COP 21 : les raisons d’un échec programmé ou pourquoi la conférence sur le climat n’aura pas lieu

Jean Giraudoux, en 1935, dans sa pièce « La Guerre de Troie n’aura pas lieu », faisait un parallèle entre la situation en Europe et celle de l’Antiquité, cherchant à dévoiler les motivations qui allaient conduire à la future seconde guerre mondiale, mettant en relief notamment le cynisme des politiciens. La guerre de Troie a bien eu lieu, ainsi que la ruine de la ville, l’exil, l’esclavage et la mort. La guerre eut lieu parce que les mécanismes étaient en route depuis longtemps et qu’il n’était plus possible de s’y opposer. Les dés étaient jetés. Le dérèglement climatique s’inscrit-il dans ce destin tragique qui se situe et se joue à l’échelle planétaire ? Plusieurs éléments sont à mettre en perspective pour d’aborder la réalité du prochain sommet mondial de l’ONU sur le climat (COP 21) qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015, dont l’objectif vise la signature par 195 pays d’un accord international de réduction des gaz à effet de serre pour éviter la catastrophe annoncée en limitant le réchauffement climatique à moins de 2°C. Les craintes les plus grandes s’expriment à la veille de cette conférence internationale qui va réunir l’ensemble des pays signataires de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changements climatiques (CCNUCC).

1- La question climatique liée à la logique d’un système économique.

Le réchauffement climatique trouve son origine au XVIIIe siècle, au moment de la grande transformation des sociétés occidentales, consécutive à l’usage sans limite des énergies fossiles au niveau de la production, des transports et de la consommation ; elle trouve son aboutissement dans le processus actuel de mondialisation. La consommation énergétique qui accompagne cette transformation a produit peu à peu une accumulation de CO2 dans l’atmosphère et crée un réchauffement climatique perceptible depuis la fin du XIXe siècle dont nous en mesurons aujourd’hui l’ampleur et l’accélération.

Le futur de l’humanité se déploie autour de deux récits antagonistes. Le premier est critique. Les menaces qui apparaissent aujourd’hui (pollutions, climat, biodiversité) résultent d’un mode de vie spécifique, celui de l’Occident, que la mondialisation porte sur l’ensemble de la planète. Le système économique qui régit nos sociétés et nous sert de modèle (société de marché productiviste) verrouille toute idée de transformation car il a besoin d’énergie pour fonctionner. L’énergie agit comme moteur de la croissance et en même temps contribue directement à la crise écologique. Notre société et son avenir sont pris dans les deux branches de cette tenaille. La crise écologique révèle en définitive une société fragile, car fondée sur des ressources naturelles en grande partie non renouvelables. La résolution de la crise écologique majeure appelle à un autre paradigme économique. Celui-ci est toujours absent des grandes décisions internationales parce que refusé par le système économique dominant qui trouve au-delà des problèmes engendrés de nouvelles sources de profits dans ce que l’on appelle capitalisme vert et économie verte.

Le second récit est au contraire un récit complaisant sur la modernité. Les sociétés humaines n’ont jamais été aussi riches et le système économique actuel mondialisé permet de sortir des millions d’êtres humains de la pauvreté. Les autres problèmes qui peuvent surgir, comme le réchauffement climatique, ne sont que des détails corrigeables. La solution la plus efficace pour corriger les dégâts écologiques est la poursuite du progrès technique. Au plan économique, les problèmes écologiques sont liés à des externalités. Le changement climatique doit être vu comme une externalité négative, traduisant une « défaillance du marché ». Si le système Terre possède la capacité d’absorber une partie du CO2 accumulé dans l’atmosphère (forêts, océans), il suffit d’y mettre un prix pour restaurer son utilisation optimale. Le second récit se construit autour du progrès technique, de la finance et du marché.

Les deux récits s’interpénètrent dans la façon de poser le problème du réchauffement climatique (travaux du GIEC, déclarations d’intention) et dans la manière de le résoudre (non remise en cause du modèle économique dominant, financiarisation des mécanismes de correction). Ces deux récits se font face et font face à un ensemble de problèmes inédits dans l’histoire de l’Humanité. C’est dans cette situation de quasi-schizophrénie que va se jouer la Conférence sur le climat à Paris (COP 21), avec d’un côté le mouvement citoyen, de l’autre l’implication de plus en plus forte des grandes multinationales, et entre les deux les États et les institutions internationales.

