Le Dr Christophe Trivalle est chef de service SSR Alzheimer, Hôpital Paul Brousse, AP-HP
Un rapport récent de la Drees a été largement repris dans la presse car il annonçait une baisse de l’hospitalisation des personnes âgées d’ici 2030. Cette baisse concernait surtout un scénario très optimiste et un peu un scénario médian, et reposait principalement sur un développement de l’ambulatoire. Or ce développement de l’ambulatoire ne peut se faire correctement et en toute sécurité pour les malades que s’il y a suffisamment de médecins, d’infirmières, de kinésithérapeutes pour s’occuper des malades en ville, et pour les plus âgés d’aides-soignantes ou d’auxiliaires de vie. Ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui et la situation va plutôt s’aggraver dans les années à venir si rien n’est fait au niveau national. De plus, le virage ambulatoire n’est pas du tout adapté aux plus de 75 ans, et la Drees prévoit d’ailleurs une augmentation des séjours hospitaliers pour cette tranche d’âge.
Or, dans le nouveau gouvernement qui a été nommé le 18 mai rien n’a semble-t-il été prévu pour les personnes âgées, ce qui est un premier signal plutôt négatif.
Quelle est la situation actuelle de la gériatrie et comment
va-t-elle évoluer ?
Il n’est pas nécessaire de rappeler les chiffres concernant le vieillissement de la population française dans les années à venir. On peut quand même donner l’exemple le plus frappant, c’est celui des centenaires : ils étaient 200 en 1950, 23 000 aujourd’hui et seront plus de 200 000 en 2060. Or, plus l’âge augmente, plus le nombre moyen de pathologies par personne augmente. Même si on fait d’énormes progrès sur la prévention (ce qui n’est pas dans la culture française) et si on s’améliore sur la prise en soin des pathologies chroniques (où on est déjà plutôt bons) il y aura quand même une augmentation significative des personnes âgées malades et dépendantes. Par ailleurs il y a aussi le fléau de la maladie d’Alzheimer et des pathologies apparentées, pour lesquelles nous n’avons aucun traitement et dont on n’est pas sûr de pouvoir les traiter un jour. Du coup, qui s’occupe de ces malades aujourd’hui et qui va s’en occuper demain ?
On sait qu’il y a une pénurie de médecins généralistes (mais aussi de spécialistes) et de nombreux déserts médicaux en France. Ces déserts concernent même les grandes villes, y compris l’Île-de-France et certains arrondissements parisiens. Mais ces déserts s’étendent aussi de plus en plus à l’hôpital, ce qui a largement été favorisé depuis plus de 10 ans par une politique dite d’efficience qui consiste principalement à réduire les recrutements.
Depuis plusieurs années j’alerte sur la situation dramatique en gériatrie et sur les conséquences prévisibles de la réforme du 3e cycle des études médicales. Cette réforme a été envisagée uniquement sous l’angle « formation » des étudiants sans jamais tenir compte du rôle important des internes dans le fonctionnement de l’hôpital ! Tout le monde a oublié le titre historique qui était « internes des hôpitaux ». L’hôpital étant un lieu d’enseignement et d’accompagnement, permettant aux médecins en formation de voir une médecine de pointe et des personnes présentant des pathologies plus ou moins complexes. C’est un lieu où on se crée souvent ses futurs réseaux, où l’on apprend à raisonner, à rationaliser ses prescriptions (examens complémentaires et traitements) et à synthétiser son raisonnement médical. Certaines maladies sont difficiles à suspecter si on ne les a jamais vues. Les futurs médecins généralistes qui feront par la suite toute leur carrière en ville n’auront souvent plus l’occasion de travailler à l’hôpital. Il est dommage que la réforme actuelle ne soit envisagée que sous l’angle d’éviter l’hôpital, alors que ces futurs médecins, généralistes ou spécialistes en libéral, auront toute leur vie professionnelle pour bien comprendre les subtilités administratives du travail en cabinet !
Que se passe-t-il avec cette réforme, en dehors des 3 phases : socle, approfondissement et consolidation ? Deux choses : une formation de plus en plus ambulatoire de la médecine générale dont les responsables ne voient pas l’intérêt de faire des stages à l’hôpital et la création d’un DES (diplôme d’études spécialisées) de gériatrie, dont les coordonnateurs n’ont qu’une vision universitaire, sans appréhender les besoins immenses qu’il y a en dehors des CHU (centres hospitalo-universitaires) : ville, EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), services de réadaptation, unités de long séjour, etc. Il est aussi intéressant de noter que les responsables de la médecine générale ne voient pas l’utilité de rendre obligatoire un stage de 6 mois en gériatrie.
