Si, à l’Association des Maires et Elus des Communes Associées de France (AMECAF), nous sommes très attachés à la nécessité de l’intercommunalité, nous le sommes tout autant du maintien de l’identité de nos communes dites « associées ». Aussi, compte tenu de la nature des difficultés, parfois des plus graves, rencontrées dans l’exercice de nos mandats de « maire délégué », les engagements de notre association à défendre les 740 communes dites « associées », ne se font pas sans des prises de positions fermes. Nous l’avons constaté à maintes reprises, le statut de « fusion-association », issu de la loi du 16 juillet 1971, a mis les communes dites « associées » sous la tutelle des communes « centres ». Cette situation a généré et génère encore de graves conflits. Elle pousse souvent les élus à mettre en place des processus de « défusion » ou de « retour à l’autonomie ».
Plusieurs lois sur l’intercommunalité n’ont pas su prendre en compte les améliorations demandées par de nombreux élus et maires de nos communes. Rien n’avance vraiment ! Les responsables politiques, de tous bords et de tous gouvernements, nous ont toujours paru pour le moins frileux quant à répondre aux propositions que nous formulons. Cette difficulté du système politique à prendre vraiment en charge notre problème est aussi malheureusement liée à notre statut. Si le statut de fusion-association est le même pour toutes les communes associées, leurs habitants vivent le plus souvent des situations particulières et donc différentes d’une commune associée à l’autre. En conséquence, leurs maires et élus sont amenés à prôner ou au moins à réfléchir à des solutions différentes de sortie de crise : défusion, amélioration du statut, autonomie dans une intercommunalité, voire même fusion totale… Cela rend d’autant plus difficile la lecture de nos difficultés pour imaginer des solutions législatives de sortie de conflit.
Toutefois si chacun vit une situation particulière et imagine un moyen adapté d’amélioration du statut de sa commune, tous les élus expriment les mêmes attentes de reconnaissance. Nous revendiquons haut et fort que nous n’avons pas été élus pour rien et surtout pas pour faire de la figuration.
Quantité négligeable ?
Les communes associées représentent près de 250 000 habitants, 247 551 pour être exact au dernier recensement pour 744 communes associées : 659 communes associées de moins de 500 habitants pour 94 394 habitants 47 communes de 500 à 1000 habitants pour 33 402 habitants 38 communes de plus de 1000 habitants pour 119 755 habitants
C’est peu pour peser réellement, mais largement suffisant pour attirer l’attention. Car à notre sens, il n’y a pas de petite ou de grande « démocratie ».
La loi Marcellin est un échec !
Nous sommes tous d’accord pour dire que les causes essentielles de nos difficultés découlent de la loi « Marcellin » de 1971, qui ne pouvait réussir que si elle répondait à un vœu de la population, mais appliquée souvent de manière autoritaire, contre l’avis des élus et des habitants rarement consultés. Le constat est lourd : . nos communes sont réduites à des « territoires fiscaux », uniquement appréciés comme tirelires et hectares disponibles pour la commune centre . les habitants et élus des communes « associées » sont réduits au rôle de sous-citoyens. Leurs voix ne comptent pas et ils doivent souvent subir un maire de commune centre, élu par d’autres. . la non-reconnaissance de la fonction de « Maire Délégué » pourtant le plus fréquemment très bien élu par les citoyens de leur commune et seul représentatif de ces derniers au regard du suffrage universel, entraîne des pouvoirs très réduits ne correspondant pas aux responsabilités que nous devons malgré tout assurer . la loi comporte le risque que les instances représentatives des communes associées (Maires Délégués, élus des Commissions consultatives, membres du CCAS) soient l’émanation de la majorité de la ville centre et non pas la représentation démocratique des citoyens de la commune associée. . les commissions consultatives quand elles existent sont sans pouvoir réel de décision et n’ont quasiment jamais été transformées, comme le permet pourtant la loi, en conseil consultatif. . la mise sous tutelle de fait des communes « associées » dont la voirie, les terrains communaux et autres immeubles sont devenus la propriété de la commune centre, ne permet pas d’assurer un fonctionnement normal et un contrôle sur les permis de construire, le droit d’utilisation du sol, les pouvoirs de police en matière de voirie… . les maires et élus des communes associées n’ont pas ou peu de moyens propres pour assurer la gestion au quotidien, l’animation et l’investissement sur le territoire de leur commune. . l’absence de critère de répartition pour les dotations d’action sociale ne permet pas aux CCAS des communes associées de répondre aux attentes des citoyens.
