A l’occasion de la Fête de l’Humanité, la rédaction de Respublica a rencontré une délégation du Parti pour la Laïcité et la Démocratie (PLD) algérien, dont Moulay Chentouf, coordinateur du bureau national, Sophia et Nariman, deux jeunes étudiantes de Constantine de 20 et 21 ans, qui ont adhéré au PLD, il y a deux ans.
Rappelons que le PLD, issu du Parti d’Avant-Garde Socialiste (PAGS) et héritier du Parti communiste algérien, a vu le jour en 2009. Nous avons déjà publié sa charte de la Laïcité du 5 juillet 2010 et signalé la marche pacifique du 22 janvier 2011, initiée par le RCD (Algérie : suite à la marche du 22 janvier ) à laquelle le PLD s’est joint.
Interdites par le pouvoir, ces marches ont eu lieu malgré tout à Alger et Oran principalement, les semaines suivantes. La Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie (CNCD) en Algérie s’est constituée à cette occasion.
La CNCD est composée du Rassemblement pour la Culture et de la Démocratie (RCD), du PLD, d’associations démocratiques et de personnalités, dont Me Ali Yahia Abdenour.
La population ressent une grande lassitude et redoute surtout de revivre le terrorisme islamiste de la « décennie noire » des années 90, d’où son extraordinaire prudence à s’impliquer dans les actions de masse. Mais, où en est-on aujourd’hui ?
Entrevue de Nariman, Sophia et M. Chentouf, réalisée par Monique Vézinet
Les nouveaux enjeux du mouvement démocratique en Algérie
Sophia/ Par rapport aux autres mouvements politiques, le PLD se distingue par sa radicalité et la volonté de rompre totalement avec le système politique en place. Les élections algériennes, de 1962 à nos jours ont été frauduleuses et conduites dans des conditions opaques. C’est la raison pour laquelle, nous n’inscrivons pas notre action en tant que parti dans les échéanciers électoraux du pouvoir. Les élections en Algérie sont biaisées et leur seul but est d’assurer la survie du système.
M. Chentouf /Depuis longtemps, notre mouvement cherche à ce que les forces démocratiques se rassemblent mais il est difficile de se retrouver autour d’une table. Pour la première fois, depuis janvier 2011, bien qu’en deçà des exigences politiques, les échanges semblent possibles au sein de la CNCD. Un processus de transition véritable passe par la dissolution totale de toutes les institutions pseudo-élues du pays comme par exemple l’Assemblée nationale, le Sénat ou les assemblées locales et la mise sur pied d’un organe de transition composé de républicains et de démocrates dont la mission principale est d’élaborer les textes fondamentaux à soumettre au peuple par référendum. Une fois cette étape démocratique franchie, le processus électoral acquiert du sens et devient un outil de reconstruction des institutions.Nous ne nous sentons ni en déphasage, ni « à la traîne » des évènements du monde arabe. Notons toutefois une différence essentielle : aucun pays arabe n’a eu des séismes aussi profonds que l’Algérie dans son histoire et vécu à une échelle aussi importante et sanglante les affres du terrorisme islamiste. Nous avons payé le prix fort pour ne pas sombrer dans l’Etat théocratique. Une expérience importante a été capitalisée au niveau des luttes politiques ces vingt dernières années mais des séquelles sérieuses dues à cette période noire demeurent vivaces dans les esprits et font craindre le pire aux Algériens. C’est certainement la raison qui fait que la société algérienne réagit à sa manière au contexte et ne s’implique pas de façon massive dans les actions d’envergure. Nous considérons pourtant que le mouvement de masse a été très important pendant cette année 2011 et qu’il est nettement plus organisé que par le passé.
Sophia/ La mobilisation est difficile parce que, contrairement aux déclarations officielles, l’état d’urgence n’a pas été levé et que nous n’avons pas accès à la télévision, à la radio ou à la presse. Le 12 février par exemple, Alger était bouclée et des barrages obstruaient tous ses carrefours. Beaucoup de personnes hésitent à sortir dans les rues par manque d’information. Comme ce fut le cas à Constantine où la mobilisation n’a pas été aussi forte qu’à Alger.
