Créteil 2014, 36 ans : un festival des films de femmes en pleine forme

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Du 14 au 23 mars dernier le Festival International des Films de Femmes s’est à nouveau emparé de la Maison des Arts de Créteil avec l’aide de sa salle de cinéma et partenaire La Lucarne de la MJC du Mont-Mesly. Jackie Buet à la tête de son équipe, directrice et animatrice, a proposé une programmation riche et diverse. La venue en invitée d’honneur de Kate Millett sur les dix journées du festival marquait l’importance qu’elle attachait à cette manifestation. Ceci lui permit d’offrir un film inédit en France, Three Lives, éloge de la féminité à travers trois portraits inspirés et toujours d’actualité.

Autour d’un autoportrait de la comédienne, réalisatrice de documentaires et de fictions, musicienne Maria de Medeiros, il y eut des films de réalisatrices vietnamiennes et la rencontre de plusieurs d’entre elles et une Master class avec Marceline Loridan autour de 17ème Parallèle qu’elle co-réalisa avec Joris Ivens. Il faut citer le thème approché en cinéma que celui du Corps, des femmes et du Sport. Également ces Héroïnes inattendues que la présidente du festival, Ghaîss Jasser, nous a donné l’occasion de retrouver de Lola Montès, de Max Ophüls à Pina (Bausch) de Wim Wenders.

Comme chaque année, deux compétitions d’importance, en premier celle des films de fiction soumis à un jury présidé par la comédienne et réalisatrice Hiam Abbass, née à Nazareth et depuis des années installée à Paris. La seconde, celle des documentaires sur lesquels il nous a paru intéressant de nous attarder.

Neuf films pour un jury composé de trois femmes et deux hommes ! L’une est plongée toute l’année dans le documentaire, la seconde anime un centre audiovisuel et préoccupée par l’éducation à l’image de la jeunesse, la troisième réalisatrice pour la télévision avec plus de trente documentaires. Côté homme nous avions un des responsables de la création originale et libre de notre grand institut de l’audiovisuel et un critique de cinéma.

Première observation, une diversité des réalisatrices originaires de neufs pays et chez chacune d’entre elles des conceptions très originales du documentaire. Deux de ces films sont le fruit du travail et de la création d’un couple.
Aim High in Creation de l’Australienne Anna Broinowski nous fait naviguer entre deux pays, l’Australie et la Corée du Nord. Surprenant ce mélange territorial. Mais cette réalisatrice de documentaires faisait partie de ces habitants d’une banlieue de Sidney rendus inquiets par une autorisation donnée à une société pour procéder à une fracturation du sol de leur parc municipal pour exploiter une nappe de gaze de schiste.
Née au Japon elle avait grandi aux Philippines, en Corée du Sud, au Vietnam et en Iran. L’idée lui était venue, elle qui parlait le japonais, d’aller en Corée du Nord pour interroger les maîtres du film de propagande et leur demander de lui apprendre les recettes du régime de Kim Jong II. Et comme les responsables les plus anciens parlaient aussi le japonais. L’opération de séduction de la belle documentariste réussit.
Elle rentra en Australie et mit ce savoir faire propagandiste au service de la cause des anti fragmentation hydraulique du sous sol de cette banlieue de Sidney. C’est avec sérieux et humour qu’elle les aida à gagner leur combat.

Ana Ana est un documentaire qu’on peut qualifier de poème cinématographique, œuvre de la Néerlandaise Corinne Van Eegeraat et de son coréalisateur Peter Lom. Tous deux documentaristes ont animé un atelier vidéo suivi par quatre jeunes femmes artistes cairotes, après la Révolution de la place Tahrir qui vit le débarquement du président Moubarak. Précisons que ce couple vit et travaille en Égypte depuis 2011. Il a amené ces jeunes femmes créatrices et éprises de changement des mœurs à exprimer leurs rêves, leurs désirs d’une manière très intime. Cela avec un choix de cadrages souvent remarquables que hachent des vues abstraites du désert si proche. Un Caire chaotique aux communautés plurielles qui, pour certaines, ne peuvent s’empêcher de se haïr jusqu’à l’assassinat de l’autre. Preuve en est cette terrible mise à mort d’une femme frappée au sol par l’un des hommes des forces de répression. La musique du compositeur japonais Ryuchi Sakamoto vient à notre écoute quand cela paraît nécessaire, sans plus. Les portraits de chacune des quatre héroïnes sont sublimés par les quatre cameramen,
hommes et femmes.