2- La situation environnementale et climatique actuelle

Depuis la première Conférence internationale sur l’environnement à Stockholm en 1972, la dégradation de l’environnement s’est poursuivie, malgré la tenue d’autres conférences internationales, en 1992 à Rio (adoption du concept de développement durable, signatures des deux conventions internationales sur le climat et la biodiversité) et en 2012 toujours à Rio (le concept de développement durable est remplacé par celui d’économie verte traduisant la place prépondérante du secteur privé).

Au niveau climatique, aucune amélioration n’est observée durant cette période, bien au contraire. Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) confirme que l’élévation de la température terrestre est majoritairement due à l’accumulation des gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine. La réponse scientifique s’est affinée au fil du temps avec un diagnostic « c’est quasiment certain ». La température moyenne terrestre a augmenté de 0,85°C entre 1880 et 2012. Le niveau moyen global de la mer s’est élevé de 19 cm entre 1901 et 2010. En même temps, une planète plus chaude est devenue une planète plus humide.

Différents facteurs influencent le système climatique de la Terre, internes au système climatique lui-même comme le phénomène El Nino dans le Pacifique, ou externes comme l’activité solaire, les éruptions volcaniques et les activités humaines par les émissions des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Le premier d’entre eux, le gaz carbonique (CO2), est issu de la combustion des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) ; une partie est absorbée par les forêts et les océans (conduisant à l’acidification de l’eau de mer). Depuis le début de l’ère industrielle, les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont augmenté de 40 %. Le second gaz, le méthane (CH4), a augmenté de 150 % sous l’effet du nombre de ruminants, de l’expansion des rizières et des décharges. Plus modestement, le protoxyde d’azote (N2O), issu des activités agricoles (engrais) a cru de 20 %.

Grâce aux bulles d’air emprisonnées dans les calottes glaciaires, les concentrations naturelles de CO2ont pu être mesurées, variant entre 180 et 280 ppm (nombre de molécules par millions de molécules d’air). En deux cents ans d’activités humaines, les concentrations ont augmenté et dépassent aujourd’hui les 400 ppm. Le seuil d’un réchauffement climatique moyen de la Terre de 2°C serait atteint avec une concentration de 450 ppm (équivalent CO2).

Des positions plus pessimistes ont mis en avant le fait que la sensibilité climatique de la planète doit prendre en compte non seulement les « réactions rapides » mais également les « réactions lentes » comme la désintégration des glaciers, la libération de GES des sols, de la toundra et des océans. Ainsi, en raison de l’inertie du système climatique, il y a encore du réchauffement en cours qui ne montrera ses effets qu’au cours des siècles à venir. Ce réchauffement encore invisible est pourtant irréversible et risque de conduire la planète à une situation où le réchauffement s’accélère et devient incontrôlable. Les partisans de cette analyse concluent que pour rester dans une fourchette « sûre », il faudrait stabiliser les émissions de CO2 au plus vite possible à 350 ppm et non à 450 ppm. Cette proposition est malheureusement déjà dépassée. L’option 350 ppm est à l’origine du nom de l’association 350.org, créée au moment de la Conférence de Copenhague en 2009 dans laquelle on retrouve la militante environnementaliste canadienne Naomi Klein.

L’homme est devenu l’acteur principal du changement climatique sur des échelles extrêmement courtes. Les émissions de GES dans l’atmosphère ont augmenté entre 2000 et 2010 cinq fois plus vite que durant les trois décennies précédentes, notamment du fait du retour à l’usage du charbon. A ce rythme, le seuil des 2°C de hausse de la température globale devrait être franchi dès 2030. Plusieurs pays particulièrement vulnérables ont demandé une limitation à 1,5°C ; ce dernier objectif n’est plus envisageable à présent. Le scénario probable tendrait à se situer entre 3 et 4°C. Le scénario le plus pessimiste envisage une augmentation de la température moyenne de 5,5°C.

Les effets du réchauffement climatique sont multiples : événements climatiques extrêmes (sécheresses, inondations), hausse du niveau des mers (de 26 cm à 98 cm en moyenne d’ici 2100) mettant en jeu la vie de populations vivant sur le littoral (ex. Bangladesh) ou dans des îles (ex. Pacifique), perte de biodiversité entraînant l’extinction de nombreuses espèces terrestres et marines incapables de s’adapter à des changements aussi rapides, acidification des océans, insécurité alimentaire, sévères pénuries d’eau sur plusieurs continents, impacts sur la santé liés à l’insécurité alimentaire et à l’augmentation de maladies infectieuses.

