A la veille de mai 1968 l’éditorialiste du journal Le Monde titrait : « La France s’ennuie ». Les touristes de passage en Tunisie à la mi-décembre 2010 voyaient un pays socialement calme et résigné aux inégalités de tous ordres qu’il supportait.
Le manque de résultats concrets des mobilisations contre les lois anti-sociales du gouvernement Sarkozy justifierait-il la démoralisation, l’individualisme, l’égoïsme, le fatalisme et l’indifférence à la misère sociale ?
Pour moi, pas du tout. Avant la tempête, le calme : les forces les plus puissantes, prêtes à exploser, s’équilibrent un instant pour déferler l’instant suivant.
J’ai la conviction que « nous » sommes au Maghreb, en France, en Islande, en Irlande, aux USA même, à un « instant » de ce type.
Dans tous les pays, au delà des religions, des histoires et des systèmes politiques, le capitalisme a retrouvé son visage le plus rapace, injuste, destructeur, policier et guerrier. Les « élites » sont devenues d’insupportables et égoïstes oligarchies. Par millions les familles, les jeunes n’en peuvent plus et perdent l’espoir d’une vie meilleure si rien ne change. Les institutions les plus anciennes ne peuvent plus contenir les affrontements entre oligarques concurrents et le mécontentement des peuples.
Ce ne sont pas des idées et des « éthiques » qui s’affrontent, ce sont des forces sociales et matérielles. L’Histoire le dicte à la philosophie. L’événement s’impose au commentaire. C’est l’irruption de « la Force » qui est dans les peuples. elle déferle, exige et combat pour sa survie. De son sein ont toujours surgit- en nombre – les cadres militants actifs, habités par l’urgence et le volonté de réussir.
Les pessimistes ont pourtant des excuses : celles de l’effondrement militant et de l’abstention politique et syndicale des générations d’après 1968. Les enfants des 20 glorieuses n’ont pas su ou pu transmettre à leurs enfants l’esprit collectif, la volonté de se battre pour se défendre ou pour gagner des progrès. Les médias ont imposé les images d’une société aisée et individualiste.
Ne serait-ce pas aussi parce que les organisations du mouvement social au sens le plus large, intégrées de plus en plus profondément dans un dialogue social institutionnalisé ont dilué la réalité des affrontements sociaux ? Mais aussi parce que l’idée d’un terrain commun aux politiques de droites et de gauches privaient d’enjeu l’engagement généreux et désintéressé. D’où l’apparence (ou l’espoir ?) de cercles militants toujours plus âgés, raisonnables, raisonnant, non-violant et éloignés des chocs sociaux et politiques.
C’est cet « espace militant » qui cède et cédera la place à une génération adaptée aux affrontements ouverts à la généralisation desquels nous assistons.