La loi Marcellin a manifestement échoué. Cette méthode de gestion de nos collectivités est aujourd’hui obsolète car elle ne garantit pas un développement équilibré de nos collectivités. De plus son objectif principal n’a pas abouti au bout du compte à l’intégration totale escomptée, cette « fusion totale » des communes associées dans la commune centre. Mais surtout, cette loi ne saurait être exemplaire pour tous ceux qui expriment au quotidien leur volonté de respect de la démocratie.
Et les valeurs de la République ? Nous affirmons tous vouloir être responsables dans nos fonctions d’élus et avoir les moyens du développement de nos communes, pour le bien commun et nous exprimons tous un même attachement aux valeurs républicaines. Et c’est là, un des points les plus importants pour notre réflexion. Si nous voulons être pris en compte et éviter d’être enfermés dans des particularismes réducteurs, nous devons appuyer nos propositions sur un corpus d’idées incontestables et sur un ensemble de repères communs à tous.
Réfléchissons ! Quelles sont les valeurs que l’on nous présente comme devant rassembler au mieux les Français si ce ne sont celles du triptyque républicain, la liberté, l’égalité et la fraternité ? Comment alors faire respecter au quotidien la démocratie locale ? Comment faire vivre cet attachement au droit des citoyens à l’autodétermination ? Les droits ne seraient-ils pas les mêmes pour tous les citoyens ?
La liberté pour tous… Mais quelle liberté ? Celle de gérer directement nos propriétés communales ? Celle de gérer directement les services aux administrés de nos communes ? Celle d’intervenir directement en matière de police municipale, d’occupation des sols… celle de gérer directement l’affectation de nos terrains communaux, de gérer directement les permis de construire déposés pour notre commune, la liberté de gérer directement le personnel communal payé aussi par nos impôts ?
Beaucoup parlent d’égalité… Mais quelle égalité ? L’égalité devant les impôts communaux ? L’égalité en matière de justice fiscale locale, de répartition de l’imposition fiscale directe ? L’égalité de traitement dans la redistribution de l’impôt, l’égalité de prise en compte des besoins d’investissements ? L’égalité d’avenir pour nos territoires ?
Là aussi devrait pouvoir s’appliquer la fraternité. Mais quelle fraternité ? La fraternité pour des sous-citoyens dont le vote n’est pas pris en compte ? La fraternité d’un maire de ville centre qui prend rarement le risque de se confronter directement à la volonté démocratique des habitants des communes associées ? La fraternité pour des conseillers dont le poids du nombre au sein du conseil municipal ne peut changer ou peser en quoi que ce soit sur le résultat électoral de la commune centre ?
La liberté, l’égalité et la fraternité sont des valeurs manifestement interdites pour les habitants des communes associées. Pire encore, la loi Marcellin autorise le maire de la ville centre à faire comme si nous n’existions pas !
Nos communes existent-elles encore ?
Là est la question centrale. Soyons clairs : nos communes « associées » existent-t-elles encore ou bien ne sont-elles devenues qu’un quartier de la commune centre ?
Si, comme certains enragent à vouloir le faire croire, la commune « associée » n’existe plus, si ce n’est plus qu’un quartier, alors la réponse à la question de l’évolution du statut, « statu quo, fusion totale ou défusion », est réglée : il faut prôner la fusion totale, c’est-à-dire la disparition pure et simple de la commune « associée ». Il faut alors avoir le courage de supprimer ces communes dont on rappellera l’existence symboliquement, par quelques pancartes de type « lieu-dit » et de temps à autre dans la revue municipale de la ville centre, par quelques photos jaunies, en sépia, qui rappelleront le bon temps.
Ou bien, comme certains parfois le pensent, il ne tient à rien que la situation puisse malgré tout s’améliorer, que ce n’est qu’une affaire de relations entre les hommes, « Ils n’ont qu’à s’entendre ! » « Ils vont bien trouver à « s’arranger », et qu’avec quelques concessions de la part de la ville centre, il est possible de trouver une solution à la sortie de crise, alors la question là aussi est réglée.
Mais si nous pensons que nos communes existent bel et bien, qu’elles sont une réalité sociale, historique, économique… que les habitants y sont très attachés, qu’ils ont envie de les faire vivre… alors il appartient aux maires et élus que nous sommes d’assurer la responsabilité de leur avenir !