Sans actions volontaristes pour limiter les changements climatiques, les inégalités sociales et économiques seront accentuées entre les régions du monde ainsi qu’à l’intérieur des pays. Les migrations et les risques de conflits, liés aux changements climatiques, iront en augmentant. De nouveaux modèles de développement sont donc indispensables dans tous les secteurs de nos activités. C’est sur ce constat que doit s’ouvrir la Conférence sur le climat (COP 21) à Paris.

3- Le climat une « grande cause nationale » et l’enseignement de Copenhague

La préoccupation des citoyens pour le climat n’est plus à démontrer, environ 80 % des habitants de la planète se disent très concernés par les changements climatiques. En préparation à la COP 21, le collectif « Coalition climat 21 » a reçu du gouvernement français le label de « grande cause nationale ». Celui-ci, constitué de plus de 70 organisations, exclue tout parti et mouvement politique et n’intègre qu’associations, mouvements de solidarité, mouvements altermondialistes et syndicats. La crise climatique devrait donc se jouer sur le mode de l’indignation citoyenne (« changeons le système, pas le climat », « non aux crimes climatiques »), alors que c’est d’une réponse politique dont elle a besoin. Imaginer par ailleurs que la Conférence de Paris puisse être une caisse de résonance des luttes pour la cause climatique relève d’un vœux pieux comme cela fut le cas six ans auparavant à la conférence de Copenhague (COP 15) qui s’était conclue par un constat d’échec. Le seul résultat concret fut un texte de trois pages, qualifié « Accord de Copenhague » (!) dans lequel une trentaine de pays, représentant 80 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), refusaient de s’engager pour tout objectif chiffré de réduction des émissions de GES, pour tout mécanisme contraignant et pour une aide concrète en faveur des pays les plus vulnérables. L’implication exceptionnelle de la société civile à Copenhague, plus de 800 ONG accréditées, organisation d’un « Forum citoyen mondial », mise en place de multiples coalitions environnementales, manifestation dans les rues de Copenhague rassemblant entre 50 000 et 100 000 personnes, foisonnement de sites militants, recueil de pas moins 15 millions de signatures par la campagne « TckTckTck », n’y ont rien changé. Sans mettre en doute l’engagement et la combativité des militants pour une justice climatique, la Conférence de Copenhague mettait en lumière les limites d’influence des ONG et des mouvements sociaux, leur impuissance face aux réalités des rapports de force internationaux.

4- Le silence des partis politiques, les incohérences du gouvernement, l’emprise des multinationales

En dehors des opérations de communication du gouvernement, on reste assez confondu par le quasi-silence des partis politiques sur la question climatique. Bien sur, les bons mots font florilège, comme ceux prononcés par exemple à l’Université d’été du PS : « c’est le sommet de la dernière chance », « l’échec n’est pas une option, c’est un suicide », « il n’y a pas de richesses sur une planète morte », « c’est l’avenir de la planète qui se joue dans trois mois », que l’on cesse « d’opposer l’économie et l’écologie », « les entreprises, les associations sont souvent à la pointe de l’innovation » (celle délictueuse de la firme Volkswagen donne à réfléchir !).

Le silence ou l’indigence des partis politiques à évoquer la question climatique traduisent une incapacité ou une absence de volonté à poser les véritables enjeux environnementaux et sociaux, à trouver les moyens d’y faire face. Il y a un fossé entre les politiques énergétiques et un scénario cohérent pour limiter l’élévation de la température mondiale de 2°C et le frein à la désaccoutumance des énergies fossiles est d’ordre plus politique que technologique. Il n’y a aucune remise en cause des modèles économiques actuels, que ce soit au niveau des institutions européennes, des instances internationales comme l’OMC, des politiques dites de croissance et des mécanismes de libre-échange du commerce international. Aucun débat parlementaire n’a permis de clarifier une situation certes complexe mais cruciale pour notre futur.

