Asma Guenifi est algérienne vivant en France, et mère de trois enfants, dont l’un porte le prénom de son frère Hichem, en hommage à son oncle, qu’il n’a pas eu la chance de connaître.
C’est aussi ce drame qui a tout fait basculer dans sa famille, et qui l’a incitée à devenir psychologue et psychanalyste. Pourtant à une époque, elle espérait devenir artiste-peintre. Elle avait commencé des études en ce sens à l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger. Mais un autre drame l’avait de nouveau bouleversée : l’assassinat du directeur de cette École et de son fils.
Asma Guenifi a commencé à militer à l’âge de 16 ans à Alger. Sa mère l’avait fait adhérer à l’une des associations de femmes algériennes : El Rafed ( Le Refus), une association qui luttait pour les droits des femmes et contre le code de la famille, fondée sur la chari’a. Après son arrivé en 1994 France, elle a créée, avec d’autres jeunes algériens, le groupe Hichem, au sein duquel ils avaient mené une véritable campagne contre les intégristes musulmans.
Après les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, elle a rejoint l’association française, Ni Putes Ni Soumises, qui reprenait leur combat contre les intégristes. Son discours rejoignait le leur sur le terrorisme, qui n’était plus seulement une question algéro-algérienne, mais qui était devenue internationale. Aujourd’hui, elle a créé l’Association des femmes euro-méditerranéennes contre les intégrismes ( AFEMCI). Ayant pris conscience de leur dangerosité, elle a décidé avec d’autres de lancer cet appel aux femmes du pourtour méditerranéen, afin qu’elles unissent leurs forces et leurs expériences en vue de lutter ensemble contre ces intégrismes culturels, ethniques et religieux qui menacent leurs intégrités physique et morale.
Hakim Arabdiou : Votre frère, Hichem, a été assassiné en 1994 par des membres du Front islamique du salut. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour écrire ce livre en sa mémoire ?
Asma Guenifi : il m’a fallu un long travail analytique sur moi pour exorciser ma douleur. Le traumatisme était tel que la parole ne sortait pas. J’ai toujours été dans l’action, dans le militantisme. C’était peut être une manière pour moi de moins souffrir de la perte violente de mon frère, de mes amis et de
l’exil. Il m’a fallu 17 ans pour que je puisse dire cette douleur et je voulais depuis longtemps écrire ce témoignage pour ne pas les oublier. Je me suis dit que, si une seule personne lisait ce livre, elles, ils vivront dans leurs mémoires. Les pouvoirs publics algériens tentent d’effacer des mémoires au nom de la “paix”. Ce livre était un défi contre cette amnistie imposée. Le pardon est une affaire personnelle, et encore moins une affaire politique ; on ne peut donc pas l’imposer de force. J’ai été heureuse d’être invitée à New York, à Madrid, en France pour parler de nos victimes, de ce qui nous était arrivé, que la parole se libère enfin. Mais dans mon pays, l’Algérie, nous, les familles de victimes du terrorisme nous devons nous plier à une loi [deux lois d’amnistie des terroristes islamistes], qui nous enferme dans le silence et la douleur. Il nous est en effet interdit de parler de ces années rouges de sang. C’est une violation de nos droits humains. Il faut que la justice assume son rôle de régulation de la société pour le bien-être de toute la société et non pas uniquement les familles des victimes du terrorisme. Car je considère que toute notre société algérienne est traumatisée par cette tragédie rouge. Les autorités algériennes doivent être plus humaines envers cette société, qui a tant souffert.
A. H. : Vous écrivez dans votre livre que ce dernier se veut aussi un témoignage en faveur des dizaines de milliers de victimes algériennes du terrorisme islamiste.
A. G. : la tragédie rouge a touché tous les citoyens algériens, victimes directes ou indirectes. Le terrorisme y a laissé de graves séquelles psychologiques. Le plus fort est glorifié, celui qui tue est libre et celui qui se défend est en prison ! Comment se reconstruire quand la force et la violence sont le message que l’on envoie à notre jeunesse ? Pour moi, c’est un hommage à ma génération qui a part notre enfance qui a était belle, le terrorisme a tout détruit.
H. A. : Comptez-vous faire éditer votre livre en Algérie, et éventuellement avec une traduction en arabe ?
A. G. : je souhaiterais vraiment que mon livre soit édité en Algérie. J’y ai entrepris quelques contacts, et j’espère que cela aboutira. Même si tout le monde me rappelle que je risque la prison et/ou une amende. J’estime cependant que je n’ai fait que mon devoir de citoyenne algérienne, qui se bat pour la mémoire, et je ne fais aucun appel à la vengeance ou à la guerre. Je veux juste rétablir un certain équilibre, grâce à la justice.
H. A. : Votre association, AFEMCI, a organisé samedi 2 juillet près de Paris un gala en solidarité avec les femmes révolutionnaires des sociétés musulmanes. Pouvez-vous nous dire comme cela s’est passé ?
A. G. : Mon association AFEMCI a organisé un grand concert gratuit le samedi 2 Juillet 2011 à Saint-Ouen, près de Paris. C’est un message de soutien que nous avons envoyé aux femmes du Monde arabe, dans leur lutte pour la liberté. Ce gala a bénéficié du soutien de la Mairie de Saint-Ouen, mais surtout de tous les artistes bénévoles qui ont tous répondu présents pour que cet événement soit des plus festifs possible pour une aussi noble cause. Ceci avec l’aimable participation de Emel Mathlouthi, d’Aïcha Lebgaa, du Groupe Sorif, d’Iness, accompagnée de Karim Albert Kook, de Dania El Tabbaa, de Nawel and Lila Box, de la troupe de danse palestinienne, “Mémoire de notre Terre”, et bien d’autres encore. Ce concert a été un succès et le message de solidarité aux femmes arabes a été bien reçu par le public à travers ces voix féminines et ces voix féministes, également présentes, comme Nadia Chaabane, Sérenade Chafik, Fadela M’Rabet, Zineb El Rhazoui et plusieurs autres. Une ambiance chaleureuse où l’espoir pour la démocratie et la liberté dans le Monde arabe était au rendez-vous. L’un de nos objectifs est d’harmoniser les mêmes droits pour toutes les femmes euro-méditerranéennes.
Propos recueillis par Hakim Arabdiou