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Deux jours à Madrid : rencontre des gauches de la gauche

Le meeting avec Cayo Lara et Izquierda Unida

Au Circulo de Bellas Arte nous attendent nos camarades de Izquierda Unida. Mireia Rovira, l’attachée parlementaire du député européen Willy Meyer nous accueille chaleureusement. C’est elle qui avec François Ralle a préparé l’événement. Nous visitons la salle, il y a 300 places, on se figure bien qu’elle sera bien trop petite au vu des échos qui nous parviennent, que ce soit de l’affluence des Français vivant en Espagne, que des camarades espagnols qui viendront à 19h pour cet événement commun de nos deux organisations soeurs « Unis contre la Troïka ». Une autre salle annexe est donc montée avec deux écrans, avec elle aussi 300 places. Heureusement ! Car il y aura effectivement plus de 600 personnes réunies ce soir-là.

Mireia nous amène alors voir la loge de Jean-Luc Mélenchon. Là-bas, nous attendent Willy Meyer, député européen et Cayo Lara, coordinateur général de l’organisation depuis 2008, il a été renouvelé dans ses fonctions en décembre dernier lors de leur Xe Assemblée Générale. Les interventions de l’un et de l’autre se complèteront parfaitement lors du meeting, parlant d’une même voix vers un même objectif commun, celui de mettre un terme aux politiques austéritaires qui plongent les peuples d’Europe vers le chaos. Vendredi, ils invitaient Alexis Tsipras de Syriza qui sera dans le cortège du 1er juin à Madrid.

Pour Cayo Lara, il s’agit de « construire un même chemin pour en finir avec cette folie », pour Jean-Luc Mélenchon, « nous devons construire une force alternative, pas seulement un parti, mais un mouvement social parce qu’il faudra reconstruire l’Europe ». En ligne de mire, les prochaines élections européennes et créer un Front de gauche en Europe qui passera devant les « partis socialistes »européens. « Nous devons être prêts pour gouverner. Cette préparation est notre tâche, celle des peuples du sud », expliquera Jean-Luc Mélenchon lors du meeting, « hommes et femmes, le bulletin de vote est ton pouvoir. La résignation, le pire des ennemis » ; « la chaîne du libéralisme va se rompre, nous ne savons ni où ni quand, mais cela arrivera comme cela s’est passé en Amérique Latine », continuera-t-il. Pour Cayo Lara, nous devons « réunir les suffrages de tous les citoyens qui se sentent bafoués » par cette Europe « muselée par les marchés financiers ». Cela ne passera que par l’implication des citoyens rappelle Jean-Luc Mélenchon, « car sinon demain sera pire que hier, c’est ce que nous enseigne l’Histoire » et Cayo Lara de rappeler que la sortie de la crise « se fera par la gauche ou alors il n’y aura pas de sortie sociale à la crise ».

Arriver devant les PS aux élections européennes, tel est le but des prochaines échéances et continuer à être dans les luttes et les mouvements sociaux et faire confluer les luttes européennes et l’alternative politique au régime actuel dans toute l’Europe. Tous les deux finissent en rappelant le sens de l’appel du 1er juin, après la marche du 5 mai en France pour la 6e République, nous serons dans les rues partout en Europe et en France pour dire ensemble « La Troïka dehors! », le Front de Gauche répondant à l’appel des camarades portugais et espagnols en construisant les répliques du 5 mai.

Cayo Lara revient ensuite sur les prochaines réformes annoncées par Rajoy : des coupes dans les pensions de retraites et l’allongement de l’âge de départ à la retraite mais il souligne que ce que ne dira pas Rajoy c’est que le but est en fait d’augmenter les fonds de pensions privés pour les banques. Il rappelle que tout est écrit depuis le « consensus de Washington » et que la crise est le prétexte à la mise en place de toutes ces politiques pour en finir avec tous les droits des travailleurs arrachés par les luttes par les précédentes générations. Tous les deux parlent à nouveaux d’une même voix : pour Jean-Luc Mélenchon « Rajoy et Hollande n’ont qu’un mot à la bouche qu’il faut payer la dette, mais qu’avec les méthodes de la sociale-démocratie et de la droite il n’y pas pas d’issue et l’on court à l’échec » « la dette ne sera pas payée, elle ne peut pas l’être. » Cette intervention est fortement applaudie, la dette en Espagne est de toutes les luttes « Nous ne devons rien ! Nous ne payons rien ! » tel est le slogan repris dans les manifestations. Cayo Lara revient sur le budget des Autonomies espagnoles, soumis à l’impossible déficit de 3 % qui ne signifie qu’une seule chose  « couper encore davantage dans les droits en matière de santé, d’éducation, les droits sociaux des citoyens ».
Sur scène, deux hommes et tout un peuple derrière qui ont décidé de tenir tête à l’oligarchie et qui portent en eux le courage de dire non aux politiques destructrices de la Troïka. Unis contre la Troika ! Oui nous pouvons! Ensemble nous pouvons ! et Nous n’avons pas peur ! pour reprendre trois des slogans des mouvements sociaux espagnols.

