon pays.
H.A. : En visitant votre site, j’ai lu votre appel à manifester pour la « constitutionnalisation de l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans tous les droits ».
A.L. : Cet appel a été lancé à l’occasion du 1er-Mai 2011, et dont les manifestations des organisations féministes se sont déroulées à Rabat et Casablanca. Nous considérons, qu’il est important de sensibiliser l’opinion publique marocaine sur la nécessité d’intégrer les principes d’égalité et de non-discrimination entre les femmes et hommes dans toutes les dispositions constitutionnelles. Cet appel a été lancé dans le cadre de la coalition marocaine du « Printemps Féministe pour la Démocratie et l’Égalité » pour la réforme de la Constitution, dont nous sommes membres.
H. A. : Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
A. L. : Les associations féministes marocaines ont l’habitude de se mobiliser et de fédérer leurs efforts pour défendre les grandes causes. Il s’agit en réalité de notre troisième Printemps pour la promotion des droits des femmes marocaines. La première coalition, intitulée « Printemps de l’égalité » s’était constituée, au début des années 2000, en vue de la réforme du Code de la famille. La seconde coalition, intitulée, « Printemps de la dignité », a vu le jour en 2009, pour la réforme du Code pénal. La troisième coalition, s’est constituée, en mars 2011, sous l’appellation, « Printemps féministe pour la démocratie et l’égalité », pour la réforme de la Constitution. Cette coalition est composée de 22 associations domiciliées dans différentes régions du Maroc et œuvrant pour la promotion et la protection des droits humains des femmes.
La coalition du Printemps Féministe pour la Démocratie et l’Égalité a élaboré et présenté sa plate- forme revendicative à la commission chargée de la réforme de la Constitution, instituée le 11 janvier dernier, par le Roi. Nos revendications concernent la constitutionnalisation dans notre pays de : 1- La primauté des traités internationaux des droits de l’Homme ratifiés par le Maroc sur les lois nationales et leur consécration en tant que source de législation. 2- L’égalité effective entre les hommes et les femmes dans les droits économiques, sociaux, civils, politiques et culturels. 3- La prohibition de toute discrimination basée sur le sexe, quelle qu’en soit l’origine. 4- de mécanismes et de mesures garantissant la promotion des droits des femmes.
H. A. : Comment situez-vous votre association par rapport aux autres associations féministes ? Qu’est-ce qui la distingue des autres associations ?
A. L. : Il est difficile de situer une association féministe par rapport à une autre. Certes, nos approches sont différentes (fort heureusement), mais nous partageons les mêmes objectifs et les mêmes référentiels en l’occurrence, les valeurs humaines universelles.
L’ADFM œuvre depuis plus de 25 ans pour notamment l’égalité en matière de droits civils, politiques, socio-économiques et culturels ; l’égalité dans l’accès aux postes de décision, d’égalité salariale… la protection des femmes contre toute forme de violence ; l’adoption de mesures correctives des écarts de genre, ainsi que pour le changement des mentalités et la promotion des valeurs égalitaires.
H.A. : Quel est le niveau de coordination des luttes des féministes marocaines avec les autres féministes maghrébines et proche-orientales ?
AL. : Le travail de coordination avec les féministes aussi bien au Maghreb qu’au Proche-Orient a commencé de façon informelle, à la fin des années 1980. Nous nous sommes ensuite structurées dans des réseaux et des coalitions. Ainsi, le collectif 95 Maghreb Égalité, a vu le jour, en 1992. Il a mené un travail de réflexion et d’action, notamment pour une codification de l’égalité dans les relations familiales au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Nous avons mené ultérieurement, mais dans un cadre plus large (la région MENA : Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Iran, Jordanie, Liban, Yémen), plusieurs campagnes, notamment sous le slogan, » Ma nationalité est mon droit, et celui de mes enfants ». Ces campagnes ont abouti à la reconnaissance aux femmes de ces pays arabes mariées à des non- nationaux, du droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Elles ont également permis, la levée des réserves de nos gouvernements respectifs, sur certaines dispositions de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), et ce suite à la campagne lancée en 2006, sous le slogan : » Égalité sans réserve ».
H. A. : Peut-être, un dernier mot ?
A. L. : Je salue au nom de militantes de l’ADFM, toutes les féministes du Maghreb et du Moyen-Orient pour leur combat contre l’inégalité et les discriminations, ainsi que pour leur contribution à la démocratisation de leur pays respectifs. Le processus de démocratisation de nos pays sera long. Il requiert pour cela beaucoup d’énergie et de sacrifices. C’est pourquoi, il ne faut jamais baisser les bras.
Propos recueillis par Hakim Arabdiou