Nariman/ Par contre le téléphone et les réseaux sociaux nous ont permis de faire des avancées, y compris dans des villes réputées conservatrices.Face à l’impossibilité d’organiser les marches hebdomadaires pacifiques que nous avions prévues à l’origine et que le pouvoir a empêchées, il y a eu des « coups de gueule » de la jeunesse, des actes spontanés, des émeutes de rue…
Respublica / Et à présent, quelles sont les perspectives, quelle attitude attendez-vous des mouvements qui peuvent vous soutenir en occident ? A l’occasion de cette Fête de l’Humanité 2011 sur quelle solidarité internationale pouvez-vous compter ?
Le soutien international ne peut s’accommoder des compromissions actuelles
M. Chentouf / Les Occidentaux ont en toute vraisemblance faite leur la thèse selon laquelle il y aurait deux démocraties. L’une sur mesure, pour l’Occident, l’autre taillée pour les pays arabes. Cette thèse raciste par essence a montré ses limites et a déjà eu des conséquences catastrophiques sur les relations internationales. Elle sert en fait de carburant au redéploiement de l’islamisme politique dans le monde musulman et à son corollaire, le terrorisme. Elle risque donc de déstabiliser plus encore la planète. La démocratie est universelle, la laïcité aussi ! A cet égard, il est insoutenable de constater que les Etats qui se revendiquent des droits de l’Homme et du respect des libertés humaines couvrent d’un silence assourdissant la naissance de régimes arabes dont les nouveaux maîtres proclament déjà l’application de la charia. Notre combat est très difficile et périlleux. Les portes des médias algériens nous sont fermées. Celles des médias français aussi. Pourtant, le citoyen français a besoin de savoir que la rive sud de la méditerranée est porteuse d’espoir, que les militants de la démocratie y existent et qu’ils y livrent un combat sans merci contre toutes les formes de totalitarisme. Heureusement que l’opportunité d’une tribune nous est offerte par Respublica pour le dire. Si le système algérien persiste dans le verrouillage antidémocratique les risques de dérapage sont réels. L’Occident a tout intérêt à l’émergence d’un processus démocratique pacifique, faute de quoi la violence risquerait d’embraser le flanc sud de l’Europe. Force est de reconnaître que la stratégie de l’Occident est assujettie aux calculs étroits du court terme et visent essentiellement le contrôle du sous-sol algérien. Selon certaines chancelleries et non des moindres, un plan de partition de l’Algérie est déjà dans les cartons. Son but essentiel est de s’assurer le contrôle des richesses de l’Algérie « utile » quitte à porter atteinte à l’unité du pays et le disloquer en plusieurs …états indépendants !! Les exemples de ce type sont légion : l’URSS, la Yougoslavie ou plus récemment le sud-Soudan convoité pour son pétrole, en ont déjà fait les frais et sont une démonstration qu’un tel scénario est plausible.
Femmes en Algérie : une tradition de soumission
Respublica / La violence collective contre les femmes prend des formes nouvelles : Hassi Messaoud 2001 puis 2010, aujourd’hui M’sila…
Nariman/ D’abord, il faut dire que la première violence contre les femmes est le code de la Famille : l’homme a le droit de lever la main contre sa femme. Récemment un juge à Constantine a acquitté un homme coupable de violence conjugale au motif que celui-ci avait battu sa femme sans pour autant le faire «jusqu’au sang ». Il n’était donc pas passible selon lui du délit de violence et qu’il était parfaitement innocent … au regard de la loi ! L’autre violence du code de la Famille est bien sûr l’institutionnalisation de la suprématie des hommes sur les femmes qui en fait des mineures à vie et sous tutelle et les soumet à la polygamie. C’est pourquoi nous demandons son abrogation..