Au niveau gouvernemental, la situation n’est guère meilleure. François Hollande appelle à signer au plus vite le traité de libre échange transatlantique (TAFTA) entre l’Union européenne et les États-Unis, sans se préoccuper de l’incidence d’un tel traité sur le climat. Le Gouvernement multiplie les signaux pour le moins contradictoires entre les déclarations de son Président et ses décisions : baisse du budget 2016 du ministère de l’écologie et de celui de l’aide au développement, fuite en avant fossile en autorisant de nouveaux permis de recherches d’hydrocarbures en métropole, et en prolongeant des permis de recherche dans les Terres australes et antarctiques, niches fiscales aux énergies fossiles pour le transport routier et aérien, décision de mettre en chantier l’aéroport si contesté de Notre Dame des Landes près de Nantes. Les lois Macron font la promotion des déplacements à faible coût en autocar plutôt que de consolider le transport ferroviaire, notamment pour les marchandises les infrastructures de fret existantes et en remettant en place la pratique du wagon isolé permettant aux PME d’acheminer leurs colis.

Pendant ce temps, la COP 21 devient un événement médiatique majeur qui prend de plus en plus d’ampleur au fil des semaines. Plus de 40 000 personnes sont attendues fin novembre et la présence de 3 000 journalistes va assurer une vitrine exceptionnelle pour les partenaires de la Conférence. Laurent Fabius précise en mai dernier « nous voulons que cet événement ne soit pas seulement une COP des gouvernements, mais aussi une COP des solutions, en y associant les entreprises du monde entier ». Dans ce contexte, tout va être prêt pour le secteur privé de faire du greenwashing et du lobbying. La Conférence de Paris sera l’occasion d’une vaste foire placée sous le signe de l’optimisme. Cette grande opération de communication du secteur privé permettra d’ignorer les grandes causes du dérèglement climatique, comme la combustion des énergies fossiles et l’agriculture industrielle. De nombreuses multinationales (Engie, EDF, Total, SNCF, Carrefour, Ikea, Michelin, Veolia, Sanofi, Coca-cola, L’Oréal, Suez environnement, …) vont organiser le « Tour de France des solutions climat » et produire des spots publicitaires sur « le Temps des solutions ». Les agrocarburants seront présentés comme solutions par le groupe Sofiprotéol-Avril, présidé par le patron de la FNSEA. Engie (ex GDF-Suez), détenu à 33 % par l’État, sponsor de la COP 21, continue d’investir dans les centrales au charbon hors de France, alors que celui-ci est le plus gros responsable des émissions de GES. L’influence du secteur privé s’étend au fil des ans sur les COP. La conférence de Varsovie (COP 19) en 2013 atteignit sans doute un record peu enviable en n’hésitant pas à organiser une conférence de promotion sur le charbon ! La COP 21 ne va sans doute pas être en reste à travers la place faite aux entreprises via le label officiel COP 21.

Que penser alors de la « vraie » COP 21, celle des décisions qui devront être prises par la conférence intergouvernementale placée sous l’égide des Nations-Unies pour lutter contre les changements climatiques ?

