Il y a 40 ans, un virus idéologique se répandait sur le monde. Un Alain Minc, héraut autoproclamé, l’appelait « la mondialisation heureuse ». Refusant toute contestation, le bienheureux Minc s’inquiétait de voir la France être le mauvais élève de la modernité. Il entraînait d’autant plus facilement l’adhésion que les gouvernements de l’époque, droite et gauche confondus, sollicitaient ses conseils éclairés, qu’il présidait le Conseil de surveillance du Monde, était responsable du rapport sur « la France de l’an 2000 » commandé par le premier ministre Edouard Balladur et faisait partie de nombreux cercles d’influence comme la Fondation Saint-Simon. On ne comptait plus ses disciples, certains pontifiants, d’autres un peu plus ras de terre. La mondialisation devenait une sorte de conte de fée. On sourira en rappelant cette pauvre Laure Adler laissant échapper son émotion enthousiaste devant le « symbole » de tous ces humains, de toutes races, de tous sexes et de toutes conditions, regardant tous dans la même direction : l’éclipse de soleil. Une allégorie de la mondialisation fraternelle en quelque sorte !
Cette volonté béate de magnifier une mondialisation toujours évoquée, mais jamais analysée, que ne nous a-t-elle pas coûté ? Certes, certains cherchaient à prendre des distances en demandant une autre mondialisation – alter ? -, mais ne regardaient-ils pas, comme les autres, vers l’éclipse ? Même Jacques Attali, grand chantre d’un gouvernement planétaire, se croit obligé, depuis quelques temps, de se démarquer du bonheur mondialisé en critiquant une mondialisation financière qu’il a beaucoup aidé à favoriser dans les années 1980.
L’idéologie développée par les mondialistes, largement relayée par les médias, a conduit à considérer tout Etat comme oppressif et toute idée de frontière comme porteuse de xénophobie et de racisme. Ah, ce fameux gouvernement mondial, source de paix et de bonheur entre les humains !
Et pourtant ! Toute conception de gouvernement mondial se présente comme une transcendance ou, comme le dit Alain Supiot, professeur au Collège de France, comme « un fait de nature ». Il se réfère obligatoirement à des normes communes définies hors de tout contrôle des citoyens. D’ailleurs, il n’y a alors plus de citoyens, il n’y a plus que des individus atomisés, sans pouvoir politique. Un gouvernement mondial ne peut être qu’une expertocratie.
Il est d’ailleurs frappant que les thuriféraires de la mondialisation, ou de son secteur particulier qui s’appelle l’Union européenne, demandent à la fois des règles non contestables, en particulier économiques et financières, et le respect des identités. Mais, par identités, ils signifient des particularités qui caractérisent le genre, l’origine ethnique, les pratiques sexuelles, mais pas la citoyenneté, élément politique de base. La mondialisation détruit l’individu en tant qu’être politique. En ce sens, elle s’oppose à l’humanisme.
Elle peut donc être contestée par l’humain reprenant toute sa place dans l’Histoire, c’est-à-dire par le citoyen reconstitué. La question était largement posée après la deuxième guerre mondiale. D’un côté, l’ONU, forum de nations ou la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui rappelait que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ». De l’autre, une volonté de domination monétaire et financière symbolisée par le FMI ou la Banque Mondiale.
Les événements récents ne révèlent-ils pas quel a été le choix, ne font-ils pas apparaître la signification philosophique de la mondialisation ?
La pandémie de coronavirus constitue un double révélateur.
Elle a d’abord mis en lumière la ruine des services publics de recherche qui auraient permis d’anticiper une telle catastrophe. Des programmes de lutte contre ce type de virus existaient il y a vingt ans. Ils ont été jugés inutiles parce que ne répondant qu’à des défis qui, n’étant pas immédiats, n’étaient pas prioritaires. Elle a montré la naïveté et l’imprévoyance du mondialisme qui trouvait normal de déléguer la fabrication de médicaments européens importants en… Chine ou en Inde, créant des pénuries visibles depuis plusieurs années. Le système mondialisé ne s’intéresse pas au long terme. Un pouvoir éloigné des humains ne raisonne pas à l’échelle de l’humain.
Par ailleurs et paradoxalement, la mondialisation financière, censée réguler l’économie, a montré la fragilité des marchés financiers. Ce colosse s’écroule à la moindre secousse. La chose avait pourtant été démontrée, dans l’indifférence générale, en 2008, par la résistance islandaise à la crise financière. Comment ne pas évoquer aujourd’hui le Président islandais invitant ses amis européens, à l’issue de ce séisme national, à inverser l’importance des facteurs. Il proclamait alors que les droits de l’humanité étaient supérieurs, dans tous les cas, aux intérêts des marchés financiers. La chose n’est-elle pas aujourd’hui d’actualité ?
Depuis plus de 40 ans, nos gouvernements ne savent plus penser l’intérêt général qui ne les intéresse plus puisque les marchés sont supposés s’occuper de tout. Ils se soumettent à des logiques d’immédiateté, représentatives d’intérêts volatiles et inhumains qui s’opposent à des perspectives raisonnées. Ils ont abandonné le sens de l’humanité qui se construisait depuis la philosophie des Lumières. Ce n’est pas une crise conjoncturelle que nous vivons, c’est une crise historique qui doit remettre en cause le système économique et politique. L’heure est au retour des valeurs humanistes et du citoyen qui en est l’incarnation.