Sophia / Faisons remarquer que l’on se rappelle l’islam principalement lorsqu’il s’agit des femmes. En effet le législateur algérien n’a retenu de la charia que les coutumes et les sanctions moyenâgeuses et effacé d’un trait de plume toutes celles qui concernent les hommes, préférant soumettre ces derniers aux lois bien plus humaines du code pénal d’inspiration moderne.
Respublica / Pourtant les violences collectives que j’évoquais ne s’exercent pas que dans le cadre domestique !
M. Chentouf / Les violences ne s’exercent pas uniquement dans le cadre conjugal. Le développement économique du pays a entraîné des mutations sociales. Celles-ci ont été importantes dans le sud du pays. L’Etat n’a pas su les accompagner ou carrément a démissionné de ses responsabilités par opportunisme politique face à la montée de l’islamisme politique. Celui-ci formate les esprits et tente de couler les mentalités dans le moule d’une idéologie totalitaire intolérante. Il dresse une partie de la société contre l’autre et pousse à l’ordre moral par la violence. C’est ce qui arrive de plus en plus fréquemment. Ceux qui ont recours aux expéditions punitives contre les femmes travailleuses obtiennent des sanctions symboliques tandis que ceux qui mangent un sandwich pendant le ramadan sont condamnés à de lourdes peines.
Nariman/ Les femmes sont sous une pression telle de l’islamisme qu’elles en viennent à reproduire mécaniquement le discours ambiant du patriarcat. Par exemple, elles acceptent les inégalités en matière d’héritage ou le port du voile. Même des filles de notre génération n’en sont pas choquées. Lorsque j’ai créé sur Facebook un groupe intitulé « Pour l’abrogation du code de la famille : parlons-en !», je me suis fait traiter de folle par des filles de mon âge qui considéraient que j’étais coupable …d’apostasie !Ces femmes s’alignent sur des règles imposées, mais je pense que si elles avaient des alternatives, elles ne feraient pas ces choix. Malheureusement nous avons peu de moyens de nous adresser à elles.
M. Chentouf / La différence colossale entre les laïques et les islamistes est dans les moyens matériels. Les islamistes ont accès aux moyens de communication les plus modernes. C’est ce qui explique leur présence massive sur la toile mais ils sont aussi extrêmement actifs dans les réseaux de proximité si bien que le ministre des affaires religieuses se targue du fait que l’Algérie possède autant d’écoles que …de mosquées ! Ils disposent du maillage de plus de dix huit mille « lieux de culte » où sous couvert de religion ils mènent une intense propagande politique et idéologique, …cinq fois par jour à l’heure des prières ! Si, à chaque fois, sur le millier de fidèles, ils n’en recrutent qu’une dizaine, imaginez les forces dont ils disposent…
Nariman/ Quant aux télévisions occidentales, elles sont accessibles mais, si elles ne sont pas regardées par toute la population algérienne, c’est à cause du rejet des occidentaux d’une façon générale et plus particulièrement parce qu’il n’est pas pensable que dans une famille, dans la même maison devant la mère, les frères, on puisse regarder des films avec des comportements qui ne sont pas acceptés, même un simple baiser ! Voilà pourquoi on regarde les chaînes arabes.
Quelle relève ? Quel développement pour la laïcité ?
Respublica / Les jeunes du PLD comme vous agissent en réseau, plus particulièrement au sein des universités. Avec quelles possibilités d’action ?
Sophia/ ça se fait entre amis, on en parle et ceux qui se sentent concernés nous rejoignent. Organiser des réunions publiques est du domaine du possible avec l’aide du Parti mais on se heurte à des questions de moyens et même si ceux-ci sont acquis il y a des problèmes d’autorisation. On se retrouve dans des appartements, de petits locaux, c’est ce qu’on peut appeler une « semi-clandestinité »…
Respublica / Que signifie la laïcité pour vous ? Comment l’avez-vous découverte et comment l’appliquez-vous à la situation de l’Algérie ?