Le soir en compagnie de Cayo Lara et de Willy Meyer la discussion se poursuit, il est aussi question des médias. Jean-Luc Mélenchon raconte comment cela se passe en France ;  en Espagne IU a dû mal a faire venir la presse mais aujourd’hui elle était là, les relais sont bons. Les dernières enquêtes d’opinions placent IU de 13 à 15% des intentions de vote, ils passeraient alors de 10 députés à, entre, 30 et 52 députés aux élections générales qui auront lieu dans deux ans. Comme en France lors des présidentielles, il faudra bien que les grands médias leur laissent une place, l’évidence de leur légitimité finira bien par les obliger à cesser de les cacher.

En Espagne, le bipartisme est à bout de souffle (une dernière enquête place le PSOE et le PP à moins de 50% d’opinions favorables), Rajoy et le PP sont au pouvoir depuis novembre 2011, le PSOE connaissant alors une défaite historique (perdant 4,5 millions de voix), la seule alternative à gauche est celle que représente IU : le 15-M (les « indignés ») ont porté les revendications dans la rue (défense des services publics, audit de la dette, processus constituant..) , l’issue politique est portée par IU présente et bien accueillie lors des toutes les manifestations et à l’Assemblée portant la voix des citoyens contre la contre-réforme du travail, contre les coupes, lors des deux dernières grèves générales du 29 mars, l’année dernière, et du 14 novembre dernier.

Conférence sur l’écosocialisme à l’Université

Le lendemain , nous avons rendez-vous à l’université de Complutense, l’une des plus anciennes de l’Espagne, fondée par la cardinal Cisneros en 1499, pour une conférence sur l’écosocialisme.
L’ambiance y est celle d’une fac où des luttes sont en cours car dans le hall et le couloir que nous traversons le regard ne sait pas où se poser tellement les panneaux et les murs sont recouverts de pamfletos (= de tracts), de lemas y esloganes (= de slogans) écrits au feutre directement sur les murs ou au contraires plus stylisés sur des feuilles blanches ; une fac grouillante d’activités, engagée depuis déjà plus d’un an dans un mouvemen brassant des revendications très globales et aussi l’opposition aux dernières contre-réformes du gouvernement. Doit-on dire du gouvernement ?  Oui, car c’est lui qui tente de les imposer, mais on devrait plutôt à nouveau parler d’Europe : toutes les réformes que connaissent les facs viennent du même endroit, ce sont celles des recommandations de la Commission européenne, institution non-démocratique s’il en est, le modèle d’une Europe de technocrates où c’est le principe de subsidiarité qui l’a emporté.

Le processus en cours dans les Universités est celui de Bologne et de la libéralisation et marchandisation de l’Education pour laisser la place à ce « vaste marché de la connaissance » tant voulu par les rapaces du capitalisme. Celui-ci s’accompagne en Espagne de coupes sombres dans les budgets, l’autonomie à tout-va, la rentabilité comme maître mot et des étudiants pressés comme des citrons. Malheur aux précaires ! Réforme Wert, réforme LOMCE le tout s’inscrivant dans la même dynamique mortelle que les contre-réformes universitaires françaises, autonomie et coupes budgétaires et sociales, et les étudiants les moins fortunés qui auront bien du mal à poursuivre leurs études.

La salle où nous arrivons et où se déroulera la conférence contraste avec l’ambiance enfumée, au sens propre, du reste de la fac, ambiance feutrée, tout est neuf. L’amphi est bien plein, non il n’était pas trop grand même si le pari était risqué, près de 300 étudiant sont là. C’est Juan Carlos Monedero, professeur de Sciences politiques à l’université de Complutense, qui présente la conférence.

Ce public étudiant en sciences politiques est attentif mais comment savoir ce qu’ils en retiendront ? Restons-en à penser que des clefs leur sont données, à eux maintenant de se transformer en rats de bibliothèques et que d’une question en amenant à une autre, ils se gorgent d’un savoir construit et politique. Jean-Luc Mélenchon leur a ouvert des portes, à eux de s’en saisir et de poursuivre la réflexion.
Nous quittons l’Université au pas de course pour rejoindre notre prochaine rencontre dans le centre de Madrid.

