D’Épictète à Nietzsche, les philosophes n’avaient pas défriché la vaste question du bonheur. Coca Cola France profite de cette lacune pour ouvrir l’Observatoire du bonheur et financer la recherche en sciences humaines. Le bonheur, c’est simple comme une bouteille de Coca Cola…
L’ambition affichée par la multinationale de la boisson gazeuse est d’abord universitaire. L’Observatoire du bonheur réunit une équipe de recherche financée par Coca Cola France sous la direction de Michel Blay, directeur du laboratoire SYRTE (Systèmes de Référence Temps – Espace) au CNRS, philosophe et historien des sciences. Ce centre de recherche est destiné à « rassembler les données existantes, élargir le champ de la réflexion et plus globalement étudier les diverses représentations du bonheur ».
Le pétillant organisme de recherche publiera deux fois par an les Cahiers de l’Observatoire, recueils d’articles d’experts et d’universitaires. Autre preuve de dynamisme, trois prix de 15000 euros seront attribués à des doctorants en Sciences Humaines et Sociales pour travailler sur la thématique du « bonheur comme enjeu de société ».
L’initiative de Coca Cola France se présente comme une contribution désintéressée aux réflexions en cours sur le bonheur dans les sociétés capitalistes. Le communiqué de presse de la marque et le site expliquent la démarche : « Alors que sa définition et son appréhension n’ont cessé d’évoluer au fil des époques, le bonheur reste toujours l’objet de nombreux questionnements. Sommes-nous aujourd’hui plus ou moins heureux que nos parents ? Nos critères du bonheur ont-ils évolué ? N’y a-t-il qu’une forme unique et absolue du bonheur ou divers petits bonheurs quotidiens ? ».
Une preuve pour les esprits « frileux » de l’Université que le financement des sciences humaines pourrait être pris en charge par le privé au même titre que les recherches scientifiques ?
Si le bonheur est souvent gratuit, la stratégie de Coca Cola n’est pas le fruit d’un élan philanthropique et humaniste. Cette opération de relations publiques est menée par une agence de relation presse spécialisée dans la stratégie d’opinion, le management de la réputation et la valorisation de marque. Elle appuie efficacement une nouvelle campagne de publicité au slogan prometteur : « Ouvre un Coca Cola, ouvre du bonheur ! »
Sous le vernis des belles paroles de type « Coca-Cola est une marque synonyme d’optimisme et de positivité », cette initiative joue un rôle pivot dans la construction en amont des motivations à l’achat et des modes de consommation.
A court terme, elle associe étroitement à la marque une notion en vogue dans les sondages et les indicateurs de bien-être collectif. « Coca-Cola renouvelle son engagement en faveur du bonheur. (sic) L’objectif à terme : mieux comprendre le bonheur… pour toujours mieux l’apprécier. » Laissez-nous deviner… Sous forme liquide, dans des petites boîtes rouges vendues dans les meilleurs supermarchés ?
A moyen terme, elle mobilise des chercheurs reconnus et des doctorants en formation pour effectuer du conseil en marketing sur l’attente consciente et inconsciente des consommateurs en termes d’image de marque et de positionnement des campagnes publicitaires. Autrement dit, étudier le comportement du consommateur pour l’anticiper et le modeler. Grande avancée : la philosophie au service des intérêts financiers et commerciaux des multinationales !
Reconverti dans le business des boissons gazeuses, Michel Blay, joue de son étiquette publique pour cautionner cette opération de communication. En auguste directeur de recherche, il déclarait pourtant en juillet 2005 dans une interview donnée à la revue de l’Association Science Technique Société (Axiales), que « le travail scientifique ne doit, et ne peut, se faire que dans la totale liberté. ». Les chemins de la liberté sont impénétrables… Pas ceux de la soupe pour les philosophes à 2 euros.