Sophia / Pour nous la question de la laïcité se présente de façon très particulière : il s’agit d’abord de débarrasser le terme de toutes ses connotations péjoratives : les gens pensent que la laïcité leur est hostile, qu’elle cherche à les empêcher de croire. La laïcité reste un tabou en Algérie. Nous essayons d’expliquer que ce n’est pas l’athéisme mais la séparation du politique et du religieux afin que chacun ait sa liberté. La laïcité s’est imposée concrètement à nous en tant que femmes. Nous avions vécu nous-mêmes des situations discriminatoires et nous nous sommes rendues à l’évidence que les libertés des femmes en Algérie sont un objectif à atteindre. C’est pourquoi nous ne pouvions pas concevoir qu’on puisse nous imposer le port du voile. Aspirant à l’égalité des sexes et à la justice, nous ne pouvions pas admettre que les femmes ne puissent pas prétendre aux mêmes droits que les hommes et qu’elles soient lésées en matière d’héritage par exemple. Un cas nous avait particulièrement permis d’ouvrir les yeux sur l’étendue des injustices faites aux femmes : une femme qui venait de perdre son mari s’est retrouvée purement et simplement dans la rue avec ses enfants parce qu’un parent mâle, un oncle en l’occurrence, avait pu s’approprier en toute légalité …l’appartement de son mari !! Nariman / C’est pour cela que nous demandons l’abrogation de l’article 2 de la Constitution qui fait de l’islam la religion officielle de l’Etat. Mais il faut reconnaître que c’est assez difficile pour nous d’intérioriser la notion de laïcité. Elle est loin d’être aujourd’hui un élément structurant de notre société et elle ne nous a jamais été enseignée pendant nos études. Nous sommes au point où tous les canaux d’information sont utilisés systématiquement pour rappeler les horaires de prières : le haut-parleur du minaret pour arroser le quartier, les annonces publicitaires des quotidiens de presse pour informer le lecteur. Le comble est atteint par la télévision qui arrête de façon brutale ses programmes pour faire passer le message du muezzin. Même les horaires de travail n’échappent pas au rythme des prières, au préjudice des nécessités socio-économiques. Au lieu de nous abrutir par l’initiation au rite funéraire des morts ou de nous terroriser par les châtiments promis aux mécréants, nous nous serions mieux épanouies dans une école laïque.
Respublica / Face à cette incompréhension d’un terme qui semble venu d’ailleurs, qui est assimilé à l’hostilité envers la religion, comment faites-vous ? Faut-il user de périphrases ?
M. Chentouf / Pendant longtemps, les démocrates ont joué de frilosité par rapport aux questions de société pour soi-disant ne pas « heurter » la fibre religieuse du peuple, celui-ci étant présenté prétendument comme peu réceptif à la modernité ou bien pas suffisamment mature pour comprendre l’impératif de la laïcité et adhérer au principe de l’égalité en droit des femmes et des hommes. Cette démarche timorée a prouvé sa faillite politique sur le terrain. A force de se taire sur ces questions nodales, l’islamisme politique s’est engouffré dans la brèche « sociétale » pour tenter de mettre sur la défensive les forces démocratiques. L’enjeu principal aujourd’hui en Algérie est le choix du projet de société. Plus que jamais, il s’agit de lever toutes les ambiguïtés qui entretiennent la confusion sur la laïcité pour la débarrasser de la gangue qui obscurcit son sens politique véritable et parasite ses objectifs. C’est pourquoi, le PLD n’use jamais de périphrases ou de circonlocutions pour en parler et préfère afficher son parti pris pour la laïcité sur le fronton même de son sigle.
Nariman / La France est certes le pays de la laïcité par excellence. Ce n’est pas pour autant qu’elle doit être comprise comme une spécificité exclusivement française. Pour ma part, c’est une valeur universelle. C’est aussi une conquête des Lumières que devraient vivre en partage tous les peuples du monde. Sans laïcité, il ne saurait y avoir de paix véritable sur la planète.