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Développer le fatalisme du chacun pour soi, ou rassembler pour vaincre ? Enseignements des municipales

Les deux tours des municipales viennent de nous donner un matériau absolument remarquable pour nous aider à comprendre la situation politique de la France et quels moyens stratégiques utiliser pour aider à la transformation sociale et politique. D’autant que, contrairement aux propos de certains, qui considèrent que les municipales relèvent de Clochemerle, les municipales sont un moyen politique indispensable à l’ancrage populaire des partis politiques. Et pour les républicains sociaux que nous sommes, c’est le moment de vérité quant à notre ancrage dans la classe populaire ouvrière et employée qui (« répéter c’est enseigner ») représente 53 % de la population active et retraitée (1)Ajoutons les couches moyennes intermédiaires salariées pour 24 %, les couches moyennes supérieures salariées pour 15 % et les professions non salariées pour 8 %.. Nous insistons sur ce point, car croire qu’un processus de rupture avec le capitalisme est possible sans le soutien massif de cette classe populaire relève au mieux de la naïveté petite bourgeoise : avis aux amateurs !Comme nous recevons de nombreux courriers sur nos propositions en ce qui concerne la ligne et la stratégie politiques nécessaires, que nous avons pourtant développées dans d’autres articles, nous allons utiliser cette chronique d’Evariste pour les rappeler en ce qui concerne l’action politique locale.
Nous ne reprendrons donc pas ici les insuffisances concernant la ligne politique nationale (vis-à-vis de la classe populaire ouvrière et employée et des couches moyennes intermédiaires) que nous avons déjà présentées dans ReSpublica et que nous détaillerons dans les articles que nous écrirons sur la campagne suivante des européennes.
Nous n’intégrerons pas non plus dans cette chronique les éléments chiffrés qui l’alourdiraient. Bien évidemment, nous reviendrons ultérieurement sur les chiffres et sur leur évolution diachronique sur trente ans.

Les 10 enseignements du scrutin des municipales

Enseignement n°1

Le record de l’abstention tant au premier tour qu’au second confirme le fait que le premier choix de la classe populaire ouvrière et employée est l’abstention. Et de loin ! Contrairement à ce qui est propagé ici et là dans les médias, mais aussi chez les responsables et les militants, le problème principal de la gauche de rupture est là et pas ailleurs.
Comprenons que nous devons aussi tenir compte du phénomène de gentrification (2)Phénomène accentué par le néolibéralisme, qui voit la classe populaire baisser fortement dans les villes centres, baisser lentement dans les banlieues populaires, qui deviennent de plus en plus un sas de transition, et augmenter fortement dans les zones périurbaines et rurales. Vous savez, là où les militants sont peu présents!, qui éloigne les militants actuels du centre de gravité géographique de cette classe.
Comprenons que la poussée de la droite et du FN est principalement une poussée relative et non absolue, car il y a peu, pour l’instant, de transferts de voix de gauche vers la droite ou l’extrême droite. C’est bien parce que la classe populaire vote de moins en moins, et que la droite et l’extrême droite mobilisent mieux leur électorat, que la droite et l’extrême droite progressent de façon relative.
Comprenons aussi que ceux qui ont fait le choix de l’abstention l’ont fait en conscience et qu’il faut arrêter avec l’idée fausse « ils n’ont pas compris, il faut mieux leur expliquer ». Ils ont bien compris que la politique de leurs élus n’est pas faite pour eux.

Enseignement n°2

Après l’abstention, le deuxième choix de cette classe populaire, et loin derrière, n’est plus le PS, comme à la présidentielle de 2012, mais le FN.

Enseignement n°3

Pour départager entre le troisième et le quatrième choix de la classe populaire ouvrière et employée, entre le PS et l’UMP, nous avons besoin d’affiner nos chiffres

Enseignement n°4

Le FdG reste en cinquième choix. Répéter c’est enseigner : tant qu’il restera le cinquième choix de la classe populaire, aucune transformation sociale et politique ne sera possible et les « pleureuses » pourront s’en donner à cœur joie sur le thème méprisant du « Ils n’ont pas compris » ou « C’est la fatalité », etc.

Enseignement n°5

L’augmentation de l’implantation du FN chez les élus locaux est due au fait que c’est le seul parti qui a pris des décisions politiques pour tenir compte du phénomène de gentrification, en portant ses efforts, par parachutage de ses responsables dans les villes de la zone périurbaine, là où la demande de protection et de repli sur soi est la plus forte.

Enseignement n°6

Le nombre d’élus de la droite néolibérale et d’un PS malheureusement gagné au néolibéralisme ne changera pas beaucoup. Peut-être même qu’il sera en faible baisse, nous attendrons l’affinage des chiffres. Il y a fondamentalement un jeu de vases communicants entre ces deux forces. Certains nous diront que quelques élus de la gauche du PS ne sont pas à classer dans les néolibéraux. Ils auront raison, mais nous pourrons leur rétorquer qu’en l’état actuel, leur impact sur la ligne politique de François Hollande est nul.
Pour le PS, cette élection est, aujourd’hui, la plus grande déroute électorale dans une élection municipale depuis la Libération. Qui aurait pu penser qu’une ville depuis plus de 100 ans à gauche comme Limoges puisse passer à droite ?