Cet avenir passe par un projet de commune identifiée, un projet de développement économique durable et d’aménagement urbain, un projet d’animation sociale ou culturelle pertinent… un projet d’existence de ce territoire s’appuyant sur son histoire, ses savoir- faire, sur la mobilisation de ses habitants… pour offrir toutes les chances de réussites aux jeunes et toute la reconnaissance aux anciens… pour permettre de donner toute leur place à ceux qui veulent entreprendre…
Si nous pensons que nos communes valent plus que ce que nous vivons aujourd’hui, alors allons de l’avant ! Osons !
Mais alors que faire ?
Défusion, application de la loi PLM, fusion totale, statu quo… ? Si notre réflexion n’a pas tranché, laissant à chaque situation locale d’estimer et de trouver la solution la mieux adaptée, nous sommes toutefois d’accord sur les trois principes suivants :
- nous affirmons la nécessité du maintien de nos communes comme lieu de concrétisation de ce que l’on appelle la démocratie de proximité,
- nous sommes favorables à l’intercommunalité et nous sommes les meilleurs garants de cette relation avec la commune centre,
- et seule la loi peut nous garantir des conditions d’exercice démocratiques et pacifiées de nos mandats
Nous avons donc proposé à tous les groupes politiques et à tous les gouvernements, depuis 1998, plusieurs solutions et amendements portant sur les 7 points suivants.
1/ la suppression du terme « délégué » : La mention « délégué » accolée à la notion de maire d’une commune associée ne correspond pas à notre fonction vécue au quotidien.
Proposition d’amendement – Suppression du terme « délégué » Article L.2113-13 nouvelle rédaction proposée : « La création d’une commune associée entraîne de plein droit : l’institution d’un maire, représentant légal de la commune associée …etc (sans changement) »
2/ le renforcement des pouvoirs des Maires Délégués et des conseils consultatifs par l’application de la loi PLM aux communes associées au minimum pour les communes associées à partir d’un certain seuil (>1000 habitants ?), par la modification de la loi Marcellin et du Code Général des Collectivités Locales et de la loi de décentralisation de décembre 1982 (loi PLM). Un seul article du CGCT est à modifier.
Proposition d’amendement – L’article L.2113.21 est ainsi complété :
« Les articles L.2113.17, L.2113.18, L.2113.19 et L.2113.20, applicables aux communes associées issues d’une fusion comptant plus de 100 000 habitants s’appliquent aux communes associées comptant plus de 1000 habitants. »
« Les articles L.2113.22, L.2113.23, L. 2113.24, L.2113.25 et L.2113.26 sont abrogés. »
3/l’allègement de la procédure et la modification des conditions de retrait de la fusion-association pour les communes « associées » qui souhaitent retrouver leur autonomie dans le cadre d’une intercommunalité nouvelle
Proposition d’amendement – Est ajouté après l’alinéa de l’article L.2113-16 du CGCT, l’alinéa suivant :
« Le représentant de l’Etat dans le département peut prononcer le retour à l’autonomie de la commune « associée » en concomitance à l’adhésion à un EPCI existant ou à créer, si les électeurs inscrits dans la section électorale de la commune associée se prononcent en faveur de cette autonomie dans le cadre d’une intercommunalité. La procédure de consultation est réalisée dans les conditions suivantes :
- Le représentant de l’Etat met en œuvre la consultation lorsqu’il a été saisi d’une demande soit par le conseil consultatif ou la commission consultative de la commune associée, soit par le tiers des électeurs inscrits sur la liste électorale de la commune associée. Il peut l’ordonner d’office.
- La consultation est obligatoirement organisée dans les six mois qui suivent la réception de la demande par le représentant de l’Etat.
- Pour être validé, le projet doit recevoir la majorité absolue des suffrages exprimés correspondant à un nombre au moins égal au quart des électeurs inscrits consultés.
- La mise en application du retour à l’autonomie est de plein droit réalisée au 1er janvier de l’année qui suit la consultation, dans le respect des limites territoriales de l’ancienne commune « associée ».
- L’élection du nouveau conseil municipal se fait dans les conditions fixées aux deux premiers alinéas de l’article L.2112-12 du même code.