Broken Song est le premier documentaire de la jeune cinéaste irlandaise Claire Dix, après deux courts métrages sélectionnés dans des festivals internationaux. Elle s’est intéressée à ces poètes de rues, artistes du hip-hop et compositeurs du nord de Dublin. C’est bien filmé avec un parti pris du noir et blanc qui convient bien ici. L’intérêt n’est pas négligeable, mais la cinématographie n’est assez travaillée et par moment cela semble fait de bric et de broc. Dommage parce qu’avec un fond qui tient la route. On attendra quand même les prochains opus de Claire Dix, côté documentaire.

Michka Saël est une femme à la vie itinérante. Née en 1949 en Tunisie, avec des origines juives et africaines, elle s’est installée au Québec en 1979. Après des études de sociologie et d’histoire de l’art à Jérusalem, un passage aux Langues orientales avec un intérêt manifesté pour la publicité à Paris elle acheva ce parcours universitaire au Canada, à Montréal, consacré au cinéma. Elle s’est alors partagée entre réalisation de fictions et documentaires.
C’est un portrait éclaté de la Chine actuelle que cette réalisatrice nous propose. China me est une succession d’histoires familiales liées aux arrivées des populations des campagnes dans les grandes villes chinoises. Des drames de ces étudiantes dont les parents ont disparu dans les tremblements de terres ou au cours d’autres catastrophes écologiques. Elle y filme ces rencontres de femmes qui tentent tout ce qu’il est possible de faire, en couple ou seules, pour survivre et élever leurs enfants. Michka Saël saisit également ces réunions organisées par des militantes du féminisme qui attirent ce public qu’elles ont ciblé. Au dire de ces animatrices peu de femmes ont des responsabilités dans la direction collective des villages. Elles insistent sur le nombre des femmes battues, même si à l’occasion elles signalent avec humour qu’une infime minorité battent leurs hommes !
La dernière partie de ce documentaire s’achève sur une rencontre avec un étonnant psychologue, Huo Datong qui, entre parenthèses, a fait de ses enseignements une bonne affaire. Il y analyse l’inconscient des Chinois à l’aide de sa langue vieille de 6 000 ans. Pour cela il utilise à la fois Lacan et Freud. Cependant Huo Datong privilégie le génie de Lacan, plus en lien pour lui avec le Zen chinois, mêlant ainsi marxisme et pensée chinoise.

Deux cinéastes, iraniens d’origine, Maryam Ebrahimi et Nima Sarvestani, l’une vidéaste et l’autre journaliste se sont installés en Suède pour se retrouver sur un projet commun, un documentaire, No Burqas Behind Bars. Avec ce titre qui proclame qu’il n’y a pas de burqas derrière les barreaux, on constate que des femmes purgent des peines de prison parce qu’elles en avaient assez d’être battues par leurs époux et avaient quitté le domicile conjugal, ou qu’elles avaient fuit un mariage arrangé par les familles. Car elles avaient été condamnées à l’emprisonnement pour des années pour ces faits. Mais derrière les barreaux de cette prison lointaine de Kaboul ces femmes avaient trouvé un refuge. Mais, dans ces cas là, gare à la sortie de la prison lorsque les familles avaient décidé d’effacer le déshonneur. Ce documentaire qui apparaît comme une comédie peut effectivement se terminer par un drame . Les auteurs du film ont dû tout faire que l’une des prisonnières puisse quitter l’Afghanistan pour la Suède. Il est vrai que nous avons là une série de personnages hauts en couleur dans l’encadrement de cette prison en particulier le Directeur, qui prend soin de sa tenue militaire mais dans laquelle il flotte, tout en songeant à devenir un homme politique d’importance. Le sous-officier qui passe ses journées à tenter de régler au mieux les différents domestiques de toutes ces femmes dont certaines ont des enfants en bas âge fait de son mieux. Voilà un documentaire bien écrit et à la cinématographie très réussie. L’union du journaliste et de la vidéaste est une réussite.
La Géorgienne Tinatin Gurchiani passée par la peinture, la danse à Tbilissi, mais aussi par des études de psychologie, en Autriche et en Allemagne. Elle a obtenu un diplôme en réalisation à Postdam-Babelsberg en 2010. Après des courts métrages voici son premier documentaire de long métrage, The Machine Which Makes Everything Disappear, qu’elle a terminé en 2012. D’un projet de filmer un casting elle en a fait une rencontre avec la jeunesse géorgienne originaire à la fois de la ville, des campagnes, des villages des montagnes de Géorgie. Une série de beaux portraits. On pense parfois au film de Mohsen Makhmalbaf Salam Cinema. Une cinéaste à suivre.

