Nous avons largement présenté, dans les colonnes de ReSPUBLICA, l’enchaînement de la période néolibérale : la forte baisse des taux de profit dans l’économie réelle à la fin des années 60 et au début des années 70, l’incapacité des nouvelles technologies à y faire face contrairement aux séquences précédentes, l’éclosion de la financiarisation mondialisée comme seul remède permettant la croissance forte des taux de profit, le processus de gonflement et d’éclatement des bulles financières privées, l’utilisation de l’argent public pour combler des dettes privées impossibles à rembourser, le développement des dettes publiques, le renforcement obligatoire des politiques d’austérité pour financer les dettes publiques, la nécessité pour le capitalisme et son oligarchie de comprimer de plus en plus la masse des salaires, donc d’entrer dans le cercle vicieux de remplacement des fonctionnaires par des CDI, de remplacement des CDI par des CDD, de remplacement des CDD par des contrats de plus en plus précaires (par l’uberisation entre autres).
Outre les reculs sociaux, l’entrée dans le processus de recul continu de la démocratie – lire et relire la fin de l’intervention de Pierre Mendès-France du 18 janvier 1957 (1)«… L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale… » – est une nécessité pour le capitalisme. De plus, ce processus s’assortit du recul continu de la laïcité car le développement de cette séquence demande de satisfaire les principaux alliés des néolibéraux que sont les communautaristes et intégristes, instrumentalisés par le capitalisme pour remplacer auprès des perdants de la mondialisation la partie de la sphère de constitution des libertés (école, protection sociale, services publics) que l’on marchandise et privatise ! Et dire qu’une partie de la gauche dite radicale joue les idiots utiles en soutenant les principaux alliés communautaristes et intégristes des néolibéraux !
Les conséquences de la « rupture Fillon »
Or, dans cette période néo-libérale, nous venons d’entrer dans une nouvelle séquence. Non sans une certaine analogie avec les années 30, ce qui devrait faire un peu mieux réfléchir l’ensemble des gauches. Pour la première fois depuis la Libération, un candidat de la droite de gouvernement a scellé une alliance politique avec l’extrême droite catholique. Là réside l’explication principale de la poussée Fillon au sein de la droite. Après les rassemblements très puissants de la Manif pour tous, les dirigeants de celle-ci ont encastré « la Manif », qui d’après les journalistes des médias dominants ne ferait pas de politique, et Sens Commun qui en serait l’organe politique. Chez les catholiques, le rêve démocrate-chrétien s’éloigne des perspectives d’avenir et la poussée Fillon s’explique en grande partie par la mobilisation exceptionnelle d’une extrême droite catholique qui ne rêve que de revanche.
Si Fillon gagne l’élection présidentielle, accédera au pouvoir une droite conservatrice défendant le projet sociétal de l’extrême droite catholique du XXIe siècle. Sur le plan économique et social, on vérifiera la loi du mouvement réformateur néolibéral, à savoir que depuis 1983 chaque gouvernement fait pire que le précédent : avec l’accélération de la casse de la Sécurité sociale, le renforcement de la privatisation du profit et de la socialisation des pertes, la continuation du projet Kessler de suppression des conquis sociaux de la Libération et le recul de la laïcité seraient programmés.
Au sein du FN, cela devrait renforcer le courant de l’extrême droite politique au détriment de celui de l’extrême droite catholique. D’ailleurs, dès le soir de la victoire de Fillon à la primaire de la droite, en témoignait le discours de Philippot sur l’Union européenne, la zone euro, l’immigration, la xénophobie, ses vagues promesses de protection des couches populaires et des couches moyennes déclassées, etc.
Emmanuel Macron se sent pousser des ailes en espérant fortifier un électorat allant de la droite de l’électorat socialiste aux déçus de la défaite d’Alain Juppé, comme si on peut être progressiste sur le plan sociétal et néolibéral décomplexé et brutal sur le plan économique et social. On verra si Bayrou lui laisse cet espace.
Le spectacle de la gauche solférinienne est affligeant, prise qu’elle est au piège des primaires du PS stricto sensu et obligée de bafouiller près de deux mois encore devant les micros tendus par les journalistes avec un sourire narquois.
Du côté de la France insoumise, les choses avancent avec le vote légèrement majoritaire des adhérents du PC pour le soutien à Jean-Luc Mélenchon. Restent la discussion souhaitée par le PCF sur la signature de ses élus et un futur accord sur les législatives.
Avec le durcissement, voulu par les solfériniens, des règles de parrainage, la recherche de signatures n’a jamais été aussi difficile pour les autres petits candidats.
Il est aujourd’hui tout à fait possible, vu le triste spectacle des « hollando-vallsistes » et le bilan catastrophique pour les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires des gouvernements Ayrault et Valls, que Jean-Luc Mélenchon passe devant le candidat solférinien au premier tour de l’élection présidentielle. Il pourra alors revendiquer le vote utile à gauche. Mais pour pouvoir atteindre les 20-25 % nécessaires pour être présent au second tour, il faudra alors qu’il puisse toucher les couches populaires et les jeunes qui, ces dernières années, s’abstiennent à 60 %. Cela demande une inflexion de la campagne sur ce point.
Notes de bas de page
↑1 | «… L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale… » |
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