La rencontre avec les « Mareas »

L’après-midi, nous rencontrons dans un café des représentants des différentes « Marées Citoyennes » qui font le mouvement social espagnol. Un condensé de la mémoire du 15-M avec des activistes et des militants qui continuent à se battre et qui sont entrés en résistance et qui se trouvent dans cette salle réunis, venus échanger avec Jean-Luc Mélenchon.
Il y a Lola qui nous parle de la Marea Verde (= Marée Verte) des luttes dans l’éducation ; Elena et son compagnon, tous les deux engagés dans le mouvement Bomberos Quemados que je traduirais par « pompiers cramés » (quemados en espagnol signifiant « brûlés » au sens propre et en langage populaire le quemado, c’est celui qui est « fatigué », « usé ») ; Ramon de la plate-forme Juventud sin futuro (= Jeunesse sans futur) ; Alex qui a lancé avec un groupe de camarades le mouvement Yo no pago (= Je ne paie pas) ; Julio de la PAH (= Plataforma de Afectados por las Hipotecas – Plateforme pour les victimes des crédits immobiliers) ; Pablo qui a contribué au lancement du mouvement du 15-M et qui est maintenant engagé dans un nouveau mouvement Ahora tu decides! – ATD! (= Maintenant c’est toi qui décides !) initiative de vote populaire ; ainsi qu’un camarade de « Ecologistas en accion ». Deux membres de IU sont aussi là, l’un responsable de la commission LGBT de son organisation et le jeune député Alberto Garzon de IU.

Lors de cette rencontre il sera question du rôle des syndicats, plus ou moins fort selon les branches professionnelles et de leur rôle dans ces mouvements.
Il sera aussi question de la désobéissance civile. Deux exemples : celui du mouvement Yo no pago, né suite à l’augmentation de 50 % du ticket de métro à Madrid l’année dernière, des citoyens ont envahi le métro madrilène avec de faux billets de métro, la répression a été brutale mais ce mouvement se poursuit, luttant dorénavant pour une « révolution intégrale » et « l’insoumission fiscale ». Une autre désobéissance civile est celle de ces pompiers quemados qui ont refusé leur réquisition lors des expulsions. Leur résistance a payé.

Il est aussi question de la naissance du 15-M, et des suites du mouvement.
La plupart de ces plateformes existaient avant l’explosion du 15-M mais elles ont depuis connu un essor et se sont trouvées réunies le 23 mai dernier  lors de la journée Mareas Unidas (= Marées Unies). La discussion devient aussi philosophique, lorsque Elena revient sur ces exemples de désobéissance civile : « le sens du collectif qui était abandonné est revenu avec le 15-M, avant l’explosion de la bulle immobilière en 2008, c’est comme si les citoyens avaient cessé d’être. A nouveau on se responsabilise ». Ou encore Lola, enseignante, de la plateforme en défense de l’école publique née en 2008 lorsque les coupes ont commencé s’accompagnant de suppression de postes : « On a senti que que ce que nous avions au dessus de nos têtes était si puissant qu’il fallait s’organiser, nous sommes dans un processus de prise de pouvoir citoyen. » Sur les suites du mouvement, elle explique :  « Nous sommes épuisés mais nous gardons la même envie de lutter. »

On parle politique et organisation aussi. Jean-Luc Mélenchon intervient sur l’importance fondamentale de trouver une issue politique à ces luttes sociales, de s’organiser et en quoi les échéances électorales sont importantes dont la politisation qui a lieu dans ces moments-là. Il revient aussi sur la situation italienne et sur les mouvements sociaux historiques et très puissants qu’a connu le pays et qui n’ont débouché sur aucune alternative, l’issue politique ayant manqué.
C’est Ramon qui semble en faire la synthèse : « Nous avons deux outils, l’un politique et l’autre social, l’outil politique seul n’est pas suffisant, l’outil des luttes sociales seul n’est pas suffisant non plus, il faut les deux. »

C’est comme une histoire en miroir qui se dessine sous nos yeux, celle de l’Espagne et celle de la France : si en Espagne, c’est le mouvement social qui impulse contestation , en France cela semble être l’inverse, les Mareas espagnoles sont nées des mouvements sociaux et les partis politiques de l’autre gauche les ont rejoints ; en France, c’est la Front de Gauche qui a initié ces marches, celle du 18 mars, puis celle du 5 mai et maintenant ses répliques des 1er et 2 juin.

Echange mutuel d’expériences d’un futur qui se construit ensemble mais où le rythme des luttes sociales et politiques se construisent en parallèle, la France n’étant pas l’Espagne, les chemins se croisent, mais toutes convergent vers un même but mettre à bas l’oligarchie en trouvant une issue politique à la crise sociale que connaît l’Europe entière. Moi ce qui me marque dans cette Espagne où je vais souvent, c’est ce haut degré de conscientisation et de politisation des Espagnols : services publics, dette, processus constituant, volonté de renverser l’ordre libéral… un cocktail révolutionnaire est prêt, il doit trouver sa voie, les Espagnols semblent prêts.

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