Compte tenu de l’abondance des textes parus durant l’été, ReSPUBLICA vous propose quelques repères.
1/ Sur le burkini, outre un précédent article de l’UFAL et, dans ce numéro, la chronique d’Evariste et le texte de Pascal Morsu, nous avons retenu ces textes :
Dans Marianne le 23 août, notre amie Catherine Kintzler affirme que la question ne relève pas de la laïcité mais qu’elle est davantage politique, liée à l’acceptation ou non du communautarisme islamiste. Elle insiste sur le fait que « toutes les femmes sont concernées » :
Ce qui compte ici n’est pas un événement isolé qui ne serait qu’anecdotique, mais la série dans sa cohérence. Une fois de plus, et dans un contexte qui l’aggrave, s’avance une tentative de banalisation du totalitarisme islamiste qui entend l’introduire comme une forme de « moralité » parmi d’autres. Une fois de plus s’affirme un contrôle absolu et véritablement obscène du corps des femmes. Au-delà de celles qui y consentent ou qui s’y plient malgré elles, cette assignation atteint toutes les autres. Partout où de tels accoutrements sont affichés toutes les femmes sont concernées, et d’abord celles de culture ou de confession musulmane qui le réprouvent, toutes celles qui ne portent pas le voile.
Dans le Figaro, le 26 août, après la décision du Conseil d’État validant la suspension d’un arrêté « anti-burkini », Catherine Kintzler reprend son analyse :
Je pense que ce combat implique un devoir de réprobation publique, dans le cadre et les limites du droit commun bien sûr. Minimiser ces accoutrements revient à les soutenir, contribue à les imposer, à les rendre ordinaires, et donc à accoutumer un totalitarisme. Non, il faut que cela reste extra-ordinaire. Faire en sorte que la manifestation publique de ces marquages soit soulignée, questionnée, critiquée, expliquée dans sa signification politique. Faire en sorte que cela ne soit pas inclus dans le paysage, que ces affichages restent «remarquables» et remarqués. On peut les tolérer et exprimer sa réprobation en disant toute l’horreur qu’ils inspirent. La loi ne les interdit pas: mais ce n’est pas pour cela qu’ils doivent devenir une norme.
2/ Leur laïcité et la nôtre : des lecteurs, des camarades nous interrogent parfois sur la nature de nos désaccords avec des auteurs comme Edwy Plenel ou Jean Baubérot.
Il est important en effet de ne pas se laisser aveugler par la position influente acquise par ces deux personnages dans le monde des médias et de l’Université, renforcée par l’appui dont ils bénéficient auprès de plusieurs organisations de la gauche de la gauche et/ou ayant pignon sur rue en matière de droits de l’Homme et de laïcité…
Pour les éclairer sur les antécédents du directeur de Mediapart, qui qualifie aujourd’hui le burkini de « vêtement comme un autre », on notera dans l’article de Pascal Morsu précité ce rappel :
En 1985, E. Plenel, ex-dirigeant de la LCR ayant conservé une influence indéniable dans l’organisation, publie sa République inachevée. Un chapitre s’intitule le mythe laïc (tout est dit), où on trouve le passage suivant : « En détournant l’attention des classes populaires vers le clergé, en faisant passer au second plan que la séparation de l’école et de l’État est aussi la subordination de l’école à l’État, elle lui garantit un consensus favorable et maximise sa rentabilité sociale et politique. (…) La neutralité laïque est le parti-pris de l’idéologie dominante ».
L’idée force de Plenel, c’est que l’important, c’est la pénétration patronale dans l’école, pas celle des cléricaux (encore cet évitement de toute activité anti-religieuse…). Ça ne résiste guère à l’examen. En ces années, la querelle scolaire bat son plein. En juin 1984, des centaines de milliers de réactionnaires, bonnes sœurs en tête, avaient défilé en défense de l’école « libre », scellant une importante défaite du camp laïque… La réalité est évidemment que la pression religieuse et patronale sur l’Enseignement s’articulent mutuellement et sont inséparables.
La façon dont est présentée la « subordination » de l’école à l’État n’est guère plus défendable. Car là encore, la France est un des pays où, justement, la main-mise des pouvoirs divers (politiques mais aussi économiques) est la plus relative (grâce au statut des enseignants, aux programmes nationaux, etc.). Cela fait partie de cette « exception française », produit de décennies de luttes de classe sur le terrain scolaire.