Enseignement n°7

Partout où le FdG a présenté des listes autonomes du PS, avec le PCF et le PG, le niveau des voix est globalement du même ordre que celui obtenu au premier tour de la présidentielle de 2012. Il n’y a donc pas de recul de ce point de vue.
Lorsque des listes ont été présentées avec l’alliance PG-EELV, ces listes font facilement des scores élevés qui peuvent aller vers les 15 % et au-delà. A noter qu’à Grenoble, la liste EELV-PG-Réseau citoyen frôle les 30 % au premier tour et gagne la mairie au second. Mais nous avons vu dans cette élection un affrontement au deuxième tour entre le PC allié au PS et le PG allié à EELV, ce qui ajoute à la confusion.
A noter cependant que les municipalités PG de Limeil-Brévannes (94) et de Viry-Châtillon (91) ont été balayées dès le premier tour par la droite ! Cela en dit long sur le fait qu’exercer le pouvoir n’est pas la même chose que prendre le pouvoir. Beaucoup de travail est à faire de ce côté -là.
À noter qu’à Viry-Châtillon, des bureaux de vote populaires ont connu une abstention supérieure à 55 %. Et que, si le FdG à direction PCF a perdu plusieurs municipalités face à la droite (Aubagne, Villejuif, Blanc-Mesnil, Bobigny, etc.), il en a regagné quelques-unes sur les partis gouvernementaux (Aubervilliers, Montreuil, etc.).

Enseignement n°8

La campagne du Front de gauche à géométrie variable (listes PS-PC dès le premier tour et listes autonomes du PS au premier tour) a été illisible. Elle a contribué au recul du nombre de municipalités FdG à la sortie du scrutin. Nous pensons également que cette illisibilité a coûté de nombreux postes d’élus au FdG.
Il est à noter qu’à Paris, le refus du PS soutenu par le PC de faire une fusion technique (3)Une fusion technique au deuxième tour laisse la liberté de vote au conseil municipal à la liste minoritaire qui fusionne. au deuxième tour avec les listes emmenés par le PG laissera des traces au sein du Front de gauche à Paris. Le fait que le PG n’ait pas lancé d’appel à voter contre la droite dans certains cas également.

Enseignement n°9

Nous devons faire attention au point suivant : qu’est-ce qu’une politique efficace de rupture avec le capitalisme dans une élection locale ? Est-ce que cela se détermine uniquement par la ligne ou par la stratégie ? L »une est-elle une prééminence surplombante par rapport à l’autre ou faut-il lier les deux dans l’action : c’est une pierre d’achoppement au sein du Front de gauche. Est-ce que ce qui compte, ce sont des listes indépendantes du PS ou un rassemblement du peuple autour de propositions alternatives ou les deux à la fois ?
Sur ce point, le Front de gauche gagnerait à être plus clair sur ce point et à adapter la stratégie de l’évolution révolutionnaire de Jean Jaurès au XXIe siècle. Disons que notre préférence irait à une politique qui lierait la ligne (propositions alternatives) et la stratégie (tout simplement parce que cette liaison est souhaitée par les couches populaires) et qui déterminerait préalablement, en toute transparence, les conditions bien précises des éventuelles exceptions.

Enseignement n°10

L’ancrage populaire est dû aux luttes sociales et politiques et à l’éducation populaire. Si on néglige l’un des deux pans de l’action nécessaire, il n’y a pas ou plus d’ancrage populaire. L’oubli du premier pan de l’action nécessaire, et plus souvent du deuxième pan, est pour beaucoup dans l’écart entre les résultats obtenus et les résultats potentiels qui découlent de la composition sociale de chaque commune, mais aussi dans les écarts de résultats quelquefois exorbitants entre deux communes qui ont une composition sociale équivalente.
Nous rappelons que les réunions publiques traditionnelles, les meetings, les distributions traditionnelles de tracts s’ils sont nécessaires à l’action politique n’ont que peu à voir avec l’éducation populaire tout aussi nécessaire.

Et comme une campagne municipale se mène sur six ans lorsqu’on ne dirige pas la municipalité, il est temps d’y penser…

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Notes de bas de page
1 Ajoutons les couches moyennes intermédiaires salariées pour 24 %, les couches moyennes supérieures salariées pour 15 % et les professions non salariées pour 8 %.
2 Phénomène accentué par le néolibéralisme, qui voit la classe populaire baisser fortement dans les villes centres, baisser lentement dans les banlieues populaires, qui deviennent de plus en plus un sas de transition, et augmenter fortement dans les zones périurbaines et rurales. Vous savez, là où les militants sont peu présents!
3 Une fusion technique au deuxième tour laisse la liberté de vote au conseil municipal à la liste minoritaire qui fusionne.
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