Le groupe communiste à l’assemblée de Corse a voté comme un seul homme le rapport de l’Exécutif Territorial exigeant la co-officialité entre le Corse et le Français. Il y a quelques jours Paul Antoine Luciani défilait dans les rues d’ Ajaccio au nom de la paternité qu’auraient les communistes insulaires dans la revendication d’ un tel statut. Qu’il me soit permis d’abord deux remarques:
1) Il est vrai que J-B Marcellesi, en 1985, en lançait la proposition. Mais ancien responsable communiste tant au niveau fédéral en Haute Corse qu’au niveau régional (secrétaire de la Région Corse du PCF de 1985 à 1991) je suis en mesure d’affirmer que jamais aucune instance régulière du Parti n’a ni débattu ni faite sienne une telle démarche.
2) Plus grave encore que ce qui pourrait apparaître comme un rappel du formalisme: la proposition avancée par le linguiste, par ailleurs communiste, dans Pour une politique démocratique de la langue n’a rien à voir avec ce qui a été voté. Ceux qui ont avalisé la délibération n°13/096AC en se réclamant de J-B Marcellesi font insulte à sa conception de la co-officialité.
En effet pour Marcellesi et je le cite : « Tous ceux qui veulent par des mesures d’obligation se dispenser de l’ effort de conviction rendent un bien mauvais service à la langue corse ». Et le maître mot qui court tout au long de sa proposition est « Tolérance », y compris en matière d’ orthographe , de graphie et de respect des variétés régionales. Nous sommes aux antipodes du texte voté par les élus régionaux qui fait de la « normalisation » un impératif. A les suivre la langue corse deviendra bientôt une langue étrangère pour les Corses. Il est vrai que les dits élus étaient appelés à avaliser une démarche politique… Ce qu’ils ont fait, toute honte bue, au moins pour les communistes. Car le vote du 13 mai 2003 dessine un choix de société.
On pourrait trouver absurdes certaines dispositions: la faculté pour les plaideurs comme pour les hommes de loi de s’exprimer dans la langue de leur choix; la nécessité de traduire les diagnostiques comme les actes médicaux; la possibilité donnée aux élèves et aux étudiants de passer à l’ écrit comme à l’oral leurs examens en langue corse. Nous sommes renvoyés au tribalisme et à un recul de civilisation au nom de la sauvegarde de la langue corse. Avec de telles dispositions un Charpak n’aurait jamais pu enseigner à Corte; un Max Caisson, un Establet, n’auraient jamais pu faire les beaux jours de la classe de Lettres Supérieures du Lycée de Bastia. Il est vrai que « l’homo corsicus » (Max Simeoni) n’a besoin que de corsitude pour construire son avenir.
Poussons plus loin l’analyse de la délibération. Les articles 15 et 16 effacent le statut de la fonction publique, donnent à la Collectivité Territoriale, donc à une instance politique, un pouvoir régalien sur le déroulement des carrières des fonctionnaires suivant leur niveau de pratique du corse. C’est le retour de Vichy. Que des groupes ou des hommes partisans de l’ultra libéralisme aient voté cette forfaiture peut se comprendre. Mais comment des communistes ont-ils pu jeter à la poubelle le statut de 1946 porté sur les fonts baptismaux par Maurice Thorez ? La suppression des instances paritaires est confirmée par les articles 7 et 10: un Conseil Académique Territorial composé majoritairement d’élus devient non seulement maître des programmes mais sera habilité à gérer le recrutement des enseignants et leur affectation toujours selon le critère du niveau de maîtrise de la langue.
Ce texte dont il faudrait décortiquer les 27 articles et leurs alinéa est clair: il vise à faire du corse une « langue nationale » comme une des bases de la construction d’une « région-état » dans laquelle le corps social serait remodelé dans une logique de « spoil system » à l’anglo-saxonne aux antipodes du socle républicain. En se prévalant d’une justification supranationale (La charte des langues régionales et minoritaires) la co-officialité sert de cheval de Troie à une caporalisation de la société et à une remise en cause des valeurs de la citoyenneté.