5- Les enjeux réels de la COP 21 et la nouvelle donne géopolitique

Le but de la conférence sur le climat est à présent bien connu : maintenir le réchauffement de la planète sous la barre des 2°C d’ici la fin du siècle et la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère est la condition sine qua non pour endiguer ce réchauffement. On estime que ces émissions doivent d’ici 2050 être divisées par 4 pour les pays développés et par 2 pour les pays en développement.
Concrètement, il s’agit d’aboutir à un accord politique intégrant tous les 195 États signataires de la Convention-cadre des Nations Unies pour la période 2020-2030. Il n’est plus question à présent de faire une distinction entre les pays développés et les autres comme le stipulait auparavant le Protocole de Kyoto. Ce tournant capital est intervenu à Copenhague en 2009, décidant pour surmonter les blocages, de recourir aux contributions volontaires de réduction des émissions pour tous les pays. Cette nouvelle orientation était confirmée l’année suivante à Cancun et en 2011 à la Conférence de Durban, les États donnaient mandat aux négociations de l’ONU d’aboutir fin 2015 à un accord sur « un protocole, un autre instrument légal ou une solution concertée ayant une force légale ». Le point majeur à la Conférence de Paris sera de définir la nature de ces engagements : seront-ils ou non juridiquement contraignants en droit international ?
Par rapport aux objectifs globaux de réduction des émissions de GES dans l’atmosphère, la négociation doit prendre des décisions importantes sur plusieurs secteurs et activités. En premier lieu, la lutte contre la déforestation qui permet d’atténuer l’accumulation des GES dans l’atmosphère est fondamentale ; le mécanisme mis en place actuellement, intitulé REDD+, est essentiellement d’ordre financier. Le second secteur d’activités est l’agriculture et les enjeux de la négociation sont multiples : adaptation pour éviter les déficits en eau, augmentation du stockage du carbone dans les sols, réduction des émissions de méthane dans l’atmosphère du fait des déchets agricoles et de l’élevage …
Pour appliquer le principe fondateur de la Convention-cadre des Nations-Unies, à savoir la responsabilité commune mais différenciée entre pays développés à l’origine de la dérive climatique et pays en développement, la place accordée aux transferts de technologies et aux financements d’aide pour les pays vulnérables est cruciale. A cet effet, le Fonds Vert pour le climat doit atteindre à partir de 2020 la somme de 100 milliards de dollars par an, comme cela a été promis à Copenhague en 2009. Ce fonds sera-t-il abondé ? Si oui, comment, par des subventions publiques ou des prêts bancaires ?
Le tournant de Copenhague a marqué également la fin de l’Union européenne comme leadership des négociations climatiques, incarné par le Protocole de Kyoto. La Chine, l’Inde, le Brésil et la plupart des pays émergents n’entendent pas brider leur trajectoire de développement et préfèrent miser sur la baisse de l’intensité énergétique ou la décarbonation de leurs énergies, évitant d’altérer leur taux de croissance. La Chine, l’atelier du monde, se place en tête des pays émetteurs de GES, suivi par les États-Unis. Le rôle de ces deux pays, avec l’Inde sera majeur à la Conférence de Paris.

Les pays en développement attendent les modalités concrètes de l’aide qui leur a été promise à Copenhague (technologies et financements). La perception du temps, de l’urgence au niveau du changement climatique n’est pas la même entre le Nord et le Sud, entre riches et pauvres. Pour des milliards d’hommes, l’urgence c’est le quotidien, trouver du bois pour se chauffer, des aliments et de l’eau. La « maison commune » ne dispose pas des mêmes commodités dans ses différents appartements ! Les revendications des pays les plus pauvres sont portées par le groupe G77 qui regroupe 134 des 195 pays de la Convention-cadre et représente plus de 80 % de la population mondiale. Le groupe G77 rassemble en même temps une grande diversité d’États : les pays émergents constitués par le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine (BASIC), le groupe des pays arabes, l’Alliance des petits États insulaires, le groupe Afrique, le groupe des pays les moins avancés (PMA) et le groupe de « ceux qui pensent la même chose ».

Il faut ajouter à cela que la donne géopolitique actuelle montre que la mondialisation et les conflits en cours au Moyen-Orient et en Afrique sapent les bases de toute souveraineté nationale et fabriquent des États qui se trouvent incapables de s’engager sur le plan international ou d’appliquer les accords signés. C’est dans ce contexte à la fois économique (influence dominante du secteur privé et de la finance) et politique (un monde qui n’est pas un) que les négociations vont s’ouvrir à la COP 21.

6- L’échec de la COP 21 ou comment régler un problème sans jamais le nommer

Le texte final qui va servir de base aux négociations à Paris révèle les forces en présence et la volonté d’aboutir ou non à l’objectif fixé des 2°C. Le bilan des engagements volontaires des pays (contributions nationales volontaires ou INDC en langage onusien) en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre a été fait par le Secrétariat de la Convention de l’ONU. Au total, 147 États (sur les 195 de la Convention), représentant environ 86 % des émissions mondiales (comptabilisées en 2010), remettaient leur contribution et l’addition ne suffit pas pour placer la planète sous la barre des 2°C, mais permet au mieux de limiter le réchauffement à 2,7°C d’ici la fin du siècle.
Parallèlement, un texte de négociation a été élaboré pour servir de cadre à la négociation entre les États au moment de la COP 21. Derrière les beaux discours, le texte de négociation est vide.

