Source : https://blogs.mediapart.fr/andre-bellon/blog/250919/confession-d-un-heterosexuel-du-siecle
NDLR – Le texte d’André Bellon constitue une réaction pleine d’humour à une entrevue avec trois femmes organisatrices d’un récent festival féministe ; il ridiculise leur propos à partir de formules bien choisies. Aller plus loin dans ce texte ouvre bien des fenêtres sur le “fatras plein de contradictions et d’idées a priori” qui le constitue.
L’idée que l’hétérosexualité soit aussi une construction sociale, que l’injonction à l’hétérosexualité continue à peser sur les femmes aujourd’hui, cela n’est pas nouveau et avant même qu’on parle de théories du genre Monique Wittig nous l’avait dit dès les années 70 du siècle dernier. Depuis, les préférences sexuelles sont devenues plus fluides et moins dépendantes de la nécessité de reproduire la société et l’humanité ; alors, que la lesbienne soit à l’avant-garde de l’émancipation féminine parce qu’elle échapperait à la domination masculine qui constitue hommes et femmes en « classes » antagonistes, comment y croire encore ?
Car outre les approximations dans les concepts (le “salaire de reproduction” !) les problématiques de l’intersectionnalité et de l’indigénisme plombent le propos : l’économie capitaliste est « racialisée et coloniale »… Dire que les femmes non-blanches sont assignées au care en général et au soin des enfants des femmes blanches en particulier est fondé (aujourd’hui, mais pas au temps de Bécassine, à moins de considérer la Bretagne comme une colonie…) mais n’épuise pas bien sûr le sujet. Alors hétéros, homos, bisexuels, asexuels, blancs, noirs, jaunes, etc, tous ensemble pour travailler ensemble à notre émancipation réciproque !
Émilie
————-
Si j’écris et envoie ce texte, c’est pour faire partager un besoin de purification qu’il est difficile d’assumer en solitaire.
Je vivais à l’écart des grandes questions qui agitent notre société. Avec placidité, je me croyais inoffensif, acceptant mon hétérosexualité comme un mal sans grande conséquence. Je viens découvrir, grâce aux Inrocks https://www.lesinrocks.com/2019/09/20/actualite/societe/a-paris-un-festival-feministe-propose-de-sortir-de-lheterosexualite/, toute ma nocivité et j’éprouve un grand besoin de confesser toutes mes turpitudes.
Comment avais-je pu aussi longtemps ignorer que mes pratiques sexuelles étaient un régime politique ? J’avais, pendant toutes ces années, considéré qu’une certaine presse, de Libé aux Inrocks était animée par un simple besoin de provocation, typique des bobos du Faubourg Saint-Germain. Je tiens à m’excuser à plat ventre de ce mépris intellectuel petit bourgeois.
La chose serait restée sans conséquence si j’étais seul en cause. Mais je viens de découvrir que je participais inconsciemment à une entreprise d’oppression. En effet, l’hétérosexualité « est au fondement de la structuration de la binarité des genres et des sexes, de la création des classes mêmes d’hommes et de femmes qu’elle pose en miroir ». Même si je n’ai rien compris, je ressens l’horreur de ma position.
La chose est d’autant plus grave que, paraît-il, « sortir de l’hétérosexualité est un projet féministe ». En somme, l’hétérosexualité est une construction masculine. Si des femmes s’y vautrent, ce ne peut être que par soumission. « Il n’y a pas d’un côté des femmes libérées qui flottent dans un hyperespace lesbien autonome – puisque les lesbiennes aussi doivent gérer l’hétérosexualité tous les jours au travail ou les transports – et de l’autre des femmes complètement aliénées dans le couple hétéro ». Bigre !
Bien pis, je découvre qu’en tant qu’hétéro, je participe à l’oppression des non blanches car « l’hétérosexualité a avant tout une utilité économique, alors elle va forcément s’insérer dans l’économie capitaliste qui est une économie racialisée et coloniale… la construction de l’hétérosexualité comme mode d’organisation de la vie désirable est infusée par la blanchité ». Jusque-là, devant ce type de phrase, j’avais l’impression qu’on avait quelques mots clefs (racialisé, blanchité, colonial,..) et qu’on les tirait au sort pour en faire des phrases. J’avais tort et je tiens, là aussi, à le confesser. Je vivais sur l’idée perverse qu’ayant construit mon activité publique par la lutte contre les guerres coloniales et contre les discriminations, j’étais dans le bon camp. Je découvre que ce n’était qu’une manière d’asseoir un pouvoir d’autant plus pervers que je l’ignorais. Je découvre que la clef de voûte est l’homme blanc hétérosexuel, que les autres (femmes, noirs, … ) ne sont pas dans ce champ, qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas enfanter et que s’ils le font, ou ne le font pas, c’est toujours du fait de mon oppression.
Certes, je ressens encore tout cela comme un fatras plein de contradictions et d’idées a priori. Je ne suis simplement pas encore libéré. Ce n’est donc que le début de ma confession et je ne vous inflige pas la suite.
Mea culpa, ideo precor.…