En 2011, le nombre d’organismes d’assurance (sociétés d’assurance, mutuelles et institutions de prévoyance) a encore diminué de 55 unités. Ce mouvement de concentration qui concerne l’ensemble du secteur depuis le milieu des années 1990 touche aussi celui des organismes assurant une couverture « santé ». Ainsi, depuis 2001 le nombre d’organismes assurant une couverture santé complémentaire a diminué de plus de la moitié. De 2005 à 2015 le nombre de mutuelles est passé de 1 273 à 330.
Par la loi du 3 janvier 2001 et par l’ordonnance du 19 avril 2001 transposant les directives 92/49/CEE et 92/96/CEE du Conseil des 18 juin et 10 novembre 1992 modifiés par l’article 97 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (JO du 5 mars 2002, p.4147), s’appliquait pour les mutuelles crées avant le 22 avril 2001 un Code de la mutualité organisant la mise en concurrence des organismes de complémentaire santé. La part des soins hors affections de longue durée (ALD) remboursée par la Sécurité sociale reculant de plus en plus, les organismes de complémentaire santé ont pris une place de plus en plus importante.
Les mutuelles ressortissant du Code de la mutualité en 1945 ne devaient occuper qu’un rôle de développement de centres de prévention et de centres de soins, car l’ordonnance du 19 octobre 1945 abroge la Charte de la mutualité de 1898 et définit de nouvelles orientations aux « sociétés mutualistes », en complémentarité avec la Sécurité sociale. Cette même ordonnance dans son article 1 stipulait que « les sociétés mutualistes étaient des groupements qui, au moyen des cotisations de leurs membres, se proposent de mener, dans l’intérêt de ceux-ci ou de leur famille, une action de prévoyance, de solidarité ou d’entraide visant notamment la prévention des risques sociaux et la réparation de leurs conséquences, l’encouragement de la maternité et la protection de l’enfance et de la famille et le développement moral, intellectuel et physique de leurs membres. » De même d’après son article 42, les sociétés mutualistes pouvaient créer des oeuvres sociales, telles que dispensaires, maternité, consultations de nourrissons et, en général, toutes œuvres d’hygiène, de prévention ou de cure, ainsi que des maisons de repos et de retraite. Elles pouvaient également créer des pharmacies et des cabinets dentaires qui doivent être gérés dans les conditions déterminées par les lois et règlements spéciaux en la matière.
Pourtant, jusque dans les années 2000, les mutuelles se retrouvèrent avec un poids croissant dans l’assurance complémentaire santé, avec une forme d’hégémonie, alors que la loi du 25 juillet 1985 avait réformé le Code de la mutualité en faisant en sorte que les mutuelles n’aient plus comme auparavant l’exclusivité de la complémentaire santé. Le marché santé s’ouvre à la concurrence.
Mises en concurrence avec des organismes ressortissant des codes des assurances ou de la Sécurité sociale (assurances, mutuelles assurances, bancassurances, institutions de prévoyance), écrasées par des contraintes de solvabilité financière, de reddition de comptes et d’audit permanents, de taxes et de contraintes réglementaires toujours plus fortes, les mutuelles ont eu bien du mal à résister.
Il faut rappeler que c’est le président de l’époque de la Mutualité Française, René Teulade, qui lui-même avait demandé cette mise sur le marché concurrentiel de la complémentaire santé.
C’est donc un mouvement de fusion des organismes qui accompagne la marchandisation de l’assurance maladie complémentaire avec en corolaire le maintien des postes de salariés de proximité des mutuelles instituant des coûts de gestion supérieurs à ceux de la Sécurité sociale dont les centres gestion ont été régionalisés.
L’Accord national interprofessionnel de 2013 (ANI) a institué l’obligation pour les entreprises de souscrire un contrat auprès d’un organisme (mutuelle, assurance, institution paritaire…) pour proposer à leur personnel une couverture collective avant le 1er janvier 2016.
La désignation de l’organisme pouvant être prévue dans les conventions collectives à l’issue des négociations entre syndicats de salariés et le patronat, il y a fort à parier que les institutions paritaires théoriquement cogérées par ces mêmes organismes tireront les marrons du feu de cette disposition législative et que les mutuelles du Code de la mutualité en pâtiront. Si la majeure partie des salariés part dans des institutions paritaires, les mutuelles ne garderont que les retraités, ce qui inévitablement fragilisera leurs marges de solvabilité.
Cette hypothèse semble d’ailleurs confortée par les débats ayant lieu autour des modalités d’attribution de l’ACS (aide pour l’acquisition d’une assurance complémentaire santé, dite ACS, qui est une aide financière pour payer une complémentaire santé sous condition de ressources et financée par les taxes prélevées sur les cotisations aux organismes de complémentaire santé).
La mise en concurrence d’organismes assurantiels pour le partage de l’attribution de la gestion des bénéficiaires de l’ACS, tel que le prévoit l’article 56 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) subordonne le versement de l’ACS à l’adhésion à un organisme labellisé par l’État sur des critères de solvabilité et donc de surface financière. Les organismes non labellisés n’auront donc plus comme adhérents les familles populaires tandis que leurs propres cotisants financeront l’ACS par la taxe sur leur contrat !
L’État, privé par les directives européennes (que pourtant il approuve) de sa capacité de gestion directe, organise donc la mise sous tutelle d’organismes en concurrence et construit peu à peu les trusts de la complémentaire santé.
C’est l’application in extenso du rapport Chadelat de 2003 qui, rappelons-le, préconisait un système à trois niveaux avec l’assurance maladie obligatoire (AMO) financée par des prélèvements obligatoires, l’assurance maladie complémentaire dite de base (AMCB) qui restera facultative et pour laquelle est créé un dispositif d’aide à son acquisition contrôlé par l’État et un troisième étage dans lequel les familles restent « libres » de souscrire une assurance supplémentaire.
C’est le 3e étage de la construction et il se révèle important ; les inégalités dans l’accès aux soins s’aggravent car seuls les plus riches peuvent prétendre à ce niveau de couverture.
Tout est fait pour accélérer la construction de trusts de la complémentaire santé que l’Etat imagine contrôler.
Mais l’histoire nous démontre que la concurrence aboutit aux monopoles et que les monopoles contrôlent les États. Le retour à une protection sociale sans étages, avec suppression progressive de la complémentaire santé et une Sécu à 100 % financée par les cotisations sociales (comme le propose l’UFAL ainsi que les organisations progressistes) est à la fois une assurance de qualité de vie pour les populations et la meilleure méthode pour désarmer les marchés.