Les principes fondamentaux permettant d’assurer une transition énergétique mondiale dans laquelle justice sociale et droits humains seraient garantis comme la sécurité et la souveraineté alimentaire sont absents du texte ; ils sont regroupés au tout venant dans un seul et unique paragraphe situé dans le préambule de ce que serait le texte de décision issu de la COP 21, autrement dit dans un paragraphe qui n’a aucune valeur juridique.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les objectifs de réduction des gaz à effet de serre des pays ne font pas partie de la négociation. Les objectifs volontaires (INDC), non contraignants mais insuffisants, ne seront pas revus à la hausse sous l’effet des négociations, pour viser le seuil maximal des 2°C du réchauffement climatique. L’écart entre le prévisionnel et l’objectif affiché de la COP 21 ne fera pas l’objet de négociation. Aucun des objectifs de réduction des émissions mondiales de GES donnés par le GIEC et indiqués par des points d’étapes (44 Gt de équivalent-CO2 par an en 2020, 40 Gt en 2025, 35 Gt en 2030) n’est mentionné dans le texte (1)Les émissions mondiales de GES ont été estimées à 38,8 Gt équivalent CO2 en 1990, 40,5 Gt en 2000, 48,1 en 2010.. Les émissions globales de GES vont donc augmenter à 57 Gt en 2030, soit 15 % supérieures par rapport à 2010 alors que le GIEC préconise de les réduire de 40 à 70 % d’ici à 2050. Les États devaient être tenus de revoir régulièrement leurs objectifs de réduction des émissions ; ce mécanisme de révision n’est pas clairement défini et reste imprécis.

Le transport aérien et le transport maritime ne sont pas couverts par les objectifs de réduction d’émission nationaux. Les pays les moins avancés avaient demandé que ces deux secteurs contribuent au financement de la lutte contre les dérèglements climatiques. Cette demande ne figure plus dans le texte de négociation, cela revient à cautionner que les deux secteurs essentiels à la globalisation économique seront épargnés par les politiques climatiques.

Les revendications des pays les plus démunis pour bénéficier d’un transfert de technologies, d’une aide financière (Fonds vert) ont obtenu gain de cause sous la pression des pays du groupe G77, mais la possibilité de bénéficier de soutiens financiers s’appuyant sur de l’argent public n’est pas garantie. On continue de vouloir compter sur les financements privés (c’est-à-dire des prêts) pour « aider ». Le financement ne dit rien de précis sur la mobilisation annuelle de 100 milliards de dollars promis par les pays développés à Copenhague en 2009 à l’horizon 2020.

La question de la sécurité alimentaire, présente dans des versions antérieures, a disparu du texte. Une mauvaise nouvelle « alors que l’on vient de voter à l’ONU les objectifs pour éradiquer la faim dans le monde à l’horizon 2030 » souligne l’organisation Action contre la faim.

Toute l’ambition de l’accord final se jouera dans le choix de la conjugaison des verbes qui signalent ou non la contrainte juridique ; un accord stipulant que les pays DEVRAIENT (« should ») et non DEVRONT (« shall ») signifierait ratifier une coquille vide !

Enfin, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, les mots-clés « énergies fossiles », « énergies renouvelables » et « énergie » ont entièrement disparu du texte, signifiant que l’on envisage de régler la question climatique sans poser la question des choix énergétiques. Il n’est plus question d’envisager la possibilité de réduire les subventions aux énergies fossiles (ce secteur reçoit chaque année 700 milliards de dollars de subventions publiques directes). La COP 21 continue d’ignorer, comme par le passé, les énergies fossiles alors que la combustion de celles-ci représente au moins 80 % des émissions de CO2, comme s’il était possible de réduire les émissions de GES sans réduire ce qui les génère. Dans un note de 2011, le GIEC estimait « que près de 80 % de l’approvisionnement mondial en énergie pourrait être assuré par des sources d’énergies renouvelables d’ici au milieu du siècle si l’effort est soutenu par des politiques publiques adéquates ». Le texte proposé ne présente aucune mention aux énergies renouvelables et n’envisage pas de négocier ce qui pourrait soutenir leur déploiement.

Le texte final soumis pour base de discussion à la COP 21 établit un éventail d’options entre lesquelles il faudra trancher. Ce texte place désormais les États face à des choix politiques pour opérer une transition énergétique équitable ou non, solidaire ou non, offerte aux marchés financiers ou non.

Aborder les sujets qui fâchent ? Tout semble donc conduire à l’échec politique de la COP 21, à travers la cacophonie des objectifs de réductions des émissions de GES des pays pollueurs, chaque pays étant maître de définir sa cible, son calendrier et sa méthode. Il sera bien difficile de savoir à la sortie de la COP 21 quel sera la trajectoire de la croissance de la température mondiale au-delà du seuil des 2°C. Ceci n’est pas vraiment étonnant puisque nombre de pays ne veulent pas aborder les sujets qui fâchent, comme par exemple :.