Voici un travail sur des archives que propose une jeune cinéaste serbe, Marta Popivoda qui, actuellement, est encore dans un diplôme de troisième cycle en cinéma expérimental à l’Université d’Arts de Berlin. Ceci ne l’empêche pas de participer aux travaux d’une plate-forme théorique et artistique de Belgrade et de prendre part ainsi à de nombreux projets locaux et internationaux comme sur le cinéma illégal. Avec Yugoslavia, How Ideology Moved our Collective Body, c’est un parcours à travers les images d’actualité de la Yougoslavie, depuis la seconde guerre mondiale et la victoire de Tito sur les troupes nazies et la construction de la Yougoslavie fédérale de Tito jusque après sa mort et sur la décomposition du titisme et l’approche des guerres entre les différentes composantes. Des images, au départ avant toutes politiques, tout au long du règne de Tito pour finir dans des mises en scène sur des stades plus proches d’un Disneyland que remplaceront les premières$images de la guerre civile des années 90.

Reste le film de Perrine Michel, Lame de fond, un documentaire-fiction imaginaire qui, dans cette sélection, est apparu pour le jury le film le plus fort et le plus original. A partir d’événements graves vécus au cours de son enfance la cinéaste va nous ramener quelques dizaines d’année en arrière. Une époque où, après 1968, des couples issus de différentes militances avaient décidé de quitter les grandes villes, en particulier la région parisienne, et de vivre, plus en contact avec la nature, en communautés.
Et une voix féminine raconte. Femmes et hommes s’échangeaient librement pour atteindre plus intensément au plaisir. Ils restaient à l’écoute de leurs enfants et les prenaient en charge. Mais, parfois, il pouvait y avoir quelques dérapages dramatiques pour quelques uns d’entre eux. Et c’est ce que souhaitait raconter et exprimer Perrine Michel. Cela au moyen d’un film. Pas de véritable reconstitution, mais des images par rapport au lieu, une maison rurale du Sud-Ouest, au milieu de petits chênes, entourée d’un pré. Un récit qui au moment où il devient par trop précis et dérangeant est subtilement à moitié brouillé par une seconde voix. Il y a de quoi d’être choqué par cette suggestion de jeux d’adultes pratiqués par un père et même un grand-père sur une petite fille. Utilisation d’une image d’un sous-bois comme parcouru à la course. Son à double écoute. Rien d’autre. Plus on avancera dans le documentaire-fiction plus la réalisatrice nous surprendra en passant aussi par le cinéma d’animation. Accompagné par la Fémis, Perrine Michel a réussi un pari difficile en matière cinématographique avec un tel sujet. Comme le dit Denis Gheerbrant, en concluant sa présentation du film dans le catalogue du Festival de Femmes de Créteil : « A partir de là, c’est le spectateur qui est emporté par une lame de fond ».

Pour la diffusion des films relatés dans cet article prendre contact avec Anne Berrou, attachée de presse du Festival des Films de Femmes de Créteil via le courriel filmfemmes@wanadoo.fr et au téléphone 01 49 80 38 98.