Assises de l’interculturalité : les dés sont-ils pipés ?

Les critiques émises par le MR (1) Mouvement Réformateur envers les Assises de l’interculturalité lancées en septembre dernier par Joëlle Milquet ont été présentées par certains comme une manœuvre déloyale visant à torpiller un projet à peine lancé, avant même d’attendre ses conclusions. Je ne suis pas devin, mais je voudrais néanmoins rappeler ici qu’il y a à mon sens des raisons objectives de se méfier de ces Assises.

L’appel à projet lancé aux associations était en effet on ne peut plus clair : l’article 3, définissant les actions subsidiables, stipulait clairement (2) http://www.belgium.be/fr/publications/les_assises_de_l_interculturalite_2009/publ_assises_de_l_interculturalite_2009_reglement.jsp que « Les projets introduits doivent répondre aux domaines d’actions suivants :

  • Promouvoir le dialogue des cultures
  • Lutter contre les discriminations
  • Lutter contre les discriminations croisées
  • Favoriser la diversité
  • Promouvoir l’accommodement raisonnable
  • Promouvoir des politiques d’actions positives
  • Promouvoir des politiques d’intégration (découverte des autres religions, inter culturalité à l’école, etc.) ».

Autrement dit, une des conditions pour bénéficier d’un subside était de « promouvoir l’accommodement raisonnable ». Quid donc des associations qui estimeraient que la pratique des accommodements dits raisonnables ne contribueraient pas à favoriser l’interculturalité, mais au contraire à encourager le repli communautaire ?

Cette position est pourtant intellectuellement défendable. Et on gagnerait à lever enfin l’hypocrisie qui se cache derrière ce concept, aujourd’hui destiné exclusivement à faire droit à des revendications religieuses. Car contrairement à ce que d’aucuns prétendent, il ne s’agit absolument pas de permettre à des individus indirectement discriminés en raison de leur athéisme, de leur poids ou de leur orientation sexuelle d’accéder à l’emploi dans des conditions d’égalité. Et ce n’est guère étonnant. Car de deux choses l’une : soit l’accès à l’emploi se fait en fonction de critères objectifs – qui font par exemple qu’on ne peut être pilote d’avion si on a une vue déficiente ou hôtesse de l’air si on est obèse –, soit les critères en question sont discutables et doivent pouvoir être réévalués – par exemple la taille minimale fixée pour les agents de police.

Mais en quoi un athée ou un homosexuel pourrait-il se sentir indirectement discriminé en tant que tel dans le monde du travail ? Directement, je veux bien : perdre son emploi parce que votre employeur a découvert vos convictions philosophiques ou religieuses ou votre orientation sexuelle, ce sont des choses qui arrivent, et qui doivent être fermement combattues.

Mais la discrimination indirecte, c’est autre chose : ce sont des situations de discrimination nées d’une règle objectivement neutre, mais discriminatoire dans ses effets. Et là, je ne vois plus très bien à quoi pourraient s’appliquer les accommodements raisonnables, si ce n’est aux membres de communautés religieuses qui se sentiraient discriminés par le fait qu’ils doivent travailler un jour de culte ou apparaître comme neutres alors qu’ils portent un signe distinctif. Près de 80 % des demandes d’accommodements recensés au Québec par la commission Bouchard-Taylor concernent d’ailleurs des exigences religieusement motivées, le reste se ventilant entre des demandes à caractère ethnique – ouverture d’une école pour Noirs ! – et des demandes à caractère linguistique.

La question qui doit donc se poser concernant les accommodements religieux est celle de savoir s’ils vont favoriser la construction d’une véritable communauté civique, faite de valeurs partagées, ou s’ils ne vont pas au contraire accentuer la ghettoïsation de la société, en privilégiant le patchwork plutôt que le melting-pot.

Et comment ce débat peut-il avoir lieu si les associations qui défendent une autre conception du vivre ensemble que celle prônée par Milquet et consorts sont persona non grata, comme en témoigne par exemple l’association Insoumise et dévoilée, qui, malgré sa demande répétée, n’a pas été invitée à ces Assises ?

Tout cela donne l’impression désagréable que les Assises sont déjà pliées, et n’ont pour seul objectif, en réalité, que de conforter les trois partis politiques de la majorité dans les choix qu’ils ont déjà posés, avec la caution de représentants d’une « société civile » dûment triés sur le volet.