Plus récemment (janvier 2015), Edwy Plenel a publié Pour les musulmans, précédé d’une «Lettre à la France », dont Didier Hanne a rendu compte dans ReSPUBLICA , montrant comment ce représentant de « l’intelligentsia post-68 », prototype de l’islamo-gauchiste, tout occupé à glorifier son « ami principal » (les musulmans en général), les ramène à « la condition de faibles et de victimes, peut-être dans l’espérance d’enfin trouver un prolétariat de substitution ». Extrait :
Il met en mots les états d’esprits diffus qui circulent dans une certaine gauche, laquelle ne prend République et Laïcité qu’avec pincettes et mine dégoûtée. Plus embêtant : sa préface de février traduit une certaine indifférence (théorique) à ce qui s’est produit les 7, 8 et 9 janvier 2015. Il faut en effet quelque peu les enjamber pour conserver dans sa mire un unique adversaire, toujours le même, alors que tout prouve que nous en avons plusieurs.
Toute récente enfin (29 août), cette réaction à l’étrange privilège dont jouit le journal de Plenel auprès des identitaires ; sous le titre « Quand Mediapart blanchit la censure chère au « camp d’été décolonial » », Jack Dion, directeur adjoint de la rédaction de Marianne, note :
Le « camp d’été décolonial » a validé le contrôle au faciès en excluant les Blancs. Il a également exclu tous les journaux à l’exception de Mediapart, réhabilitant ainsi la censure a priori. […] Au fait, pourquoi Mediapart et pas les autres ? Que je sache, Edwy Plenel n’est pas plus « racisé » (comme on dit chez ces gens-là) que je ne le suis. Alors ? Faïza Zerouala fournit elle-même la réponse, dont il faut savoir apprécier chaque mot : « J’ai choisi, de ma propre initiative, de couvrir ce camp d’été. Mediapart a été le seul média accrédité pour l’intégralité du camp d’été. Les organisatrices souhaitaient que les journalistes soient eux-mêmes racisés et qu’ils appartiennent à une rédaction dont le traitement du racisme leur semblait pertinent. »
Caractériser la pensée de Jean Baubérot est une autre entreprise, comme le rappelle Eddy Khaldi à l’occasion de sa recension de l’ouvrage Les sept laïcités sous le titre
« De la laïcité plurielle au pluriel des laïcités » :
Avec 27 ouvrages, depuis 1990, Jean Baubérot est, certainement, l’auteur le plus prolixe et le plus diffus sur le chantier de la laïcité. Il revendique même d’en être le « Pape hérétique » et se présente comme fondateur de la « sociologie de la laïcité ».
Jean Baubérot occupe la chaire d’« Histoire et sociologie du protestantisme » de 1978 à 1990, il est l’instigateur d’un « pacte laïque » signé entre la Fédération protestante et la Ligue de l’enseignement en avril 1989. L’année suivante il publie : Vers un nouveau pacte laïque ?. Un an après, le premier Ministre Michel Rocard crée opportunément, la chaire d’« Histoire et sociologie de la laïcité » au profit exclusif de Jean Baubérot !
[Pour lui, poursuit E. Khaldi, le modèle français de laïcité n’existe pas,] car il défend la thèse qu’il y a toujours eu des représentations différentes de la laïcité, que la laïcité constitue un enjeu entre différents acteurs.
Dans sa cartographie des représentations de la laïcité, sept modèles sont identifiés.
Hier, elle était « plurielle ». Aujourd’hui, elle est mise au pluriel dans Les sept laïcités où son auteur, sociologue reconnu, qualifie le racisme de « laïcité identitaire », le concordat de « laïcité concordataire ».
[…] Toutes ces manipulations sémantiques, « laïcité plurielle », « laïcités » mises au pluriel, « seuil de laïcité » « pacte laïque » desservent surtout ceux qui escomptent un profit électoraliste à court terme pour ne servir que les visées cléricales à long terme.
Sur le fond, dans le blog de Catherine Kintzler, Mezetulle, on reviendra utilement sur un texte de 2008 intitulé « La et les laïcités : Catherine Kintzler, Jean Baubérot » et dû à Nicole Delattre.
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Pour finir par une belle et bonne lecture, nous vous proposons la réflexion de Henri Pena Ruiz du 4 août « La spiritualité est multiple, la laïcité, unique » qui développe la dimension émancipatrice de la laïcité :
La philosophie de l’émancipation laïque radicalise ainsi la liberté puisque chacun devient maître de sa spiritualité, de son mode d’accomplissement et, finalement, du type d’être qu’il fait advenir dans la conduite de son existence. Beau programme que les opprimés des différentes cultures ont eu et auront encore à réaliser par leurs luttes.
Nous vous invitons aussi à lire (si vous avez accès à la version Abonnés du Monde, comme pour le précédent texte, malheureusement) « Musulmans, changeons de logiciel ! » par Abdherrahim Hafidi, qui propose notamment à ses correligionnaires un moratoire sur les prières de rue et sur le port du voile.