- La nouvelle commune redevient propriétaire de tous les terrains et édifices communaux, du domaine privé communal, du patrimoine des établissements publics communaux situés sur son territoire, des obligations et des droits relatifs à son territoire. Elle se voit dévolue la totalité des archives administratives nécessaires à son fonctionnement dans les trois mois qui suivent le retour à l’autonomie. »
5/ la modification du mode d’élection des Maires Délégués par l’abrogation des dispositions de la loi du 5 janvier 1988 et le retour à l’élection directe du maire (délégué) par les seuls conseillers municipaux de la commune associée ;
6/ la transformation systématique de toutes les commissions consultatives en conseils consultatifs par l’application systématique de l’ensemble des dispositions prévues à l’article L. 2113-26 du CGCT
Proposition d’amendement – article L. 2113-26 :
« Le conseil municipal peut décider, après avis de la commission consultative ou à sa demande, d’attribuer au maire délégué et à la commission consultative tout ou partie des compétences mentionnées à l’article L. 2113-20. »
« Il peut également demander le remplacement de la commission consultative par le conseil consultatif prévu à l’article L. 2113-17. »
7/le renforcement des pouvoirs des CCAS des communes « associées » par la modification du décret du 6 mai 1995
Mais, et les obstacles ?
Nous l’entendons souvent, une évolution de notre statut est souvent contestée par des arguments, voire des arguties, que nous ne saurions simplement rejeter du revers de la main. Nous devons au minimum nous interroger: quels pourraient être les obstacles sérieux à une quelconque évolution ?
Un des obstacles majeurs que l’on nous oppose le plus souvent, est qu’avec une évolution du statut, une défusion ou une forme quelconque de retour à l’autonomie, nous mettrions à mal la situation financière et budgétaire de la ville centre par la reprise de nos taxes professionnelles et de nos hectares de terrains communaux. Rien de moins ! Cet argument ne tient pas. Depuis les lois de décentralisation, la capacité des collectivités locales à créer de l’intercommunalité et à promouvoir la TPU (taxe professionnelle unique), s’oppose à cet argument ! En matière budgétaire, aujourd’hui, il n’y a aucun risque inhérent à une forme d’autonomie retrouvée des communes associées.
Trois autres « obstacles » nous sont également opposés :
- a) Le nombre de communes en France serait déjà trop important pour en créer encore d’autres. Nous sommes nombreux à penser que ce nombre est au contraire une richesse pour la démocratie. La preuve en est que la classe politique, s’inquiétant d’un certain « désintérêt » et d’un certain « absentéisme », cherche à rapprocher la démocratie des citoyens en voulant créer des « conseils de quartiers » dans les cités. Faut-il que nos communes « associées » deviennent des « quartiers » pour avoir droit à la démocratie de proximité ? La volonté de nombreux politiques de rapprocher la démocratie des citoyens doit s’exprimer concrètement. Démocratiser la République, rapprocher la démocratie au plus près des citoyens, sont certainement des actes essentiels. Mais comment peut-on en même temps affirmer qu’il convient de rapprocher la démocratie des citoyens, comment peut-on aujourd’hui parler de démocratie de proximité, de comité de quartier et ne pas prendre en compte et respecter les demandes des élus des communes associées ? Nous ne le répéterons jamais assez : nos communes sont de vrais lieux de démocratie de proximité ! Et le nombre de ces lieux est une des richesses de notre pays que beaucoup nous envient.
- b) Les impôts vont augmenter. C’est peut-être un vrai argument pour les communes centres qui vivent le plus souvent au-dessus de leurs moyens et sur le dos des contribuables des communes associées ! L’intégration fiscale a d’ailleurs déjà fait augmenter énormément les impôts des habitants des communes associées, et les communes centres font manifestement supporter à d’autres leurs dépenses qu’elles ne veulent pas assumer seules (c’est d’ailleurs la seule raison des fusions d’hier !). Et puis, si la commune associée coûtait cher à la commune centre, il y belle lurette que la ville centre aurait demandé elle-même la défusion !
- c) La « rupture », le « divorce », « l’autonomie »… font passer les défusionneurs pour des diables ! Il est d’ailleurs significatif que, d’après la loi, l’initiative de la fusion totale (le mariage !?) appartienne aux élus de la commune centre et que la défusion (le divorce !) appartienne aux élus de la commune associée. D’un côté, il y aurait les gentils qui veulent unir et de l’autre les méchants qui veulent se séparer !
Aujourd’hui plus qu’hier encore, ces arguments ne tiennent pas.
La France de 1971 n’est plus celle des années de ce début de siècle. Notre pays et le monde ont changé. Il n’y a plus de position hégémonique. La concurrence est rude entre les pays, mais aussi entre les régions et les villes. Le développement économique doit être assuré par le plus grand nombre d’initiatives.
Nos communes dites « associées » et leurs élus ne peuvent se limiter au rôle de spectateurs. Il nous appartient aussi de porter l’avenir de nos agglomérations et de nos pays. Avec le respect de la démocratie, la participation de tous au développement local est l’une de nos ambitions les plus fortes.