  • interdire le charbon responsable à lui seul de 44 % des émissions de CO2 liées à l’énergie ;
    ne pas laisser le carbone aux marchés financiers ; les droits à polluer institués par l’Union européenne en 2005 se sont avérés être un échec ;
  • démondialiser l’économie en favorisant les échanges sur des circuits les plus courts possibles ;
    dégager des financements à la hauteur des enjeux, autant pour la transition énergétique que pour l’aide aux pays les plus vulnérables ; la mobilisation des fonds privés levés sur les marchés financiers comme signe de « solidarité » signifierait que les pays pauvres devraient commencer par s’endetter s’ils veulent protéger leurs populations des effets du changement climatique ;
  • définir un statut juridique de réfugié climatique pour permettre la mise en œuvre de la prévention et de la protection des déplacés environnementaux (l’ONU estime à 250 millions le nombre des victimes du réchauffement dans le monde à l’horizon 2050)

7- Oser avoir une autre pensée politique

Suite au premier rapport du Club de Rome pointant les limites de la croissance et à la première Conférence internationale sur l’environnement à Stockholm en 1972, un colloque des Nations-Unies se tenait deux ans plus tard à Cocoyoc au Mexique et posait la question du développement et de la protection de l’environnement. La Déclaration de Cocoyoc du 23 octobre 1974 qui résultait de ces travaux, remettait en cause le modèle économique dominant, abordait les questions de la pauvreté, des inégalités entre les pays, de la répartition des richesses, de la croissance, de l’économie de marché, du lien entre pauvreté et dégradation de l’environnement et de la gestion des biens communs. La radicalité du texte fut analysée par les pays occidentaux comme une véritable provocation et les États-Unis, par l’intermédiaire de son Secrétaire d’État, Henry Kissinger, rejetèrent l’intégralité du texte. La Déclaration de Cocoyoc fait partie des documents rayés de l’histoire officielle des Nations-Unies. Le texte impressionne autant par la justesse de l’analyse que par les perspectives politiques qu’il dessine ; il conserve encore aujourd’hui toute son actualité. Quarante ans après sa parution, on retrouve exactement les mêmes thèmes dans l’encyclique désormais célèbre du Pape François Laudato si.
Résoudre la crise écologique et climatique appelle à rompre avec l’ordre économique mondial dominant que nous connaissons actuellement. L’option qui prévaut est que nous sommes dans un cul de sac environnemental qui peut conduire à un effondrement économique et social de nos sociétés. Le modèle économique qui nous gouverne n’est pas en capacité de résoudre la question climatique et tout laisse à craindre l’échec environnemental (le seuil des 2°C, dégradation de la biodiversité) et social (sécurité alimentaire, Fonds vert de solidarité pour les pays vulnérables) de la COP 21 dans la mesure où celle-ci se trouve incapable de poser les véritables questions pour assurer une transition énergétique (abandon des énergies fossiles) équitable à une échelle mondiale.

Cet échec programmé tient au fait, en plus des enjeux géopolitiques, que l’oligarchie financière et économique impose ses vues dans les négociations climatiques ; elle continue d’utiliser pour résoudre la crise écologique de fausses solutions au profit d’un « capitalisme vert » (marché carbone, mécanisme de compensation, géo‐ingénierie, REDD+, etc.). Ainsi, la lutte contre le réchauffement climatique s’inscrit dans une logique financière dont l’Union européenne a été et reste l’ardente défenseur en instaurant un marché carbone d’échange des permis d’émission avec des mécanismes de flexibilité financiers qui exonèrent les gros pollueurs et une marchandisation de la nature (l’économie verte).

L’indignation citoyenne ne suffit pas, d’autant qu’elle est totalement inopérante dans le processus de prise de décisions des États. L’intérêt général des peuples, dans le présent et pour le futur n’est plus intégré dans le logiciel de décisions de nos responsables politiques. On pourrait aisément paraphraser la déclaration de J.Cl. Juncker, Président de la Commission européenne, à propos des élections en Grèce en janvier 2015 « il n’y a pas de choix démocratique par rapport aux traités européens », il n’y aurait donc pas de choix de survie pour l’Humanité par rapport au seul modèle économique imposé qui s’arroge le droit d’être la solution alors qu’il en est le problème.