A l’occasion de cette réforme, deux nouveaux DES sont créés : la médecine d’urgence et la gériatrie. Il est clair que les ambitions de ces deux disciplines ne sont pas les mêmes : ainsi, le DES de médecine d’urgence a obtenu la création (théorique) de 470 postes au niveau national (90 en Île-de-France) contre seulement 250 pour la gériatrie au niveau national (60 en Île-de-France)… Jusqu’à maintenant, il existait deux voies pour devenir gériatre. La première voie était celle du DESC (diplôme d’études spécialisées complémentaires) de type 2 (le DESC créé en 1988 est devenu qualifiant en 2004, lorsque la gériatrie a été reconnue officiellement comme spécialité), qui était initialement surtout validé par des DES de médecine interne avec souvent une perspective universitaire. Secondairement, la médecine générale étant devenue une spécialité, ce sont les DES de médecine générale qui ont fourni 90 % des effectifs du DESC de gériatrie. La deuxième voie était celle de la capacité de gérontologie créée elle aussi en 1988. Ce système a d’abord permis à des médecins généralistes déjà installés et plus rarement à des spécialistes de se reconvertir à la gériatrie. Depuis plusieurs années, ce sont aussi les médecins à diplôme étranger qui choisissent cette voie pour valider leur procédure d’autorisation d’exercice (PAE). La capacité a fourni de très nombreux médecins coordonnateurs d’EHPAD, de médecins de SLD (soins de longue durée) et aussi de SSR (soins de suite et de rééducation) gériatriques : 88,5 % des gériatres hospitaliers sont détenteurs de la capacité de gérontologie et seulement 8 % du DESC… Rien que pour les médecins coordonnateurs d’EHPAD, les besoins estimés sont de 6 000 médecins pour environ 10 000 établissements dans les secteurs public, privé et associatif.
En Île-de-France, il y a actuellement 130 internes en UGA (unités de gériatrie aigüe) et 194 en SSR, presque exclusivement de médecine générale. Pour novembre 2017 (phase socle), il est prévu d’ouvrir 30 postes de DES de gériatrie, uniquement en UGA, et seulement dans des services universitaires (les seuls ayant un niveau de formation suffisant…) avec quelques services ayant comme responsable un ancien chef de clinique assistant. Pour la phase 2 (approfondissement) il n’est prévu que 15 postes en SSR ! Comme la médecine générale ne donnera son agrément que pour les services ayant déjà l’agrément en gériatrie (qui du coup seront aussi les seuls à avoir l’agrément pour la PAE), il est facile d’imaginer la catastrophe annoncée !
La situation est bien sûr différente d’une région à l’autre et selon les structures. De nombreuses structures privées n’ont jamais eu d’internes et ont été créées sur cette base. En province ou en Île-de-France dans la deuxième couronne, de nombreux hôpitaux ont également modifié leur fonctionnement pour survivre sans internes. Et ceci grâce aux médecins à diplôme étranger qui pendant longtemps pouvaient être recrutés très facilement et pour un coût financier très acceptable. Depuis les règles de recrutement sont devenues de plus en plus restrictives avec en particulier la création de la PAE (procédure d’autorisation d’exercice). De très nombreux services, à chaque fois qu’ils perdaient des internes ont survécu par ce biais. Mais aujourd’hui ce robinet est presque fermé et ceux qui avaient été recrutés, dès qu’ils sont inscrit au conseil de l’Ordre, quittent l’hôpital pour s’installer dans le privé (SSR ou EHPAD) où ils sont largement mieux payés et avec moins de contraintes (pas de gardes, ni de week-ends). Dans le même temps, de nombreux praticiens hospitaliers quittent l’hôpital public pour aller dans le privé.
On se retrouve donc aujourd’hui avec des services, surtout en gériatrie et en SSR, dans lesquels il manque des praticiens hospitaliers, des médecins étrangers, et pour lesquels on enlève progressivement les internes depuis un an et demi. A Paul Brousse par exemple, nous avons cet été 6 internes au lieu de 14, et en novembre, probablement 0, 1 ou 2 ! Nous avons déjà fermé 45 lits, mais en novembre ce sera une centaine. Et cela sur un seul site. Cette situation va aller en se multipliant, et il est bien évident que c’est tout le système hospitalier qui va en subir les conséquences. Ceux qui ne voient rien venir vont vite comprendre quand il n’y aura plus de filière d’aval pour accueillir leurs malades et conserver leur durée moyenne de séjour (DMS) dans les bornes autorisées ! Par ailleurs, l’activité en SSR va s’effondrer au moment où on passe (enfin ?) à la DMA (dotation modulée à l’activité, une sorte de T2A – tarification à l’activité – « light »).
Comme on le voit, on va droit dans le mur. On a laissé les coordonnateurs de DES gérer la santé à leur guise sans aucun contrôle et personne ne se pose de questions. Est-ce aux directeurs d’hôpitaux de réagir ? Est-ce aux ARS (agences régionales de santé) ? Est-ce à la DGOS (Direction générale de l’Organisation des soins) ? Est-ce à la nouvelle ministre de la Santé ? En tous cas il y a urgence. Lorsque les services auront fermé, pour beaucoup on ne pourra plus revenir en arrière.