La solution ? Elle a été mille et une fois répétée par de nombreux responsables de l’écologie, de l’économie, de leaders syndicaux, politiques, humanistes, spirituels : il faut changer de paradigme économique. L’avenir de la planète, des sociétés humaines ne peut être soumis à la seule comptabilité financière du monde. La surconsommation effrénée est un leurre qui engendre insatisfaction, violence et destruction des biens communs. Toutes les conséquences environnementales et sociales qui conduisent inéluctablement au désastre sont inhérentes au système. La solution nécessite la remise en cause du modèle économique actuel : productivisme et consommation, libre circulation des capitaux, libre échange du commerce internationale et affirmation de la souveraineté des peuples.

Au vu des choix adoptés par les Nations-Unies pour une gouvernance mondiale du climat, associant États, entreprises, banques et autres institutions financières, au vu des fondamentaux économiques de l’Union européenne, des États-Unis, les questions autour du productivisme, de la croissance, des délocalisations, du libre-échange, du protectionnisme, de la taxation ne sont en aucune manière des positions dogmatiques, mais des question politiques majeures qui sont à débattre.

Un changement de cap est absolument nécessaire. Comment le situer ?

le productivisme au service d’une hyper-consommation, avec toutes les conséquences sociales (délocalisations) et environnementales (exploitation effrénée des ressources naturelles, consommation énergétique sans cesse amplifiée, pollutions, dérive climatique) nécessite une remise en cause d’un tel système et du libre échange commercial ;

  • faut-il craindre de débattre sur les effets positifs et négatifs de la mise en place d’un protectionnisme écologique et social ? Des politiques nouvelles de solidarité au service des pays les plus vulnérables peuvent être envisagées sur la base des taxations aux frontières ;
  • la question alimentaire est un enjeu fondamental dans un contexte démographique qui prévoit plus de 9 milliards de personnes en 2050. L’agriculture a besoin d’une vraie politique agricole et alimentaire, nécessitant une transition agroécologique qui permette un changement de système. L’agriculture dite « intelligente », concept qui a émergé au sein de l’ONU, approuvée par la France, incluant intrants chimiques, OGM, ne remettant pas en cause ni l’élevage industriel, ni les agrocarburants, est une coquille vide dans laquelle s’engouffrent multinationales et gouvernements ;
  • sortir du carcan néolibéral de l’Union européenne permet d’envisager de nouvelles politiques publiques, hors du champ de la concurrence. L’une des issues est de promouvoir des coopérations entre États ayant retrouvé leur souveraineté nationale afin de pouvoir gérer communément les ressources naturelles et répondre aux problèmes environnementaux ;
  • le point clé dans une telle vision est de redéfinir le rôle de l’État pour qu’il soit garant de l’intérêt général, vecteur des investissements à long terme pour la transition énergétique ; ceci nécessite de retrouver une souveraineté monétaire hors des contraintes de la zone euro (monnaie unique) et des traités européens (obligation d’emprunts sur les marchés financiers) et une souveraineté nationale et populaire garante de l’expression de la démocratie ;
  • l’espace démocratique nécessite d’être clairement identifié par rapport à une mondialisation qui se place dans le champ de la gouvernance (la démocratie sans le peuple). C’est un enjeu essentiel, notamment face aux objectifs politiques libéraux de l’Union européenne

Aucun accord consensuel n’émerge des pré-négociations entre les États à la veille de la COP 21, l’objectif de ne pas dépasser le seuil des 2°C ne sera pas atteint, la mise en place de mécanismes de solidarité, technologiques et financiers, n’est pas acquise. Les États et les gouvernements sont à présents devant leurs responsabilités. Oseront-ils avoir une autre pensée politique que celle qui nous est servie depuis les Conférences de Rio de 1992 (« développement durable ») et de 2012 (« économie verte »). L’échec de la COP 21 donnerait-il le droit au citoyen de se révolter au titre d’une légitime défense pour sa survie, pour sa génération et les générations futures ? Poser la question est déjà une façon déjà d’y répondre.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Les émissions mondiales de GES ont été estimées à 38,8 Gt équivalent CO2 en 1990, 40,5 Gt en 2000, 48,1 en 2010.